Ok, alors pourquoi pas une autre question, très valide en plus, qui est souvent posée dans les discussions à propos de la Tradition? Est-ce que la Bible ne suffit pas en et par elle-même sans le besoin de la moindre aide? Qu'en est-il de la doctrine de la "sola scriptura"?
Pour répondre à cette question, j'aimerais vous présenter un de mes héros préférés du passé de l'Église. Il s'appelle saint Vincent de Lérins, et il vécut et écrivit au 5ème siècle. Comme nous, il avait un amour profond et constant des Saintes Écritures. (N'est-ce pas honteux que nous les Chrétiens modernes nous assumons que nous sommes les seuls à être intéressés par la Parole de Dieu?) Voyez un peu comment il explique la manière de déterminer la véritable doctrine :
"J'ai souvent interrogé avec sérieux de saints érudits qui connaissaient la doctrine Chrétienne, demandant comment je pouvais distinguer la vérité de la Foi catholique (1) du mensonge de l'hérésie. Presque chaque fois, ils m'ont dit que si moi, ou n'importe qui d'autre, je voulais détecter l'hérésie, éviter les pièges posés par les hérétiques, et garder la vraie Foi, je devais, avec l'aide du Seigneur, renforcer ma propre confiance en ces 2 choses-ci :
1) L'autorité des Saintes Écritures;
2) La Tradition de l'Église.
A ce point, quelqu'un pourra vouloir demander : "puisque le Canon des Écritures est complet et plus que suffisant, quel besoin y-a-t'il de se joindre à l'autorité de l'interprétation que l'Église en donne?" Bonne question Mais il y a une réponse fort simple que nous connaissons tous si nous voulons bien réfléchir un moment: parce que vu la profondeur des Écritures, elles ne sont pas interprétées de la même manière par tous. L'un croit comprendre une chose dans un texte, et un autre pense que ça veut dire autre chose. Parfois il semble y avoir autant d'interprétations qu'il n'y a d'exégètes... Par conséquent, du fait des subtilités de toutes ces hérésies et doctrines incorrectes, nous devons formuler notre compréhension des écrits des Apôtres et des prophètes en harmonie avec les normes de l'interprétation ecclésiale et orthodoxe. (Paraphrase par le p. Jack N. Sparks du chapître 2 du "Commitorium")
En dehors du fait que ce passage est si pertinent pour notre époque contemporaine qu'il aurait pu avoir été écrit hier, l'ouvrage de saint Vincent est d'une importance vitale parce qu'il résume si parfaitement le besoin de la Tradition au cours d'une période ancienne de l'Église – plus ancienne même que saint Vincent lui-même. C'est à cause des innombrables hérésies cherchant à pervertir les Écritures que cette sainte Tradition était devenue si importante!
ANTIQUES HÉRÉSIES "SCRIPTURAIRES"
Remontons dans le temps, allons au premier siècle, et voyons un peu quelques unes des hérésies qui ont commencé à attaquer l'Église dès ses plus jeunes années. Comprendre ces hérésies c'est comprendre pourquoi l'Église, dès son commencement, a placé à un si haut degré d'importance le rôle de la sainte Tradition.
* Au première siècle, les Cérinthiens, un culte hérétique, enseignaient que le monde avait été formé d'une matière pré-existante, probablement par des anges. Jésus aurait entamé Sa vie comme un simple homme; la puissance divine serait descendue sur Lui lors de Son baptême, et L'aurait quitté avant la crucifixion.
* Eux aussi du premier siècle, les Ébionites enseignaient que Jésus n'était que le fils de Joseph et Marie. Le Saint Esprit serait venu sur Lui lors de Son baptême, mais pas avant.
* Au deuxième siècle, les Gnostiques prirent de l'importance. Ils enseignaient un large panel de doctrines philosophiques et pseudo-Chrétiennes, disant, entre autres, qu'il y avait une distinction entre le Dieu qui avait créé la matière, et l'Être Divin suprême et inconnaissable. Le monde était dès lors imparfait et non-spirituel. La véritable connaissance de Dieu ne pouvait être atteinte qu'à travers la "gnose" ou connaissance mystique.
* Toujours au 2ème siècle, les Marcionites enseignaient que le Dieu de l'Ancien Testament était différent du Dieu du Nouveau Testament. Jésus, qui n'avait pas vraiment eu un corps physique, humain, était venu pour renverser ce cruel dieu de loi et de violence.
* Au 3ème siècle, les Novatiens, une secte dure et légaliste, enseignait, partiellement, que l'âme humaine était préexistante, que l'âme de Jésus avait été unie à Jésus, le Verbe, quelque part dans le temps avant Son incarnation humaine.
* Encore au 3ème siècle, Sabellius enseignait que la Divinité ne consistait pas en 3 Personnes distinctes, mais qu'il n'y avait qu'une succession de modes ou d'opérations d'une même Personne.
* Au 4ème siècle, l'infâme hérétique Arius enseignait que le Fils n'était pas égal au Père ou de même substance que le Père.
Quelle soupe! Et ce n'est qu'une petite partie des enseignements d'une petite partie des antiques hérésies. En dehors du fait que certains de ces groupes divergeaient quand aux livres qu'ils croyaient former l'Ancien et le Nouveau Testament, savez-vous le point que tous avaient en commun? Comme les Mormons et les Témoins de Jéhovah de nos jours, ils affirmaient tous de manière catégorique que leurs vues bâtardes, c'était ça le véritable enseignement de l'Écriture!
METTONS LES CHOSES AU CLAIR
Dieu merci, depuis le début même de l'Église, dès l'époque des Apôtres eux-mêmes, les véritables héros de notre Foi ont combattu bec et ongles de telles perversions. Aucun, pas un seul d'entre eux, ne croyait que la Bible avait besoin d'une aide, d'un complément, pour devenir quelque part la Parole de Dieu. Vu les innombrables hérésies attaquant l'Église depuis le début, chacune d'entre elle utilisant l'Écriture pour rendre ses prétentions plus plausibles – selon les mots de saint Vincent, les hérétiques saupoudrent le parfum du langage céleste sur leurs doctrines, parce qu'ils sont "bien conscients que le parfum diabolique de leurs doctrines ne sera jamais accepté sur ses vapeurs nauséabondes sont libérées sans être cachées") -, c'étaient les Chrétiens sincères qui avaient besoin de l'aide – désespérément. Il fallait qu'il y ait un moyen de distinguer la vérité de l'erreur en ces années de formation cruciales pour l'Église. Une chose ne fonctionnerait pas, c'était certain : laisser chacun tirer ses propres conclusions concernant ce que la Bible voulait vraiment dire! Un des points de références les pus anciens et les plus importants que les premiers Chrétiens utilisaient pour déterminer les points essentiels de la véritable doctrine, c'était leurs formules baptismales.
Qu'est-ce que les catéchumènes venant pour recevoir le Baptême Chrétien proclamaient croire? Face à tout cet amoncellement de fausse doctrine, qu'étaient les points essentiels de la Foi salvatrice et biblique de l'Église? Les formules baptismales – concises, des déclarations de foi soigneusement composées (tel le Symbole des Apôtres, dont les racines remontent au 2ème siècle) - devinrent parmi les plus anciennes formes de Tradition [2]. Elles étaient la manière de l'Église pour protéger les nouveaux catéchumènes qui venaient chercher le Salut en Christ. Du fait de ces Credo baptismaux, l'Église était à même de dire "ceci sont les points essentiels de l'enseignement apostolique. C'est ainsi que les véritables Chrétiens comprennent les Écritures en ce qui concerne les points de foi d'importance vitale. Voici ce que vous devez croire pour être un Chrétien."
Je n'ai tout simplement pas la place dans le cadre de ce petit livret pour expliquer plus en profondeur l'histoire de la Tradition dans l'ancienne Église [3]. Cependant, je dirais qu'une des études les plus gratifiantes que j'aie entreprise de toute ma vie c'était d'examiner les enseignements d'hommes tels Irénée de Lyon, Tertullien, Hilaire de Poitiers, Athanase le Grand et Basile le Grand concernant ce sujet. Étant un de ceux "nés après la Bombe", quelqu'un dont la seule expérience d'interprétation biblique a été celle du vacarme contemporain d'opinions conflictuelles et contradictoires, cette étude a été comme la découverte d'une magnifique oasis au milieu d'un désert aride. J'avais enfin trouvé des hommes pieux qui étaient d'accord sur les points essentiels d'interprétation!
Je vais aussi dire en guise de conclusion que pour ces hommes, et en fait pour tous les grands héros de l'Église des temps anciens, les Écritures n'ont jamais été considérées comme quelque chose qu'il fallait décomposer et interpréter en les isolant de l'Église. Ca, c'est ce que faisaient les hérétiques. Pour les premiers Chrétiens, la Bible était le plus naturellement du monde comprise dans le contexte de l'Église, cette communauté de croyants, tant les vivants que les morts, qui croyaient, enseignaient, et plus important, célébraient en accord avec ce que les Apôtres avaient reçu du Seigneur Lui-même. Pour les premiers Chrétiens, cette sorte de fidèle tradition, cette "Règle de Foi", telle était l'interprétation de l'Écriture.
Notes de traduction.
[1] concernant le terme "catholique": il est capital de se souvenir que ce mot n'avait pas le sens confessionnel qu'il a pris au 16ème siècle, et ne désignait donc pas le vatican et ses dépendances, mais l'Église, dont le vatican ne fait bien entendu pas partie, ce groupe-là n'ayant été fondé officiellement qu'en 1014, soit près d'un millénaire après l'Église. Que ça plaise ou non, que ça fasse rire ou non, peu importe, les faits sont les faits, et les faits sont têtus. Bis repetita placet, je rajouterais que les textes anciens ont beaucoup de vocabulaire qui pose problème de traduction si on pense pouvoir traduire en faisant appel à la signification moderne de ce vocabulaire. Seule l'Église donne le sens au vocabulaire, qui sinon perd toute *permanence*, ce qui retire sa "lisibilité" à tout texte ancien. Et l'Église enseigne ce vocabulaire en son sein, et en contexte. Et uniquement elle et uniquement aux fidèles. Hors de l'Église, nul ne saurait comprendre vraiment ce que signifie l'enseignement du Christ transmis par les saints Apôtres et ceux à qui ils ont passé le flambeau.
"In ipso Catholica Ecclesia magnopere curandum est ut id teneamus quod ubique, quod semper, quod ab omnibus creditum est!"
[2] Mais ne formaient pas le tout : les premières années de l'Église, la prédication évangélique était exclusivement orale, la transmission (= "tradere", en latin, d'où "tradition") de tout l'enseignement apostolique s'est progressivement répandue dans le monde romain mais oralement. Quand saint Paul prêchait aux Corinthiens, il ne leur avait pas encore écrit les 3 épîtres (dont 2 subsistent, la première mentionnant cette 3ème, perdue) qui font partie du corpus du Nouveau Testament. La prédication ne se passait donc pas avec une Bible imprimée dans sa sacoche et sa petite liste de "confessions" ou de questions-réponses établie en Allemagne, États-Unis ou Corée du Sud, si vous voyez ce que je veux dire.
[3] Ceci fera l'objet de 2 articles de fond sur ce blogue dans les semaines à venir, a Deo permissum (pas certain de ma conjugaison!!)
Éventuellement, voir ces 2 articles non-orthodoxes sur le sujet (d'une revue catholique-romaine traditionnelle) :
L'enracinement des articles du Symbole des Apôtres dans le Nouveau Testament (un rappel montrant point par point que strictement tout provient du NT) :
http://www.amdg.be/pn/pn93-3b.html
Le Symbôle des Apôtres, légende et vérités (histoire de sa formulation et des légendes qui l'ont entourée)
http://www.amdg.be/pn/pn91-3a.html