http://occidentalis.blogspot.com/2004/09/interesting-canonical-question.htmlEn quoi est-ce que les Orthodoxes de Rite Occidental sont-ils concernés par l'épineux problème du Concile Quinisexte, aussi appelé Concile in Trullo?
Ce Concile, qui s'est tenu en 692 à Constantinople, a été considéré dès le départ comme oecuménique par l'Eglise Byzantine. Il est vu comme une sorte "d'ajoute" canonique aux 5ème et 6ème Conciles Oecuméniques (vu que ces conciles n'avaient pas édictés de décrets canoniques). Trullo fut convoqué par l'empereur Justinien II, et dès le départ, les Byzantins l'ont considéré comme ayant un caractère oecuménique.
Au Concile in Trullo, ont été présents 211 évêques d'Orient, dont les 4 patriarches de Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem. Les Chrétiens Latins, cependant, n'étaient pas représentés à Trullo. Et Trullo a édicté certains canons qui sont, en fait, très clairement anti-Latin, à une période encore si éloignée, bien avant que le Schisme entre l'Orient et l'Occident ne commence à se consolider. Les intentions du concile semblent avoir été d'établir une disciple canonique standardisée pour toute l'Eglise. C'était peut-être cette intention-là, couplée à quelques décrets bien explicitement anti-Latin, qui ont mené à son rejet immédiat par l'Occident Latin Orthodoxe, et ce tout au long de l'histoire, même jusqu'à nos jours.
Quels étaient les points difficiles à avaler pour les Chrétiens Latins?
(1) Trullo interdit la vénérable coutume Latine de jeûner certains Samedis; en particulier les 4 Samedis de l'année ecclésiastique qui tombent pendant les "Quatre-Temps" qui ont lieu en Avent, Grand Carême, octave de la Pentecôte et en Septembre (après le Jour de la Sainte Croix).
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"Quatre-Temps" pour "Ember Weeks", cfr en anglais :
http://en.wikipedia.org/wiki/Ember_days ]
(2) Trullo interdit la vénérable coutume pratique liturgique Latine de célébrer des Messes complètes durant les jours de semaine pendant le Grand Carême (et non pas des offices de communion de Pré-Sanctifiés, comme dans le rite Byzantin).
(3) Trullo interdit la vénérable pratique Latine de ne pas chanter "Alléluia" pendant la période du Grand Carême (les Byzantins non seulement chantent l'Alléluia durant le Grand Carême, mais ils en chantent encore plus en cette période qu'en n'importe quelle autre!).
(4) Trullo interdit la réalisation d'icône de l'Agnus Dei, l'Agneau de Dieu, en tant que représentation du Christ. Plus spécifiquement, le Concile interdit les images qui montrent Jean le Baptiste pointant du doigt vers un agneau en disant "Ecce Agnus Dei" ("Voici l'Agneau de Dieu").
(5) Trullo interdit la vénérable coutume disciplinaire locale de l'Eglise Romaine, qui requérait le célibat pour tous les clercs majeurs (évêques, prêtres, diacres).
Dès le départ, l'Occident Orthodoxe s'éleva contre Trullo. Apparemment, en Occident, la raison était que les prélats Orientaux n'avaient pas à vouloir tenter, unilatéralement, de légiférer pour l'entièreté de l'Eglise, et contredire les coutumes locales depuis longtemps établies dans les Eglises d'Occident. Le pape saint Serge de Rome (687-701) (au demeurant, un natif Syrien d'Antioche) protesta fortement contre le Concile, refusant de ratifier ses décrets et les appelant "invalidi". (De la même, saint Bède le Vénérable appelle le Concile in Trullo "reprobate"). On dit que le pape Serge, en signe de protestation contre le Concile in Trullo, ajouta l'antienne "Agnus Dei, qui tollis peccati mundi, miserere nobis" dans la Messe Romaine, et commanda une énorme mosaïque de l'Agneau de Dieu pour une des basiliques Romaines.
L'empereur Justinien II, en colère face à la réponse du pape, menaça Serge que s'il ne signait pas les décrets, il serait enlevé de Rome pour devenir le prisonnier de l'empereur (suivant le malheureux et désastreux exemple établit par son prédécesseur, l'empereur Justinien 1er). L'empereur déporta les représentants du pape présents à Constantinople, et envoya une troupe armée à Rome avec ordre de forcer Serge à signer. Cependant, les troupes impériales à Ravenne se rallièrent à Serge et expulsèrent les forces de l'empereur.
Par la suite, le pape Constantin (708-715) adopta une attitude plus pragmatique face au Concile in Trullo, mais il ne se soumit jamais à ses décrets anti-Latin. Le pape Hadrien 1er (772-795) fut encore plus conciliant, au point d'affirmer qu'il acceptait comme authentiques tous les canons d'In Trullo (bien qu'il soit certain que l'Eglise Romaine n'a jamais mit un terme aux pratiques interdites par in Trullo). Enfin, le pape Jean 8 (872-882) déclara qu'il acceptait "tous ceux d'entre ces canons (de Trullo) qui n'étaient pas en contradiction avec la vraie foi, les bonnes moeurs et les décrets de Rome."
Il me semble que c'est ceci la réponse appropriée du Rite Orthodoxe Occidental au Concile in Trullo.
Etant membres de l'Eglise d'Antioche, nous nous soumettons certainement à sa pratique de permettre les prêtres mariés. Je crois que Rome est tout à fait dans ses droits d'insister sur la discipline canonique du célibat pour les prêtres; mais en tant qu'Orthodoxe de Rite Occidental, nous sommes techniquement membres de l'Eglise Orthodoxe Orientale d'Antioche, et nous nous soumettons à sa disciple dans ce domaine (une question complètement non-liturgique).
De même, personnellement, je comprend le raisonnement théologique sous-jacent à cette interdiction des peintures de Jean le Baptiste pointant vers un agneau représentant l'Agneau de Dieu, parce qu'il y a une confusion – l'image de Jean est une icône d'une personne, alors que la représentation du Christ en tant qu'Agneau de Dieu est symbolique (cependant, je ne pense pas que ce soit théologiquement incorrect de réaliser des images de l'Agneau de Dieu tout seul).
Cependant, concernant les coutumes liturgiques telles que les "Quatre-Temps", les Messes de semaine pendant le Grand Carême, et pas d'Alléluia durant ce même Carême, les décrets d'in Trullo ne sont tout simplement pas d'application, car ils contredisent les anciennes et vénérables coutumes des Eglises d'Occident, aussi anciennes et vénérables (et dans certains cas plus anciennes) que celles des Eglises Orientales. De plus, le Rite Byzantin, tel qu'on le trouve aujourd'hui, est en complète contradiction avec le Canon 101 d'In Trullo, qui interdit de distribuer la Sainte Communion aux fidèles avec des instruments en or tels que les cuillères. Dès lors, je suppose, si l'Occident doit être admonesté pour ne pas suivre strictement tous les décrets d'In Trullo, est-ce que l'Orient ne devrait pas l'être de même?
posté par Benjamin J. Andersen le 21 / 9 /2004, 10h39
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Et 2 réponses sur une réaction d'un lecteur à l'époque – les questions transparaissent dans les réponses, d'où je ne les reproduit pas. JMD]
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1.] Dear Eadmund –
Merci pour les commentaires. Je ne suis pas familier avec la moindre raison théologique pour ne pas jeûner les Samedis. La raison donnée par In Trullo est que cette observance ne serait "pas traditionnelle". Il est intéressant de remarquer que le canon plus ancien que Trullo cite ici (Apostolique 66) interdit de jeûner tant les Samedis que les Dimanches. La croyance médiévale erronée que les Canons Apostoliques auraient été réellement écrits par les Apôtres a pu avoir contribué à la véhémence avec laquelle Trullo prétend que la pratique Latine "n'est pas traditionnelle".
Il est intéressant en revanche, pour autant que je sache, de noter qu'en Occident, les Dimanches ne sont JAMAIS jeûnés; cependant il me semble me souvenir qu'en Grand Carême, les Dimanches sont jeûnés en Orient, donc en contradiction directe avec ce canon. Je pense qu'il y aurait une meilleure raison théologique ou symbolique pour soutenir la coutume Occidentale de ne pas jeûner le moindre Dimanche, pas même durant le Grand Carême. Le Dimanche est jour de la Résurrection, et la coutume Occidentale est en accord avec cela.
Je ne suis pas au courant de la raison théologique avancée pour expliquer pourquoi les Liturgies Présanctifiées sont célébrées durant les jours de semaine pendant le Grand Carême. L'Eglise Romaine n'a jamais eu cette tradition. L'attribution de la Liturgie Byzantine des Présanctifiés au pape saint Grégoire le Grand est complètement erronée. Nous savons que du temps de saint Grégoire, des Messes complètes étaient célébrées chaque jour durant le Grand Carême.
De même, je ne suis pas au courant de la moindre raison théologique justifiant l'obligation de chanter "l'Alléluia" durant tout le Grand Carême. L'arrêt de l'Alléluia à Septuagésime (le 3ème dimanche avant le Grand Carême) et sa reprise le Jour de Pâques est aussi une vénérable tradition des Eglises d'Occident.
Peut-être quelqu'un pourrait-il indiquer des raisons théologiques sur ce pourquoi l'Eglise Byzantine interdisit ces pratiques Occidentales? Trullo ne semble pas donner la moindre raison théologique pour ces décisions, et les commentateurs canoniques (tels Balsamon et Zonaras) ne sont pas plus explicites en la matière.
Votre argument concernant le clergé marié pourrait aussi s'appliquer à la coutume Orientale de ne plus permettre aux hommes mariés de devenir évêques. Pourquoi est-ce que des hommes mariés ne seraient pas libres de devenir évêques? A nouveau, je ne pense pas qu'il s'agisse d'une raison de dogme ou de théologie. Rome pourrait demain autoriser les prêtres mariés (actuellement, les Catholiques Orientaux [Uniates] hors des Etats-Unis d'Amérique ont des prêtres mariés); le Saint Synode d'Antioche pourrait, demain, décider de restreindre la prêtrise aux hommes célibataires. Ce pourrait ne pas être des décisions très sages ou pratiques, et elles entreraient en conflit avec les traditions de longue date de ces églises, mais cela relève bien de l'autorité de chaque Eglise locale, de décider de telles disciplines pour des raisons pratiques légitimes.
Le Canon 101 de Quinisexte, sur la distribution de la Sainte Communion, insiste que les fidèles doivent recevoir la Sainte Communion exactement comme la reçoivent les prêtres Byzantins aujourd'hui. Les fidèles ont pour instruction de placer la main gauche par dessus la droite, et de recevoir le Corps du Christ dans le creux de la paume. Une raison théologique très intéressante est donnée : l'homme est à l'image de Dieu. Son corps est un temple du Christ. Le corps humain surpasse toute autre créature sensible, et a atteint la dignité céleste de prendre part au Christ dans l'Eucharistie. Tant l'âme que le corps participent à la Grâce Divine. Recevoir la Sainte Communion "dans des vases d'or ou d'autres matériaux" équivaut à "préférer de la matière inanimée et inférieure à l'image de Dieu." Maintenant, il est vrai que Trullo ne mentionne pas explicitement la cuillère (peut-être que la cuillère Eucharistique n'avait pas encore été développée), et semble indiquer que les fidèles eux-mêmes apportent une sorte d'instrument dans lequel le prêtre place les éléments Eucharistiques; mais il est sûr que la raison théologique s'applique à la pratique Byzantine contemporaine d'administrer la Communion via la cuillère.
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2.] En passant, s'il vous plaît, comprenez-moi bien. Je ne suis en rien occupé à condamner les pratiques liturgiques Byzantines. La tradition liturgique Byzantine est une tradition magnifique et merveilleusement riche dans bien des domaines. Mais je voudrais aussi dire qu'aucune tradition liturgique particulière n'est une parfaite et complète expression de la Foi. Les différentes traditions ont un accent théologique différent. C'est une bonne chose, pas un mal. L'Eglise entière est enrichie par la légitime diversité liturgique. C'est une bonne chose d'être versé tant dans la tradition Orientale qu'Occidentale – "de respirer avec ses 2 poumons", pour utiliser une expression souvent mécomprise de l'actuel pape romain [
en 2004 = Jean-Paul II]. Sinon nous pourrions avoir une compréhension à courte vue et très limitée de la Foi. Trullo est une expression, de la part de l'Orient, d'un point de vue Byzantin de plus en plus limité et à courte vue. Il est certain que la même chose s'est aussi passée en Occident, et certainement, ce n'était pas bon non plus. Mais je voudrais dire qu'il était correct pour Rome de rejeter ces canons d'in Trullo contraires à ses vénérables traditions, de même qu'il était correct pour l'Orient de rejeter la grave introductions Occidentale de la clause du "Filioque" dans le Credo oecuménique de l'Eglise.
7:22 PM
Benjamin J. Andersen.
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Brève présentation de l'auteur de ce texte : diacre Benjamin J. Andersen (bientôt prêtre)1. comme Catholique-Romain :Bachelor in Philosophy, Pontifical Lateran University of RomeSaint John Vianney Seminary, RC archdiocese of Denverétudes en grec, latin, etc2. ensuite comme Orthodoxe :Master of Divinity Degree, Saint Vladimir Seminary, New York