VENANTIUS HONORIUS CLEMENTIANUS FORTUNATUS (530-609)
(diverses sources ont été utilisées pour composer ce récapitulatif bien pâle de la vie de ce grand saint de chez nous)
Évêque de Poitiers et principal poète latin de son époque, il est né en 530 près de Ceneda, à Trévise, en Vénitie, dans le nord de l'Italie. C'est une région liturgiquement "gallicane," avec Milan qui n'est qu'à 300km, sur le même parallèle, Milan, l'ancien siège du grand saint Ambroise. On retrouvera ces accents flamboyants du gallicanisme milanais dans son art liturgique.
Il étudia d'ailleurs à Milan et aussi à Ravenne, dans le but de devenir un maître en rhétorique et poésie, et il acquit une bonne connaissance de la littérature latine. On trouve les mêmes traits intellectuels chez saint Sidoine Apollinaire (21/8), cet autre grand hymnographe Orthodoxe d'Occident.
En 565, suite aux menaces que les Lombards faisaient peser sur la région (il le dira d'ailleurs), il part pour la Gaule française. Cette même année, il sera guéri miraculeusement d'une ophtalmie par l'intercession de saint Martin de Tours, ce qui le décidera à accomplir auprès du tombeau de celui-ci un pèlerinage de reconnaissance, mais en prenant des chemins détournés, car pèlerinage le menant un peu partout au gré de ses inspirations poétiques.
Il sera favorablement accueilli à la court du roi Sigebert d'Austrasie. Lors du mariage de ce dernier à Metz avec la princesse Wisigothe, la jeune Brune, il les honorera en composant un épithalame, un poème lyrique en vers latins, où il fait de Brunehilde une nouvelle Vénus et de Sigebert un nouvel Achile... Brune était arienne comme son peuple et sera rebaptisée Brunehilde après son baptême Orthodoxe; en français, nous la connaissons sous le nom de Brunehaut.
Après être resté un an ou 2 à la court du roi Sigebert, il parcourt la Gaule française, se liant d'amitié avec divers grands de l'époque, composant de petites poésies sur tout ce qui l'inspirait (jusqu'à la broderie de la nappe d'une table!).
Suivant les us et coutumes de son époque, qu'on a tendance à juger d'un peu haut de nos jours alors que nous vivons dans la fange morale jusqu'au cou, il tressait facilement des couronnes et colliers de louanges pour les grands de son temps. Les érudits modernes lui reprochent aussi à mots à peine couverts d'avoir composé l'éloge de la plupart des évêques avec lesquels il s'est trouvé en rapport, certes, mais dans ce dernier cas, le calendrier des saints de l'Église nous montre que c'était mérité. Il a chanté les rois Francs, Chilpéric, Sigebert, Caribert. Ses textes prêtent bien des vertus aux rois mérovingiens, qui, bien qu'au moins nominalement Orthodoxes depuis Clovis 1er, étaient encore assez frustes et brutes selon nos normes du "bien-paraître;" et lui de néanmoins les comparer aux grands sages de la Rome antique et aux héros des mythologies d'antan.. On sait que par la douceur, saint Eloi parvenait à amener le roi Dagobert à une vie relativement pieuse... On discerne cependant dans ces poèmes un peu flatteurs toute la vie et les moeurs de l'époque. Son grand talent en fera quasiment l'hymnographe officiel pour toute la Gaule française, auquel on aura recours pour l'inauguration d'une belle église, pour un décès d'un évêque ou d'un grand du moment, etc.
Continuant son voyage, il arrivera à Poitiers, se rendant sur la tombe de saint Hilaire. Puis il rendit visite à sainte Radegonde, princesse thuringienne, qui, après avoir été la femme du roi Clotaire, s'était retirée à 25 ans dans cette ville, vivant au monastère qu'elle avait fondé, le futur "monastère de Sainte-Croix," y menant une vie d'ascète. Fondatrice ou pas, sainte Radegonde n'en sera pourtant pas l'abbesse, mais, par choix, y servira comme diaconesse. Elle l'invitera à s'installer dans cette ville. Ordonné prêtre, probablement en 576, et de toute manière du vivant de sainte Radegonde. De laquelle, après avoir été le disciple, il sera ensuite devenu le chapelain et père spirituel. Plus de 20 ans après la mort de cette dernière, il fut élu évêque de Poitiers, en 599.
"Méprisant le monde, tu a mérité de gagner le Christ; cachée dans la clôture, tu voyais d'autant mieux le Ciel. Maintenant, tu tiens la voie étroite, pour faire au Ciel une entrée plus triomphale. En versant des larmes, tu moissonneras les joies véritables. Tu crucifie le corps, ton âme se nourrit de jeûnes : son Seigneur la garde par Son amour."
Vêpres de sainte Radegonde, par saint Venance
Il deviendra l'ami de saint Grégoire de Tours et d'autres éminents évêques de son époque. C'est poussé par saint Grégoire, l'évêque de Tours et l'historien des Francs, que Venance a réuni et publié ses poèmes en un recueil comprenant 11 livres. Ces oeuvres offrent un tableau fort intéressant de la société de l'époque.
* onze livres de Poèmes (tome 1, 2 et 3 de l'édition des Belles Lettres traduit par Marc Reydellet) ;
* In laudem sanctae Mariae (dans le tome 3 de l'édition des Belles Lettres traduit par Marc Reydellet)
* un poème en quatre chants sur la Vie de saint Martin (dans le tome 4 de l'édition des Belles Lettres traduit par S. Quesnel) ;
* une élégie sur la destruction du royaume de Thuringe, mis dans la bouche de sainte Radegonde ;
* des hymnes d’église, dont le Vexilla regis ;
* les vies en prose de plusieurs saints (voir plus bas) et une exposition de la Foi de l'Église d’après le Symbole dit "de saint Athanase d'Alexandrie."
On voit briller des éclairs de sensibilité profonde et de véritable poésie dans ses oeuvres. Mais les érudits modernes n'apprécient guère son style, ses manières, pourtant bien de son temps. Personnellement, quand je le vois composant un petit poème parce que la broderie de la nappe le touche, avec ses oiseaux et ses grappes, je suis tout sauf fermé. Ca me fait penser à une anecdote du père Païssios l'Athonite, qui rapportait l'histoire d'un saint moine du mont Athos à qui un pèlerin avait offert un petit poste de radio "pour être au courant de tout dans le monde" (alors que vivant en relation permanente avec Dieu, ils savent tout à l'avance..). Le moine avait réussi à trouver du positif dans l'objet, s'exclamant "oh, merveille, les ouvriers [chinois..] qui l'ont fabriqué sont sûrement Chrétiens, voyez, ils ont marqué la Croix ici" – ladite "croix" étant le signe "+" du bouton du volume... La marque distinctive d'un vrai saint, comme saint Venance Fortunat, c'est arriver à voir du beau et du bon en tout (bref tout mon contraire).
Saint Venance Fortunat mourut à Poitiers vers 609. Signe de son importance: sa postérité. Une épitaphe de Paul Diacre à son tombeau, aujourd'hui disparu, en la basilique Saint-Hilaire de Poitiers, l'appelle vers 785 "le plus grand des poètes", "sanctus, beatus", et demande son intercession.
L'hymne "Vexilla Regis" fut composée par saint Venance pour une occasion très particulière. Sainte Radegonde cherchait quelques reliques pour sa chapelle quand l’empereur Justin II "le jeune" et l’impératrice Sophie lui envoyèrent de Constantinople un morceau de la vraie Croix. Il est à noter que c'est une des rarissimes reliques de la vraie Croix à se trouver légitimement en Occident. Quasiment toutes les autres ont été volées par les vaticanistes durant leurs massacres, bains de sang, pillages, viols et autres innombrables exactions commis en Orient sous l'euphémisme "croisades;" un grand nombre de ces vols avec violences inouïes ont eu lieu lors de la prise de Constantinople en 1204...
Pour célébrer dignement l’arrivée de la sainte relique, l'ancienne reine demanda à saint Venance de composer une hymne pour la procession d’accompagnement jusqu’à la chapelle, hymne qui sera chantée pour la première fois le 19 novembre 569. C'est Venance, hymnographe mais probablement pas encore prêtre, qui fut choisi pour accueillir la relique à son arrivée à Poitiers. Lorsque les porteurs du saint fragment se trouvèrent à 3km de la ville, Venance, entouré d'une grande foule de fidèles, dont certains portaient bannières, croix et autres emblèmes sacrés, s'avança à sa rencontre. Tout en marchant, ils chantèrent cette hymne qu'il avait composée.
VEXILLA | |
Vexilla regis prodeunt, fulget crucis mysterium, quo carne carnis conditor suspensus est patibulo. Confixa clavis viscera tendens manus, vestigia redemptionis gratia hic inmolata est hostia. Quo vulneratus insuper mucrone diro lanceae, ut nos lavaret crimine, manavit unda et sanguine. Inpleta sunt quae concinit David fideli carmine, dicendo nationibus: regnavit a ligno deus. Arbor decora et fulgida, ornata regis purpura, electa, digno stipite tam sancta membra tangere! Beata cuius brachiis pretium pependit saeculi! statera facta est corporis praedam tulitque Tartari. Fundis aroma cortice, vincis sapore nectare, iucunda fructu fertili plaudis triumpho nobili. Salve ara, salve victima de passionis gloria, qua vita mortem pertulit et morte vitam reddidit. O Crux ave, spes unica, in hac triumphi gloria ! piis adauge gratiam, reisque dele crimina. Te, fons salutis Trinitas, collaudet omnis spiritus : quos per Crucis mysterium salvas, fove per saecula. | Les étendards du Roi s’avancent, et resplendit le Mystère de la Croix, à laquelle pend dans Sa chair le Créateur de la chair. La Victime est immolée pour la grâce de notre Rédemption, Ses entrailles accrochées au clou, Sa dépouille tendant les mains. Achevé par la funeste pointe d’une lance, Il laisse couler l’eau et la sang afin de nous laver de notre crime. Voici qu’est accompli ce que chantait David dans les psaumes de sa foi, disant aux nations : Dieu a régné par le bois. Choisi comme potence, Parée de la pourpre du Roi, cet arbre porte les membres sacrés comme une décoration resplendissante! Bienheureux arbre dont les branches supportent pendu le Salut des siècles! En échange de ce corps l’Hadès a été dépouillé. Comme signe d’un noble triomphe tu répands le parfum de ton bois, tu y joins la saveur de ton nectar, nous réjouissant du Fruit que tu portes. Salut, autel, salut, Victime, Pour la gloire de Ta Passion Où la Vie a souffert la mort Et par Sa mort nous a rendu la vie. Salut ô Croix, notre unique espoir, dans la gloire de ton triomphe! Offre la grâce aux hommes pieux, et détruis les crimes des coupables. C’est Toi, Trinité, source de notre Salut, que loue tout esprit : par le mystère de la Croix Tu nous sauves et nous guéris éternellement. |
Notes :
a. divers couplets manquent dans les copies catholiques-romaines, les Bénédictins signalant (en 1956) qu'il a été enlevé dans les éditions de leur groupe religieux (vatican). Qu'on comprenne bien mon commentaire : ils ont le droit de faire ce qu'ils veulent, nous ne sommes pas concernés. Mais bidouiller des textes des Pères ET laisser le produit finit sous le nom de l'auteur original, c'est de la forfanterie. Leurs dirigeants ne cessent de mentir au monde.
b. Jean-Louis Palierne, notre érudit qui a récemment quitté cette "vallée de larmes", y a fait large référence dans une discussion à propos du sens pour faire son Signe de Croix.
http://www.forum-orthodoxe.com/~forum/viewtopic.php
c. cette splendide Hymne a notamment été reprise dans diverses pièces liturgiques pour Pâques, tel cet "Officium sepulchri seu Resurrectionis" de Tours
Vexilla Regis, hymne de saint Venance Fortunat, en grégorien post-14ème siècle
Il est b/possible/b que la mélodie originale ait été préservée, sans certitude hélas, du fait de la destruction littérale de l'ancien plain-chant romain, le vrai grégorien, remplacé par ce que vous connaissez de nos jours.
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Tout Chrétien d'Occident connaît sûrement l'antique légende à propos de la forêt où fut construite la cathédrale de Chartres, disant qu'avant l'arrivée des missionnaires Chrétiens, quand régnait encore l'ancienne religion des Celtes, ils y avaient une statue d'une "vierge à l'enfant." Si non e vero! En tout cas, vu le nombre d'églises et de chapelles qui seront dédiées à Notre Dame, c'est clair que depuis les tous débuts de l'Église, la Mère de Dieu y était particulièrement vénérée. Dès lors, rien d'étonnant de voir saint Venance s'adonner à la poésie liturgique en son honneur. Voici un bref couplet de sa plume.
MARIA, MATER GRATIAE | |
María, Mater grátiae, Dulcis parens cleméntiae, Tu nos ab hoste prótege, Et mortis hora súscipe. Jesu, tibi sit glória, Qui natus es de Vírgine, Cum patre et almo Spíritu, In sempitérna saécula. Amen. | Ô Marie, Mère de la Grâce, Douce mère de la miséricorde Préserve-nous de l'Ennemi Et accueille-nous à l'heure de la mort. A Toi soit la gloire, Jésus, Qui est né de la Vierge, Avec le Père et le Saint Esprit Pour les siècles des siècles. Amen. |
I. A Nicetius, évêque de Trêves. Son château sur la Moselle.
Une montagne surgit, penchant sa masse sur l'abîme : la rive rocheuse lève une haute tête. Sur ces rocs découverts se dresse un cime chevelue, et sur leur front escarpé règne une crête inaccessible. Les terres remontent du fond des vallées et profitent à la colline : partout le sol abaissé s'incline, et la côte s'élève. La Moselle bouillonnante et le petit Rhodanus aussi (la Dhron) l'environnent, et de leurs poissons à l'envi nourrissent la contrée. Ces fleuves vagabonds ravissent ailleurs cette proie, qui te crée ainsi, Mediolanus, un doux aliment. Plus l'onde grossit, plus le poisson abonde ; et s'approche ; et la rapacité des flots fournit une facile nourriture. L'habitant de ces lieux contemple avec joie de fertiles sillons, et fait des vœux pour que la moisson soit lourde et féconde. Le laboureur repaît ses yeux de la récolte qu'il espère : son regard moissonne les trésors avant que la saison ne les produise. Le champ s'égaye et rit, couvert de verdoyants herbages, et les prés veloutés charment l'esprit qui les parcourt. Nicetius, homme apostolique, visita ces campagnes ; et le pasteur y construisit à son troupeau la bergerie désirée. Il entoura partout la colline d'une enceinte de trente tours, et montra un monument où s'élevait auparavant une forêt. Du sommet de la colline descendent les bras d'une muraille dont les eaux de la Moselle sont la limite. Cependant le palais brille, bâti sur la cime du roc, et, sur le mont où il repose, parait lui-même une montagne. Nicetius se plut à enfermer d'un rempart ces vastes espaces, et seule cette demeure forme presque un château. Des colonnes de marbre soutiennent le faîte de ce palais, du haut duquel on voit les navires courir l'été sur le fleuve. Un triple rang d'arcades accroît encore l'étendue de l'édifice, et, monté sur le comble, on dirait que le toit recouvre des arpents. Debout devant nous, une tour domine le versant qui fait face : c'est le lieu consacré aux saints : c'est là que les guerriers se tiennent en armes. Là se trouve aussi la baliste à double charge, qui laisse après soi la mort et revient en arrière. L'onde, chassée dans les détours des conduits qui la retiennent, agite une meule qui donne au peuple sa nourriture. Sur des coteaux stériles, Nicetius apporta les raisins au jus savoureux : la vigne cultivée verdoie aux lieux où fut la ronce. Çà et là s'élèvent des vergers que la greffe féconde, et les parfums variés de leurs fleurs embaument la campagne. A toi la gloire de tous ces travaux dont nous chantons l'éloge, pasteur généreux, qui répands tant de bienfaits sur ton troupeau !
II. Sa navigation sur la Moselle.
Je rencontre les rois aux lieux où s'élèvent les remparts de Mettis (Metz) ; je suis vu des maîtres et retenu à cheval. Je reçois l'ordre ensuite de parcourir en navigateur la Moselle, aidé de la rame pour hâter ma course et glisser sur l'onde frémissante. Le navigateur monte aussitôt sur un navire, il s'élance sur un frêle esquif ; et la proue, sans être poussée par les vents, volait sur les flots. Cependant, il est un endroit où des récifs cachés près de la rive resserrent le lit du fleuve dont les vagues se soulèvent. Entraînée par un élan rapide, la nef se jette contre cet écueil, et peu s'en fallut qu'elle ne bût à plein ventre l'onde bouillonnante. Arraché du péril, je revois en liberté la plaine et l'espace, et, fuyant cet abîme, je vogue à travers de riants paysages. J'arrive à ce gouffre où les flots de l'Orna (l'Ornes) tombent dans la Moselle, et, doublant la force du courant, secondent notre marche. Sur les eaux refoulées du fleuve, je dirige ma nef avec prudence pour ne pas m'exposer à me faire repêcher dans la nasse comme un poisson. Voguant au milieu des villas dont les toits fument sur la rive, je parviens à l'embouchure où se jette la Sura (la Saur). Puis, passant entre des collines qui dominent la grève et de creuses vallées, nous glissons jusqu'à la Sara (la Sarre) sur la pente du fleuve, qui nous porte ainsi aux lieux où se découvrent les hautes murailles de Treviri (Trêves), noble reine des plus nobles cités. Le fleuve nous conduit ensuite, en côtoyant l'antique palais du sénat, à la place où cette ruine apparaît tout entière, puissante encore par ses débris. De tous côtés nous apercevons des montagnes aux crêtes menaçantes, dont les rocs aigus surgissent et percent la nue. Partout des pics escarpés projettent leurs cimes superbes, et le granit barbu grandit avec la montagne et s'élève vers les astres. Et ces durs cailloux n'ont pas la liberté d'être stériles : la roche même est féconde et le vin en découle. On aperçoit partout des collines vêtues de bourgeons : leur chevelure de pampre frissonne sous la brise qui passe. Entre les pierres se pressent les rangs de vignes, et leur ligne régulière et bigarrée attire le regard. Parmi des roches hideuses le laboureur fait briller la culture, et sur la blancheur de la pierre rougit le doux reflet de la vigne. D'âpres rochers enfantent les mielleux raisins, et sur un tuf stérile se plait la grappe féconde. La chauve montagne couronne la vigne de sa crête, et les verts ombrages du pampre couvrent les arides métaux de la montagne. Bientôt le vigneron cueille les grappes colorées, et le vendangeur semble suspendu lui-même à ces rochers qui pendent. Je trouvai du plaisir pour mes yeux et des aliments pour ma bouche dans chacun de ces agréables royaumes que j'occupais à mesure que mon navire suivait sa route. Les eaux me conduisent ensuite aux lieux où Contrua (le Cond ou Gondorf) se remplit de vaisseaux, où brilla jadis une illustre tête. Puis j'arrive au point où les affluents des deux fleuves se réunissent, d'un côté le Rhin écumant, de l'autre la fertile Moselle. Tout le long de cette route, les eaux nous apportaient leur tribut de poissons : pour les rois et les maîtres les trésors pullulent dans le fleuve. Et pour que nul plaisir ne fît faute au voyageur, je me repaissais des chants des muses et mon oreille s'abreuvait de mélodies. De leurs bruyants accords les instruments frappaient les montagnes, et les rocs suspendus nous rendaient leurs accents. La toile d'airain exhalait mollement de paisibles murmures, et l'arbre de la colline répondait à la voix du roseau. Tantôt frémissante et saccadée, tantôt calmé et unie, la musique résonne telle aux flancs des rochers, qu'elle s'échappe de l'airain. Les chants, par leur douceur, rapprochent les rives opposées : collines et fleuve n'ont qu'une voix, grâce à ces mélodies. Tels sont les plaisirs que recherche pour le peuple la bonté des rois, et toujours elle trouve quand sa sollicitude commande. J'approche rapidement des remparts du château d'Antonnacum (Andernach), en suivant ma route sur le vaisseau qui me porte. Là, quoique sur de vastes espaces la vigne garnisse les collines, d'un autre côté la plaine a des guérets fertiles. Cependant cette belle contrée abonde de richesses préférables encore : ses habitants recueillent d'autres trésors au sein des eaux. Et quand les rois de leur présence embellissent le séjour de ce palais, et que les tables en leur honneur se parent de banquets de fête, on visite les filets et ces rets d'osier d'où l'on retire le saumon. Assis sur le rempart, le roi compte les poissons, il applaudit chaque fois qu'un poisson sort du fleuve immense, il encourage le pêcheur en voyant son butin venir. Ici, témoin d'une pèche heureuse, là, rendant le palais joyeux, il repaît ses yeux d'abord de ces délices que sa bouche savoure ensuite. A sa table aussi se présente le citoyen étranger du Rhin, et la troupe des convives fait son éloge en le croquant. Que longtemps le Seigneur, seigneurs, nous offre de tels spectacles ! donnez aux peuples de beaux jours : que la sérénité de votre front répande la joie dans tous les cœurs, et que votre grandeur trouve le bonheur dans celui de vos sujets !
traduction E. F. Corpet, 1843
Lawrence Alma-Tadema, 1862
Musée de Dordrecht, Pays-Bas
Les poèmes de saint Venance sont parus en 4 volumes, édition des Belles Lettres, traducteur Marc Reydellet, Collection des universités de France, série latine :
Autre brève bibliographie sur saint Venance :
http://www.musicologie.org/Biographies/f/fortunatus.html
On le trouve à partir de la page 119 dans "Histoire du royaume mérovingien d'Austrasie", par m. A. Huguenin, professeur à la faculté des Lettres de Grenoble :
http://books.google.com/books/pdf/Histoire_du_royaume_m__rovingien_d_Austr.pdf
Comme on le lit plus haut, parmi ses oeuvres, on trouve l'hymne "Pange, lingua." Cependant, de l'aveu même de son groupe religieux, il existe une version modifiée de Thomas d'Aquin au 12ème siècle – probablement encore une fois afin de faire "coller" à leurs nouvelles idées.
Et la version originale a été modifiée à son tour par Urbain VIII en 1632, et pas un peu...
La version latine ci-dessous POURRAIT être correcte, Oxford n'étant pas le vatican; mais je n'en suis pas sûr car je n'ai pas vu le manuscrit utilisé par leur édition, et je me méfie de tout en la matière. Pour trouver à coup sûr un non-falsifié, il faudrait fouiller les bibliothèques des anciens monastères Orthodoxes d'Occident, mais nous n'en n'avons plus les clés depuis mille ans déjà, et tant y a été détruit et remplacé par du faux..
Pange, | |
Pange, lingua, gloriosi proelium certaminis et super crucis tropaeo dic triumphum nobilem, qualiter redemptor orbis immolatus vicerit. De parentis protoplasti fraude factor condolens, quando pomi noxialis morte morsu corruit, ipse lignum tunc notavit, damna ligni ut solveret. Hoc opus nostrae salutis ordo depoposcerat, multiformis perditoris arte ut artem falleret et medelam ferret inde, hostis unde laeserat. Quando venit ergo sacri plenitudo temporis, missus est ab arce patris natus orbis conditor atque ventre virginali carne factus prodiit. Vagit infans inter arta conditus praesaepia, membra pannis involuta virgo mater adligat, et pedes manusque crura stricta pingit fascia. Lustra sex qui iam peracta tempus implens corporis, se volente, natus ad hoc, passioni deditus, agnus in crucis levatur immolandus stipite. Hic acetum, fel, arundo, sputa, clavi, lancea; mite corpus perforatur; sanguis, unda profluit, terra pontus astra mundus quo lavantur flumine. Crux fidelis, inter omnes arbor una nobilis, nulla talem silva profert flore, fronde, germine, dulce lignum dulce clavo dulce pondus sustinens. Flecte ramos, arbor alta, tensa laxa viscera, et rigor lentescat ille quem dedit nativitas, ut superni membra regis mite tendas stipite. Sola digna tu fuisti ferre pretium saeculi atque portum praeparare nauta mundo naufrago, quem sacer cruor perunxit fusus agni corpore. |
On trouve la plupart de ses oeuvres en ligne en format "image" ici, mais je n'ai hélas pour le moment pas le temps d'aller effectuer une recherche "page par page" pour y retrouver l'édition critique du "Pange lingua"
Monumenta Germaniae Historica (MGH)
Auctores antiquissimi,
t. 4-1, 1881, poetica, éd. Leo;
t. 4-2, 1885, ed. Krusch
On voit dans les vénérations de saint Venance cette absence de cloisonnement ethno-phylétiste qui caractérise hélas l'Église de nos jours. Pour lui, saint Alban, le proto-martyr d'Angleterre, était un de ses amis spirituels. En 580, il en écrira ce bref verset : "Albanum egregium fecunda Britannia profert" ("La féconde Grande-Bretagne invoque le grand nom d'Alban").
martyre de saint Alban et son tombeau restauré