VIE DE SAINT COLOMBAN DE LUXEUIL
d'après le Synaxaire byzantin (édition FR épuisée)
Récemment convertie au Christianisme par saint Patrick et ses disciples, l'Irlande connut au 6ieme siècle une floraison abondante de sainteté : les moines se réunissaient par milliers pour s'offrir au martyre volontaire de l'ascèse dans de grands regroupements monastiques semblables aux vastes concentrations de moines d'Égypte, de Syrie et de Palestine. Leur amour ardent de Dieu lié à un caractère fougueux leur faisait accomplir d'extraordinaires exploits dans la mortification mais attirait aussi sur eux la Grâce de Dieu et le pouvoir d'accomplir des miracles. Ces moines intrépides formaient le coeur de l'Église d'Irlande et contribuèrent grandement à la diffusion et à l'approfondissement de la vie chrétienne dans tout l'Occident d'alors. Parmi eux, la figure la plus attachante est certainement celle de saint Colomban, l'infatigable zélateur des commandements de Dieu.
Né vers 540 dans la province de Leinster, Colomban fut élevé dans l'étude des sciences profanes, fort en honneur parmi les chrétiens irlandais, et montra de grandes capacités. Mais, tourmenté par les ardeurs de la volupté et comprenant la vanité des espoirs terrestres, il alla se mettre sous la conduite d'un saint vieillard qui l'initia à la connaissance des saintes Écritures et à la vie ascétique. Il devint moine ensuite à Bangor, la plus célèbre abbaye d'Irlande, qui
comprenait près de trois cents moines, et compléta sa formation monastique sous la conduite de saint Comgal. Vers 590, Colomban ressentit en lui, comme nombre de ses compagnons d'ascèse, un appel particulier de Dieu à quitter sa patrie et les siens pour se soumettre à un exil volontaire et servir à l'évangélisation des peuples étrangers. Il s'embarqua donc pour la Gaule avec douze disciples, comme le Christ, et, guidé par la Providence, partit proclamer l'Évangile et la voie du repentir.
Averti de sa renommée, le roi de Burgondie, Gontran, l'invita dans les Vosges et lui offrit un terrain désert, où fut fondé le monastère d'Annegray. Les vertus de Colomban attirèrent bientôt autour de lui un grand nombre de disciples, qui voulaient, eux aussi, travailler à leur salut par les rudes travaux de l'ascèse. Il fut donc contraint de fonder à proximité un second monastère, Luxeuil; puis, un peu plus tard, un troisième, Fontaine. Le saint se trouvait à la tête de plusieurs centaines de moines. Fixé à Luxeuil, il supervisait ses trois communautés en s'appuyant sur l'autorité d'un prévôt dans chacune d'elle; mais par sa prière, il était le père de chaque moine et son intercesseur auprès de Dieu. Comme dans les laures orientales, l'organisation du monastère restait souple et soumise au caractère charismatique de la paternité spirituelle. On insistait fort sur l'ascèse corporelle, les jeûnes sévères, les fustigations et les séjours dans l'eau glacée pour soumettre le tempérament ardent des moines. Mais le monastère n'était pas seulement un lieu de combats violents contre les passions, il était aussi une image anticipée du ciel, et les moines, semblables aux anges, y célébraient une louange perpétuelle du Seigneur de Gloire. Colomban avait organisé la vie de ses trois communautés de manière à ce que les moines célèbrent sans cesse, nuit et jour, l'office divin, en se relayant par groupes (Laus perennis). (Cet usage se trouvait aussi au fameux monastère des Acémètes à Constantinople et connut une grande diffusion dans de nombreux monastères d'Occident au Moyen-âge). On observait ainsi à la lettre la recommandation de l'Apôtre : «Priez sans cesse !» (1 Thess 5,17).
Au bout de vingt ans cependant, Colomban fut chassé de Luxeuil sur l'ordre du roi Thierry, sollicité par sa grand-mère Brunehaut, dont il avait condamné énergiquement les dérèglements moraux. Il fut conduit jusqu'à Nantes pour prendre la route de l'Irlande. Mais, par la Volonté de Dieu, le navire sur lequel il s'était embarqué fut repoussé vers la côte. Le saint moine rentra donc en France et poursuivit sa sainte pérégrination, en marquant de son influence de nombreuses fondations monastiques. Il prit ensuite le chemin de Rome par la Germanie et prêcha l'Évangile aux peuples barbares qui habitaient sur les rives du lac de Constance. Il continuait aussi d'instruire ses disciples de Luxeuil et d'ailleurs par ses écrits; mais, poursuivi par la rancune de Thierry, il dut reprendre son périple vers l'Italie et s'établit en 612 au monastère de Bobbio dans l'Apennin, où il s'illustra dans ses combats contre l'arianisme jusqu'à son bienheureux trépas, en 615.
Cantique à chanter au réfectoire le jour de sa Fête
Tu es grand, ô illustre prêtre, enveloppé d'une auguste gloire.
Tu es la gloire des tiens, Colomba, parfum de l'univers.
Les cohortes des moines t'appelleront leur illustre père.
Sage t'ont nommé les grands, prophète t'ont appelé les rois.
5. Illustrés par tes oeuvres, tes préceptes le confirment
La beauté sacrée de la vie religieuse procure l'éclat.
On te tient pour la gloire des vertus, pour un soldat du Christ
En tenue de parade à jamais, quand tu profères tes préceptes par des discours sacrés.
De tous les métaux précieux, lesquels peuvent s'égaler à toi?
10. Les exploits des siècles passés se comparent-ils à tes saintes actions?
Ni la tête d'or, la Babylone des Perses,
Ni l'argent du vieux Darius le Mède, n'a rien eu de pareil.
Ni le bronze du Macédonien ne s'est jadis signalé ainsi à la guerre,
Ou le riverain du Nil et Cenchris noyés dans la mer.
15. Ils n'ont rien fait de grand qui ressemble à tes hauts faits,
Homère de Smyrne et Maron de Mantoue,
Ni Hannibal le Carthaginois ou Porus, l'opiniâtre Indien,
Ni Marius, Catulus, Scipion, Sylla, Gracchus,
Ni César, l'homme de fer, Bocchus le Numide, l'Ambron,
20. Le Celtibère, le Scythe, l'Ibère et le Sicambre.
Fécond comme le cèdre et le palmier, tu donnes tes fruits.
Tu es agréable comme l'or fin de Thessalie
Ton parfum a l'agrément des arbres à encens d'Arabie
Tu distilles le baume à la manière de l'arbre coupé d'Engaddi.
25. Sarment touffu, tu demeures la vraie vigne,
Onctueux comme l'olivier, tu déverses l'huile.
Grande est ta douceur, éclatante ta bonté.
Scrutant les profondeurs mystiques et pénétrant les secrets cachés,
Tu as bâti une maison fondée sur ce roc
30. Qui affermit la masse de l'univers créé.
Sur lui quiconque s'appuie, à jamais ferme il demeure.
Il est pierre d'angle, chrysoprase, jacinthe,
Sardonyx, émeraude, topase, béryl,
Chrysolithe et jaspe, saphir, améthyste,
35. Chalcédoine et sardoine, perle candide,
Mise à la base de la Jérusalem d'En-Haut.
Tu vis après la mort, achetant de ta mort la vie,
Tu voues à leur perte les fautes damnables, en subissant le dam de ta chair.
Tu t'exemptes de fautes crucifiables, en te chargeant de la croix du Christ.
40. En fuyant ta patrie, à la Patrie tu retournes.
Tu t'allies au roi éternel en méprisant les rois.
Aux délices du Paradis à tout jamais tu pénètres,
Pour y posséder le bonheur en des campagnes verdoyantes.
Le Seigneur, ami des vertus, t'a couronné,
45. En ses éternelles demeures il t'a placé.
Là, de ta voix sacrée, tu chantes des hymnes joyeuses.
A présent, tu reçois les trésors que tu as naguère mis en réserve,
Ceux que par un pieux commerce tu troquas dans le siècle.
Tu vois les choeurs des anges et des prophètes,
50. Les blanches foules des martyrs et des justes,
Inondé de lumière dorée, tu brilles en ce camp,
Où le Christ, ton chef, t'a ramené, après avoir occis par le poignard l'ennemi.
Tu as trouvé le Seigneur, ce Jésus que tu cherchais ici-bas,
Qui rend ainsi son trophée au guerrier triomphant du monde.
55. Tu marches sur la voie que tu t'es jadis préparée,
Qui conduit aux éternelles joies du paradis.
Tu as méprisé le monde, afin de posséder le Messie,
Avec qui tu demeures pour les siècles sans fin à venir.
Gloire à la Trinité, puissance à jamais digne de nos chants,
60. Dans les siècles présents et tous ceux à venir.