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Le dimanche qui suit est appelé dimanche de Carnaval [1] parce que pendant la semaine qui le suit, un jeûne limité est prescrit par l'Église – abstention de toute viande. Il faut comprendre cette prescription à la lumière de ce qui a été dit auparavant à propos de la signification de la préparation. L'Église commence maintenant à nous "ajuster" pour le grand effort qu'elle attendra de notre part 7 jours plus tard. Elle nous introduit progressivement dans cet effort – connaissant notre fragilité, prévoyant notre faiblesse spirituelle.
La veille de ce jour (Samedi de Carnaval), l'Église nous invite à une commémoration universelle de tous ceux qui "se sont endormis dans l'espoir de la résurrection et de la vie éternelle." C'est en effet le grand jour de prière de l'Église pour ses membres défunts. Pour comprendre la signification de cette relation entre le Grand Carême et la prière pour les défunts, il faut se souvenir que le Christianisme est la religion de l'amour. Le Christ a laissé Ses disciples non pas avec une doctrine de Salut individuel, mais avec un commandement nouveau : "aimez-vous les uns les autres", et Il avait ajouté : "C'est à l'amour que vous aurez les uns pour les autres, que tous vous reconnaîtront pour Mes disciples" (Jn 13,34-35). Dès lors, l'amour est le fondement, la vie même de l'Église qui est, selon les paroles de saint Ignace d'Antioche, "unité de Foi et d'amour."

A cet égard, l'amour Chrétien est quelque parfois l'opposé de "l'activisme social" avec lequel certains identifient si souvent le Christianisme de nos jours. Pour un "activiste social", l'objet de l'amour n'est pas la "personne", mais l'homme, une unité abstraite d'une non moins abstraite "humanité." Mais pour le Christianisme, l'homme est "aimable" parce qu'il est une personne. Là, la personne est réduite à l'humain; ici l'humain n'est vu que comme personne. L' "activiste social" n'est pas intéressé par ce qui est personnel, et le sacrifie facilement pour "l'intérêt commun." Le Christianisme peut semble être, et quelque part est en effet plutôt septique à propos de cette "humanité" toute abstraite, mais il commet un péché qui est mortel contre lui-même quand il abandonne sa préoccupation et son amour pour la personne. L'activisme social est toujours "futuriste" dans son approche; il agit toujours au nom de la justice, de l'ordre, d'un bonheur à venir, à atteindre. Le Christianisme se soucie peu de ce futur problématique, mais place tout l'accent sur le maintenant – l'unique moment décisif pour l'amour. Les 2 attitudes ne sont pas mutuellement exclusives, mais elles ne doivent pas être confondues. Assurément, les Chrétiens ont des responsabilités envers "ce monde", et ils doivent les assumer. C'est le domaine de "l'activisme social" qui appartient entièrement à "ce monde." L'amour Chrétien, cependant, vise au-delà de "ce monde." Il est en lui-même un rayonnement, une manifestation du Royaume de Dieu; il transcende et surmonte toutes les limitations, toutes les "conditions" de ce monde, parce que sa motivation de même que ses buts et son aboutissement sont en Dieu. Et nous savons que même en ce monde, qui "vit dans le mal", les seules victoires durables et transformantes sont celles de l'amour. Rappeler à l'homme cet amour et vocation personnels, remplir ce monde pécheur de cet amour – telle est la véritable mission de l'Église.
La parabole du Jugement Dernier traite de l'amour Chrétien. Nous ne sommes pas tous appelés à travailler pour "l'humanité", et cependant, chacun d'entre nous a reçu le don et la grâce de l'amour du Christ. Nous savons qu'au bout du compte, tous les hommes ont besoin de cet amour personnel – la reconnaissance en chacun d'eux de leur âme si unique, en laquelle la beauté de toute la Création se reflète d'une manière unique. Nous savons aussi que les hommes sont en prison et son malades et assoiffés et affamés, parce que cet amour personnel leur a été refusé. Et pour finir, nous savons qu'aussi étroit et limité puisse être le cadre de notre existence personnelle, chacun d'entre nous a été rendu responsable pour une infime partie du Royaume de Dieu, et rendu responsable par ce don même de l'amour du Christ. Dès lors, que nous ayons ou non accepté cette responsabilité, que nous ayons aimé ou refusé d'aimer, voilà sur quoi nous serons jugés. Car "toutes les fois que vous l'avez fait à l'un de Mes petits frères que voici, c'est à Moi-même que vous l'avez fait.."
[Extrait de "The Great Lent" ("Le Grand Carême"), par feu le protopresbytre Alexander Schmemann, SVS Press]
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Notes de traduction
[1] Le mot "carnaval" est passé dans le language populaire comme synomyne de débauches en tout genre, beuveries et mascarades. En fait, si l'origine du mot n'est pas rigoureusement garantie, les 2 versions latines données comme origine probable font référence à la viande, pas à une bachanale moderne :
carnem (viande) + levare (lever ou alléger) - retirer la viande ou arrêter de manger de la viande.
carno (viande) + vale (au revoir) - "au revoir à la viande" ou "au revoir à la chair", c'est-à-dire un sens plus religieux, quitter les soucis de la chair.
[2] Les Catholiques-Romains (église fondée au 11ème siècle) et
[3] les Protestants & Anglicans (églises fondées au 16ème siècle). Comme on le constate à la simple lecture des doctrines apostoliques originales comparées à celles exprimées dans les textes et liturgies Orthodoxes actuelles, ni [2] ni [3] ne sont héritiers du Christianisme d'Occident du premier millénaire, puisque ce dernier était Orthodoxe et en harmonie doctrinale avec l'Orient Chrétien, au contraire de ces 3 grands groupes nés par la suite, d'abord du Schisme (Catholiques-Romains), puis des Schismes à l'intérieur du Schisme (Anglicans & Protestants). Il faut être conséquent et logique : on ne saurait revendiquer un héritage théologique quand on prêche le contraire de cet héritage; car ce n'est alors plus une évolution - dans le sens de "dévelopement", comme un pommier se développera en partant d'une graine de pomme, tout étant contenu dans la graine mais devant encore se déployer avec le temps (cfr saint Vincent de Lérins) - mais bien un changement radical, aux lourdes implications sotériologiques. La vie éternelle, c'est un enjeu qui mérite un peu de sérieux. Enfin, je trouve.
