"Ô étrange Église Orthodoxe, si pauvre et si faible, qui se maintient comme par miracle à travers tant de vicissitudes et de luttes. Église de contrastes, à la fois si traditionnelle et si libre, si archaïque et si vivante, si ritualiste et si personnellement mystique.
Église où la perle de grand prix de l'Évangile est précieusement conservée, parfois sous une couche de poussière. Église qui souvent n'a pas su agir, mais qui sait chanter comme nulle autre la joie de Pâques."
P. Lev Gillet ("Un moine de l'Eglise d'Orient)

14 décembre 2007

Saint Venance Fortunat et les Étendards du Roi

En ce jour où en Belgique Orthodoxe, nous devrions fêter liturgiquement notre père saint Folquin, évêque du siège apostolique de Thérouanne (Flandres côtières), né au Ciel en 855, nous avons cependant un très grand parmi les grands dans le calendrier des saints Orthodoxes d'Occident : saint Venance Fortunat. Hymnographe, liturge, poète (aussi un peu flagorneur dans ce rôle quand il était encore laïc, fallait bien assurer sa pitance..), chapelain de sainte Radegonde (excusez du peu) puis évêque de Poitiers, où il veillera sur le troupeau du Seigneur dans la fidélité à la Foi des Apôtres, la Foi Orthodoxe, jusqu'à son départ pour le Royaume après l'an 600. Attardons-nous un peu sur cette perle de la couronne de l'Église du Christ en Occident.



VENANTIUS HONORIUS CLEMENTIANUS FORTUNATUS (530-609)

(diverses sources ont été utilisées pour composer ce récapitulatif bien pâle de la vie de ce grand saint de chez nous)

Évêque de Poitiers et principal poète latin de son époque, il est né en 530 près de Ceneda, à Trévise, en Vénitie, dans le nord de l'Italie. C'est une région liturgiquement "gallicane," avec Milan qui n'est qu'à 300km, sur le même parallèle, Milan, l'ancien siège du grand saint Ambroise. On retrouvera ces accents flamboyants du gallicanisme milanais dans son art liturgique.
Il étudia d'ailleurs à Milan et aussi à Ravenne, dans le but de devenir un maître en rhétorique et poésie, et il acquit une bonne connaissance de la littérature latine. On trouve les mêmes traits intellectuels chez saint Sidoine Apollinaire (21/8), cet autre grand hymnographe Orthodoxe d'Occident.
En 565, suite aux menaces que les Lombards faisaient peser sur la région (il le dira d'ailleurs), il part pour la Gaule française. Cette même année, il sera guéri miraculeusement d'une ophtalmie par l'intercession de saint Martin de Tours, ce qui le décidera à accomplir auprès du tombeau de celui-ci un pèlerinage de reconnaissance, mais en prenant des chemins détournés, car pèlerinage le menant un peu partout au gré de ses inspirations poétiques.
Il sera favorablement accueilli à la court du roi Sigebert d'Austrasie. Lors du mariage de ce dernier à Metz avec la princesse Wisigothe, la jeune Brune, il les honorera en composant un épithalame, un poème lyrique en vers latins, où il fait de Brunehilde une nouvelle Vénus et de Sigebert un nouvel Achile... Brune était arienne comme son peuple et sera rebaptisée Brunehilde après son baptême Orthodoxe; en français, nous la connaissons sous le nom de Brunehaut.
Après être resté un an ou 2 à la court du roi Sigebert, il parcourt la Gaule française, se liant d'amitié avec divers grands de l'époque, composant de petites poésies sur tout ce qui l'inspirait (jusqu'à la broderie de la nappe d'une table!).
Suivant les us et coutumes de son époque, qu'on a tendance à juger d'un peu haut de nos jours alors que nous vivons dans la fange morale jusqu'au cou, il tressait facilement des couronnes et colliers de louanges pour les grands de son temps. Les érudits modernes lui reprochent aussi à mots à peine couverts d'avoir composé l'éloge de la plupart des évêques avec lesquels il s'est trouvé en rapport, certes, mais dans ce dernier cas, le calendrier des saints de l'Église nous montre que c'était mérité. Il a chanté les rois Francs, Chilpéric, Sigebert, Caribert. Ses textes prêtent bien des vertus aux rois mérovingiens, qui, bien qu'au moins nominalement Orthodoxes depuis Clovis 1er, étaient encore assez frustes et brutes selon nos normes du "bien-paraître;" et lui de néanmoins les comparer aux grands sages de la Rome antique et aux héros des mythologies d'antan.. On sait que par la douceur, saint Eloi parvenait à amener le roi Dagobert à une vie relativement pieuse... On discerne cependant dans ces poèmes un peu flatteurs toute la vie et les moeurs de l'époque. Son grand talent en fera quasiment l'hymnographe officiel pour toute la Gaule française, auquel on aura recours pour l'inauguration d'une belle église, pour un décès d'un évêque ou d'un grand du moment, etc.

Continuant son voyage, il arrivera à Poitiers, se rendant sur la tombe de saint Hilaire. Puis il rendit visite à sainte Radegonde, princesse thuringienne, qui, après avoir été la femme du roi Clotaire, s'était retirée à 25 ans dans cette ville, vivant au monastère qu'elle avait fondé, le futur "monastère de Sainte-Croix," y menant une vie d'ascète. Fondatrice ou pas, sainte Radegonde n'en sera pourtant pas l'abbesse, mais, par choix, y servira comme diaconesse. Elle l'invitera à s'installer dans cette ville. Ordonné prêtre, probablement en 576, et de toute manière du vivant de sainte Radegonde. De laquelle, après avoir été le disciple, il sera ensuite devenu le chapelain et père spirituel. Plus de 20 ans après la mort de cette dernière, il fut élu évêque de Poitiers, en 599.

"Méprisant le monde, tu a mérité de gagner le Christ; cachée dans la clôture, tu voyais d'autant mieux le Ciel. Maintenant, tu tiens la voie étroite, pour faire au Ciel une entrée plus triomphale. En versant des larmes, tu moissonneras les joies véritables. Tu crucifie le corps, ton âme se nourrit de jeûnes : son Seigneur la garde par Son amour."
Vêpres de sainte Radegonde, par saint Venance

Il deviendra l'ami de saint Grégoire de Tours et d'autres éminents évêques de son époque. C'est poussé par saint Grégoire, l'évêque de Tours et l'historien des Francs, que Venance a réuni et publié ses poèmes en un recueil comprenant 11 livres. Ces oeuvres offrent un tableau fort intéressant de la société de l'époque.
* onze livres de Poèmes (tome 1, 2 et 3 de l'édition des Belles Lettres traduit par Marc Reydellet) ;
* In laudem sanctae Mariae (dans le tome 3 de l'édition des Belles Lettres traduit par Marc Reydellet)
* un poème en quatre chants sur la Vie de saint Martin (dans le tome 4 de l'édition des Belles Lettres traduit par S. Quesnel) ;
* une élégie sur la destruction du royaume de Thuringe, mis dans la bouche de sainte Radegonde ;
* des hymnes d’église, dont le Vexilla regis ;
* les vies en prose de plusieurs saints (voir plus bas) et une exposition de la Foi de l'Église d’après le Symbole dit "de saint Athanase d'Alexandrie."

On voit briller des éclairs de sensibilité profonde et de véritable poésie dans ses oeuvres. Mais les érudits modernes n'apprécient guère son style, ses manières, pourtant bien de son temps. Personnellement, quand je le vois composant un petit poème parce que la broderie de la nappe le touche, avec ses oiseaux et ses grappes, je suis tout sauf fermé. Ca me fait penser à une anecdote du père Païssios l'Athonite, qui rapportait l'histoire d'un saint moine du mont Athos à qui un pèlerin avait offert un petit poste de radio "pour être au courant de tout dans le monde" (alors que vivant en relation permanente avec Dieu, ils savent tout à l'avance..). Le moine avait réussi à trouver du positif dans l'objet, s'exclamant "oh, merveille, les ouvriers [chinois..] qui l'ont fabriqué sont sûrement Chrétiens, voyez, ils ont marqué la Croix ici" – ladite "croix" étant le signe "+" du bouton du volume... La marque distinctive d'un vrai saint, comme saint Venance Fortunat, c'est arriver à voir du beau et du bon en tout (bref tout mon contraire).

Saint Venance Fortunat mourut à Poitiers vers 609. Signe de son importance: sa postérité. Une épitaphe de Paul Diacre à son tombeau, aujourd'hui disparu, en la basilique Saint-Hilaire de Poitiers, l'appelle vers 785 "le plus grand des poètes", "sanctus, beatus", et demande son intercession.

L'hymne "Vexilla Regis" fut composée par saint Venance pour une occasion très particulière. Sainte Radegonde cherchait quelques reliques pour sa chapelle quand l’empereur Justin II "le jeune" et l’impératrice Sophie lui envoyèrent de Constantinople un morceau de la vraie Croix. Il est à noter que c'est une des rarissimes reliques de la vraie Croix à se trouver légitimement en Occident. Quasiment toutes les autres ont été volées par les vaticanistes durant leurs massacres, bains de sang, pillages, viols et autres innombrables exactions commis en Orient sous l'euphémisme "croisades;" un grand nombre de ces vols avec violences inouïes ont eu lieu lors de la prise de Constantinople en 1204...

Pour célébrer dignement l’arrivée de la sainte relique, l'ancienne reine demanda à saint Venance de composer une hymne pour la procession d’accompagnement jusqu’à la chapelle, hymne qui sera chantée pour la première fois le 19 novembre 569. C'est Venance, hymnographe mais probablement pas encore prêtre, qui fut choisi pour accueillir la relique à son arrivée à Poitiers. Lorsque les porteurs du saint fragment se trouvèrent à 3km de la ville, Venance, entouré d'une grande foule de fidèles, dont certains portaient bannières, croix et autres emblèmes sacrés, s'avança à sa rencontre. Tout en marchant, ils chantèrent cette hymne qu'il avait composée.











VEXILLA
REGIS


Vexilla
regis prodeunt,

fulget crucis mysterium,

quo carne carnis conditor

suspensus est patibulo.



Confixa clavis viscera

tendens manus, vestigia

redemptionis gratia

hic inmolata est hostia.



Quo vulneratus insuper

mucrone diro lanceae,

ut nos lavaret crimine,

manavit unda et sanguine.



Inpleta sunt quae concinit

David fideli carmine,

dicendo nationibus:

regnavit a ligno deus.



Arbor decora et fulgida,

ornata regis purpura,

electa, digno stipite

tam sancta membra tangere!



Beata cuius brachiis

pretium pependit saeculi!

statera facta est corporis

praedam tulitque Tartari.



Fundis aroma cortice,

vincis sapore nectare,

iucunda fructu fertili

plaudis triumpho nobili.



Salve ara, salve victima

de passionis gloria,

qua vita mortem pertulit

et morte vitam reddidit.



O Crux ave, spes unica,

in hac triumphi gloria !

piis adauge gratiam,

reisque dele crimina.



Te, fons salutis Trinitas,

collaudet omnis spiritus :

quos per Crucis mysterium

salvas, fove per saecula.
Les
étendards du Roi s’avancent,

et resplendit le Mystère de la Croix,

à laquelle pend dans Sa chair

le Créateur de la chair.



La Victime est immolée

pour la grâce de notre Rédemption,

Ses entrailles accrochées au clou,

Sa dépouille tendant les mains.



Achevé par la funeste pointe d’une lance,

Il laisse couler

l’eau et la sang

afin de nous laver de notre crime.



Voici qu’est accompli ce que chantait

David dans les psaumes de sa foi, disant aux nations :

Dieu a régné par le bois.



Choisi comme potence,

Parée de la pourpre du Roi,

cet arbre porte les membres sacrés

comme une décoration resplendissante!



Bienheureux arbre dont les branches

supportent pendu le Salut des siècles!

En échange de ce corps

l’Hadès a été
dépouillé.



Comme signe d’un noble triomphe

tu répands le parfum de ton bois,

tu y joins la saveur de ton nectar,

nous réjouissant du Fruit que tu portes.



Salut, autel, salut, Victime,

Pour la gloire de Ta Passion

Où la Vie a souffert la mort

Et par Sa mort nous a rendu la vie.



Salut ô Croix, notre unique espoir,

dans la gloire de ton triomphe!

Offre la grâce aux hommes pieux,

et détruis les crimes des coupables.



C’est Toi, Trinité, source de notre Salut,

que loue tout esprit :

par le mystère de la Croix

Tu nous sauves et nous guéris éternellement.

Notes :
a. divers couplets manquent dans les copies catholiques-romaines, les Bénédictins signalant (en 1956) qu'il a été enlevé dans les éditions de leur groupe religieux (vatican). Qu'on comprenne bien mon commentaire : ils ont le droit de faire ce qu'ils veulent, nous ne sommes pas concernés. Mais bidouiller des textes des Pères ET laisser le produit finit sous le nom de l'auteur original, c'est de la forfanterie. Leurs dirigeants ne cessent de mentir au monde.
b. Jean-Louis Palierne, notre érudit qui a récemment quitté cette "vallée de larmes", y a fait large référence dans une discussion à propos du sens pour faire son Signe de Croix.
http://www.forum-orthodoxe.com/~forum/viewtopic.php
c. cette splendide Hymne a notamment été reprise dans diverses pièces liturgiques pour Pâques, tel cet "Officium sepulchri seu Resurrectionis" de Tours




Vexilla Regis, hymne de saint Venance Fortunat, en grégorien post-14ème siècle
Il est b/possible/b que la mélodie originale ait été préservée, sans certitude hélas, du fait de la destruction littérale de l'ancien plain-chant romain, le vrai grégorien, remplacé par ce que vous connaissez de nos jours.

Cliquez sur l'image pour obtenir la partition complète

Tout Chrétien d'Occident connaît sûrement l'antique légende à propos de la forêt où fut construite la cathédrale de Chartres, disant qu'avant l'arrivée des missionnaires Chrétiens, quand régnait encore l'ancienne religion des Celtes, ils y avaient une statue d'une "vierge à l'enfant." Si non e vero! En tout cas, vu le nombre d'églises et de chapelles qui seront dédiées à Notre Dame, c'est clair que depuis les tous débuts de l'Église, la Mère de Dieu y était particulièrement vénérée. Dès lors, rien d'étonnant de voir saint Venance s'adonner à la poésie liturgique en son honneur. Voici un bref couplet de sa plume.











MARIA, MATER GRATIAE


María,
Mater grátiae,

Dulcis parens cleméntiae,

Tu nos ab hoste prótege,

Et mortis hora súscipe.



Jesu, tibi sit glória,

Qui natus es de Vírgine,

Cum patre et almo Spíritu,

In sempitérna saécula.



Amen.
Ô
Marie, Mère de la Grâce,

Douce mère de la miséricorde

Préserve-nous de l'Ennemi

Et accueille-nous à l'heure de la mort.



A Toi soit la gloire, Jésus,

Qui est né de la Vierge,

Avec le Père et le Saint Esprit

Pour les siècles des siècles.



Amen.

POÈME SUR LA MOSELLE.
I. A Nicetius, évêque de Trêves. Son château sur la Moselle.
Une montagne surgit, penchant sa masse sur l'abîme : la rive rocheuse lève une haute tête. Sur ces rocs découverts se dresse un cime chevelue, et sur leur front escarpé règne une crête inaccessible. Les terres remontent du fond des vallées et profitent à la colline : partout le sol abaissé s'incline, et la côte s'élève. La Moselle bouillonnante et le petit Rhodanus aussi (la Dhron) l'environnent, et de leurs poissons à l'envi nourrissent la contrée. Ces fleuves vagabonds ravissent ailleurs cette proie, qui te crée ainsi, Mediolanus, un doux aliment. Plus l'onde grossit, plus le poisson abonde ; et s'approche ; et la rapacité des flots fournit une facile nourriture. L'habitant de ces lieux contemple avec joie de fertiles sillons, et fait des vœux pour que la moisson soit lourde et féconde. Le laboureur repaît ses yeux de la récolte qu'il espère : son regard moissonne les trésors avant que la saison ne les produise. Le champ s'égaye et rit, couvert de verdoyants herbages, et les prés veloutés charment l'esprit qui les parcourt. Nicetius, homme apostolique, visita ces campagnes ; et le pasteur y construisit à son troupeau la bergerie désirée. Il entoura partout la colline d'une enceinte de trente tours, et montra un monument où s'élevait auparavant une forêt. Du sommet de la colline descendent les bras d'une muraille dont les eaux de la Moselle sont la limite. Cependant le palais brille, bâti sur la cime du roc, et, sur le mont où il repose, parait lui-même une montagne. Nicetius se plut à enfermer d'un rempart ces vastes espaces, et seule cette demeure forme presque un château. Des colonnes de marbre soutiennent le faîte de ce palais, du haut duquel on voit les navires courir l'été sur le fleuve. Un triple rang d'arcades accroît encore l'étendue de l'édifice, et, monté sur le comble, on dirait que le toit recouvre des arpents. Debout devant nous, une tour domine le versant qui fait face : c'est le lieu consacré aux saints : c'est là que les guerriers se tiennent en armes. Là se trouve aussi la baliste à double charge, qui laisse après soi la mort et revient en arrière. L'onde, chassée dans les détours des conduits qui la retiennent, agite une meule qui donne au peuple sa nourriture. Sur des coteaux stériles, Nicetius apporta les raisins au jus savoureux : la vigne cultivée verdoie aux lieux où fut la ronce. Çà et là s'élèvent des vergers que la greffe féconde, et les parfums variés de leurs fleurs embaument la campagne. A toi la gloire de tous ces travaux dont nous chantons l'éloge, pasteur généreux, qui répands tant de bienfaits sur ton troupeau !

II. Sa navigation sur la Moselle.
Je rencontre les rois aux lieux où s'élèvent les remparts de Mettis (Metz) ; je suis vu des maîtres et retenu à cheval. Je reçois l'ordre ensuite de parcourir en navigateur la Moselle, aidé de la rame pour hâter ma course et glisser sur l'onde frémissante. Le navigateur monte aussitôt sur un navire, il s'élance sur un frêle esquif ; et la proue, sans être poussée par les vents, volait sur les flots. Cependant, il est un endroit où des récifs cachés près de la rive resserrent le lit du fleuve dont les vagues se soulèvent. Entraînée par un élan rapide, la nef se jette contre cet écueil, et peu s'en fallut qu'elle ne bût à plein ventre l'onde bouillonnante. Arraché du péril, je revois en liberté la plaine et l'espace, et, fuyant cet abîme, je vogue à travers de riants paysages. J'arrive à ce gouffre où les flots de l'Orna (l'Ornes) tombent dans la Moselle, et, doublant la force du courant, secondent notre marche. Sur les eaux refoulées du fleuve, je dirige ma nef avec prudence pour ne pas m'exposer à me faire repêcher dans la nasse comme un poisson. Voguant au milieu des villas dont les toits fument sur la rive, je parviens à l'embouchure où se jette la Sura (la Saur). Puis, passant entre des collines qui dominent la grève et de creuses vallées, nous glissons jusqu'à la Sara (la Sarre) sur la pente du fleuve, qui nous porte ainsi aux lieux où se découvrent les hautes murailles de Treviri (Trêves), noble reine des plus nobles cités. Le fleuve nous conduit ensuite, en côtoyant l'antique palais du sénat, à la place où cette ruine apparaît tout entière, puissante encore par ses débris. De tous côtés nous apercevons des montagnes aux crêtes menaçantes, dont les rocs aigus surgissent et percent la nue. Partout des pics escarpés projettent leurs cimes superbes, et le granit barbu grandit avec la montagne et s'élève vers les astres. Et ces durs cailloux n'ont pas la liberté d'être stériles : la roche même est féconde et le vin en découle. On aperçoit partout des collines vêtues de bourgeons : leur chevelure de pampre frissonne sous la brise qui passe. Entre les pierres se pressent les rangs de vignes, et leur ligne régulière et bigarrée attire le regard. Parmi des roches hideuses le laboureur fait briller la culture, et sur la blancheur de la pierre rougit le doux reflet de la vigne. D'âpres rochers enfantent les mielleux raisins, et sur un tuf stérile se plait la grappe féconde. La chauve montagne couronne la vigne de sa crête, et les verts ombrages du pampre couvrent les arides métaux de la montagne. Bientôt le vigneron cueille les grappes colorées, et le vendangeur semble suspendu lui-même à ces rochers qui pendent. Je trouvai du plaisir pour mes yeux et des aliments pour ma bouche dans chacun de ces agréables royaumes que j'occupais à mesure que mon navire suivait sa route. Les eaux me conduisent ensuite aux lieux où Contrua (le Cond ou Gondorf) se remplit de vaisseaux, où brilla jadis une illustre tête. Puis j'arrive au point où les affluents des deux fleuves se réunissent, d'un côté le Rhin écumant, de l'autre la fertile Moselle. Tout le long de cette route, les eaux nous apportaient leur tribut de poissons : pour les rois et les maîtres les trésors pullulent dans le fleuve. Et pour que nul plaisir ne fît faute au voyageur, je me repaissais des chants des muses et mon oreille s'abreuvait de mélodies. De leurs bruyants accords les instruments frappaient les montagnes, et les rocs suspendus nous rendaient leurs accents. La toile d'airain exhalait mollement de paisibles murmures, et l'arbre de la colline répondait à la voix du roseau. Tantôt frémissante et saccadée, tantôt calmé et unie, la musique résonne telle aux flancs des rochers, qu'elle s'échappe de l'airain. Les chants, par leur douceur, rapprochent les rives opposées : collines et fleuve n'ont qu'une voix, grâce à ces mélodies. Tels sont les plaisirs que recherche pour le peuple la bonté des rois, et toujours elle trouve quand sa sollicitude commande. J'approche rapidement des remparts du château d'Antonnacum (Andernach), en suivant ma route sur le vaisseau qui me porte. Là, quoique sur de vastes espaces la vigne garnisse les collines, d'un autre côté la plaine a des guérets fertiles. Cependant cette belle contrée abonde de richesses préférables encore : ses habitants recueillent d'autres trésors au sein des eaux. Et quand les rois de leur présence embellissent le séjour de ce palais, et que les tables en leur honneur se parent de banquets de fête, on visite les filets et ces rets d'osier d'où l'on retire le saumon. Assis sur le rempart, le roi compte les poissons, il applaudit chaque fois qu'un poisson sort du fleuve immense, il encourage le pêcheur en voyant son butin venir. Ici, témoin d'une pèche heureuse, là, rendant le palais joyeux, il repaît ses yeux d'abord de ces délices que sa bouche savoure ensuite. A sa table aussi se présente le citoyen étranger du Rhin, et la troupe des convives fait son éloge en le croquant. Que longtemps le Seigneur, seigneurs, nous offre de tels spectacles ! donnez aux peuples de beaux jours : que la sérénité de votre front répande la joie dans tous les cœurs, et que votre grandeur trouve le bonheur dans celui de vos sujets !
traduction E. F. Corpet, 1843

Venantius Fortunatus déclamant ses poèmes à la diaconesse et ex-reine sainte Radegonde
Lawrence Alma-Tadema, 1862
Musée de Dordrecht, Pays-Bas

Les poèmes de saint Venance sont parus en 4 volumes, édition des Belles Lettres, traducteur Marc Reydellet, Collection des universités de France, série latine :


Autre brève bibliographie sur saint Venance :
http://www.musicologie.org/Biographies/f/fortunatus.html

On le trouve à partir de la page 119 dans "Histoire du royaume mérovingien d'Austrasie", par m. A. Huguenin, professeur à la faculté des Lettres de Grenoble :
http://books.google.com/books/pdf/Histoire_du_royaume_m__rovingien_d_Austr.pdf


Comme on le lit plus haut, parmi ses oeuvres, on trouve l'hymne "Pange, lingua." Cependant, de l'aveu même de son groupe religieux, il existe une version modifiée de Thomas d'Aquin au 12ème siècle – probablement encore une fois afin de faire "coller" à leurs nouvelles idées.
Et la version originale a été modifiée à son tour par Urbain VIII en 1632, et pas un peu...
La version latine ci-dessous POURRAIT être correcte, Oxford n'étant pas le vatican; mais je n'en suis pas sûr car je n'ai pas vu le manuscrit utilisé par leur édition, et je me méfie de tout en la matière. Pour trouver à coup sûr un non-falsifié, il faudrait fouiller les bibliothèques des anciens monastères Orthodoxes d'Occident, mais nous n'en n'avons plus les clés depuis mille ans déjà, et tant y a été détruit et remplacé par du faux..











Pange,
lingua


Pange,
lingua, gloriosi proelium certaminis

et super crucis tropaeo dic triumphum nobilem,

qualiter redemptor orbis immolatus vicerit.



De parentis protoplasti fraude factor condolens,

quando pomi noxialis morte morsu corruit,

ipse lignum tunc notavit, damna ligni ut solveret.



Hoc opus nostrae salutis ordo depoposcerat,

multiformis perditoris arte ut artem falleret

et medelam ferret inde, hostis unde laeserat.



Quando venit ergo sacri plenitudo temporis,

missus est ab arce patris natus orbis conditor

atque ventre virginali carne factus prodiit.



Vagit infans inter arta conditus praesaepia,

membra pannis involuta virgo mater adligat,

et pedes manusque crura stricta pingit fascia.



Lustra sex qui iam peracta tempus implens corporis,

se volente, natus ad hoc, passioni deditus,

agnus in crucis levatur immolandus stipite.



Hic acetum, fel, arundo, sputa, clavi, lancea;

mite corpus perforatur; sanguis, unda profluit,

terra pontus astra mundus quo lavantur flumine.



Crux fidelis, inter omnes arbor una nobilis,

nulla talem silva profert flore, fronde, germine,

dulce lignum dulce clavo dulce pondus sustinens.



Flecte ramos, arbor alta, tensa laxa viscera,

et rigor lentescat ille quem dedit nativitas,

ut superni membra regis mite tendas stipite.



Sola digna tu fuisti ferre pretium saeculi

atque portum praeparare nauta mundo naufrago,

quem sacer cruor perunxit fusus agni corpore.



Les Vies de saints authentiquement de sa plume sont les suivantes : saint Martin, Hilaire de Poitiers, Germain et Marcel de Paris, Aubin d'Angers, Paterne (Pair) d'Avranches, Seurin de Bordeaux, et Radegonde. Il est à noter que sa "Vita Martini" est en fait une versification de celle écrite par saint Sulpice Sévère, le biographe et disciple de saint Martin de Tours.
On trouve la plupart de ses oeuvres en ligne en format "image" ici, mais je n'ai hélas pour le moment pas le temps d'aller effectuer une recherche "page par page" pour y retrouver l'édition critique du "Pange lingua"
Monumenta Germaniae Historica (MGH)


Auctores antiquissimi,
t. 4-1, 1881, poetica, éd. Leo;
t. 4-2, 1885, ed. Krusch

On voit dans les vénérations de saint Venance cette absence de cloisonnement ethno-phylétiste qui caractérise hélas l'Église de nos jours. Pour lui, saint Alban, le proto-martyr d'Angleterre, était un de ses amis spirituels. En 580, il en écrira ce bref verset : "Albanum egregium fecunda Britannia profert" ("La féconde Grande-Bretagne invoque le grand nom d'Alban").



martyre de saint Alban et son tombeau restauré

13 décembre 2007

saint Germain, Apôtre de l'Alaska

Dans l'Occident Orthodoxe, nous fêtons principalement sainte Lucie (Scandinavie), sainte Odile d'Alsace (qui ouvre les yeux physiques des malades et les yeux spirituels de tous), saint Aubert d'Arras (qui format tant de futurs missionnaires) et saint Josse (le roi Breton qui se fit moine et dont l'humilité toucha jusqu'au pape de Rome, alors Orthodoxe).

Adalric agenouillé tend son bâton au Christ.
De gauche à droite : saint Pierre, la Mère de Dieu, le Christ, saint Jean le Baptiste et sainte Odile :

Hortus Deliciarum, Mont-Sainte-Odile, 12eme s.


Il y a cependant un autre "Occident", c'est celui de l'Amérique du Nord, où l'on fête ce jour un des grands Apôtres Orthodoxes.




L'Ancien Germain (Herman) d'Alaska, moine missionnaire sur l'île Spruce près de Kodiak, est mort le 13 décembre 1837. Il est le premier saint à avoir été officiellement canonisé dans l'Église Orthodoxe d'Amérique (1). Le jour de sa dormition forme à présent la partie centrale de la célébration liturgique de la Pâque d'Hiver pour les Chrétiens Orthodoxes vivant en Amérique du Nord.

Ô joyeuse Étoile du Nord de l'Église du Christ,
Guidant tous les hommes vers le Royaume céleste.
Ô Docteur et Apôtre de la vraie Foi
Intercesseur et défenseur des opprimés.
Joyaux de l'Église Orthodoxe en Amérique,
Bienheureux père Germain d'Alaska,
Prie le Seigneur Jésus-Christ pour le Salut de nos âmes (2).

Pour ceux qui sont familiers des actions du Seigneur dans l'Histoire, qui connaissent la Sortie d'Égypte de Son peuple, qui ont été frappés par la Parole de Dieu résonnant dans la bouche de Ses prophètes, qui ont crû à l'Évangile du Royaume de Son Verbe incarné Jésus, le fait que l'ancien Germain soit devenu le premier saint glorifié dans Son Église en Amérique n'est en
rien étonnant.

Assurément, il est vraiment comme le Seigneur – Lui qui a eu Son Fils unique engendré né sur terre d'une simple femme, dans une grotte; puis cloué sur la Croix avec des bandits, hors des murs de la ville sainte; Fils dont la Résurrection a eu pour premier témoin une ancienne prostituée d'où étaient sortis 7 démons; et dont le Nom sera prêché par le plus grand des Apôtres, celui-là même qui avait auparavant été complice du meurtre du premier martyr Chrétien – oui, quelqu'un comme saint Germain, c'est bien quelqu'un comme le Seigneur, lui qui se voit élevé le premier parmi les saints de l'Église dans les nouvelles terres.

Le jeune moine Germain était ermite au monastère de Valaam, en dans la partie russifiée de la Finlande. Il fut choisit pour être membre de la première équipe missionnaire à être envoyée de Russie en Alaska. Il n'était pas ordonné. Il n'était pas de grande érudition. Il n'était pas particulièrement habile. Sa seule grâce était que c'était un saint homme, une personne de profonde Foi et de prière continue.
Germain arriva donc en Amérique avec le premier groupe de missionnaires. Lui seul survécu, vivant de longues années comme simple moine sur l'île Spruce. Il prêcha l'Évangile aux habitants. Il prit soin de leurs besoins spirituels et physiques. Il les défendit contre la cruauté des marchands Russes. Il plaida leur cause devant le trône impérial. Il fut battu et persécuté par son propre peuple pour avoir condamné leurs injustices et leurs péchés. Il s'identifia tout entier avec l'affligé et l'opprimé. Il mourut dans l'ombre, prophétisant sa glorification dans une future Église qui devrait émerger de ses propres humbles efforts et de ceux des vagues d'immigrants qui viendraient habiter sur le Continent. Et il se révéla lui-même depuis le Ciel à ceux qui, comme lui, restèrent fidèles à Dieu, y compris le grand évêque missionnaire, le prêtre veuf et "Apôtre de l'Amérique," Saint Innocent Veniaminoff. (3)

Le Christianisme américain a désespérément besoin du témoignage de saint Germain, car la manière de vivre américaine est si radicalement opposée sous tant d'aspects à la vie de cet homme et à celle du Seigneur Jésus qu'il avait servit. Le pouvoir, les biens matériels, les profits, les plaisirs : voilà ces nombreuses choses pour lesquelles les Américains sont connus. Ce sont les buts qu'on nous enseigne à poursuivre. Ce sont les choses dans lesquelles nous nous glorifions. Et hélas, trois fois hélas, ce sont aussi les choses que nombre d'entre nous se voient recommander par nos "dirigeants religieux," tant par leurs paroles que par leurs exemples. Mais tel n'était pas le chemin du Seigneur Jésus-Christ. Et en aucun cas ce n'est celui de Ses saints.

"Il ne faut pas accumuler de trésors sur la terre, où la rouille et les mites rongent, où les voleurs percent et dérobent. Accumulez des trésors dans le Ciel, où ne rongent ni les mites ni la rouille, où les voleurs ne percent ni ne dérobent. Car, où est ton trésor, là sera ton coeur. [..] Nul ne peut servir deux maîtres; ou bien il faut haïr l'un et aimer l'autre, ou bien se vouer à l'un et faire fi de l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon. C'est pourquoi je vous dis: Ne vous tracassez pas pour votre vie, de ce que vous mangerez (ou boirez); ni pour votre corps, de quoi vous le vêtirez. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, le corps plus que le vêtement? [..] Il ne faut donc pas vous tracasser en disant: Que manger? Que boire? Comment nous vêtir? Tout cela, ce sont les préoccupations des païens; mais votre Père céleste sait bien que vous en avez besoin. Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et Sa justice; et l'on vous donnera tout le reste par-dessus le marché" (Mt 6,19-21; 24-25; 31-33).

Par rapport aux normes américaines, saint Germain d'Alaska, comme le Seigneur Jésus Lui-même, était un misérable échec. Il ne s'est pas fait un nom. Il n'était pas un homme en vue. Il n'exerçait aucun pouvoir. Il n'avait pas de propriété. Il avait peu de biens matériels, si seulement il en avait. Il n'avait aucun prestige mondain. Il n'a joué aucun rôle dans les affaires humaines. Il n'a pas prit part aux plaisirs de la chair. Il ne s'est pas fait d'argent. Il est mort dans l'ombre, au milieu des exclus. Aujourd'hui cependant, plus de 100 ans après sa mort, son Icône est vénérée dans des milliers d'églises, et son nom est honoré par des millions de gens qu'il essaie, encore maintenant, d'enseigner pour leur faire parvenir au Royaume de Dieu et Sa justice, qui ont été apporté au monde par le Roi né dans une grotte et tué sur une Croix. L'exemple de cet homme est crucial pour la célébration de Noël – en particulier en Amérique.

L'Église Orthodoxe en Amérique
Appelle tout le monde à s'unir à sa louange de tes merveilleuses oeuvres,
Ô bienheureux père Germain!
Tu es parvenu au repos dans les demeures célestes grâce à tes saints labeurs.
Nous sommes émerveillés par ta vie exemplaire.
Intercède pour nous devant le Christ notre Dieu
Afin qu'Il accorde la paix à nos âmes.
Tu as donné toute ta vie à Dieu,
L'ayant aimé par dessus tout,
Ne désirant que la céleste conversation,
Tu n'oublias cependant pas d'aimer tes frères, ô saint,
priant et chantant avec eux :
Très doux Jésus, accorde-nous le Salut, à nous pécheurs. (4)

Ô bienheureux père Germain d'Alaska,
Étoile du Nord de la sainte Église du Christ,
La lumière de ta sainte vie et de tes grandes oeuvres
Guide ceux qui suivent la voie Orthodoxe.
Ensemble nous élevons la sainte Croix
Que tu as fermement plantée en Amérique.
Contemplons et glorifions tous Jésus-Christ,
Chantant Sa sainte Résurrection. (5)

1. saint Germain a été officiellement canonisé comme saint de l'Église le 9 août 1970? C'est aussi une date annuelle de fête.

2. Tropaire de la fête de saint Germain

3. John Veniaminoff était un prêtre marié qui partit comme missionnaire en Alaska en 1824. Après la mort de son épouse, il fut tonsuré moine, recevant le nom d'Innocent (Innokenti), et devint évêque. Il mourut en 1879, étant devenu métropolite de Moscou, à la tête de l'Église Orthodoxe en Russie. Il fut officiellement canonisé saint le 6 octobre 1977, qui est le jour de sa fête annuelle, en plus du 31 mars, jours de son bienheureux trépas.

4. Matines de la fête de saint Germain

5. Un second Tropaire de la fête de saint Germain

(Extrait de "The Winter Pascha" par le protopresbytre Thomas Hopko, SVS Press, 1984)


ressources en anglais sur saint Germain d'Alaska
http://www.oca.org/FS.NA-Saint.asp?SID=4&Saint=Herman




Vie de saint Germain d'Alaska (vers 1756 - 1837)
Fêtes : 9 août (canonisation) & 13 décembre (repos)
http://www.firebirdvideos.com/saintslives/lifeofherman.htm


En 1994, nous avons célébré le 200ème anniversaire de l'Orthodoxie en Amérique [*] - le bicentenaire de la fondation d'une mission Orthodoxe russe sur l'île Kodiak, en Alaska. Le 24 septembre 1794, 10 missionnaires du monastère de Valaam, diocèse de Saint-Petersbourg (Russie), qui avaient effectué un périple d'un an et de près de 11.200km, finirent par aboutir à leur rude nouvelle terre de mission en Alaska, ou "Amérique russe," qui avait fait partie de l'empire Russe jusqu'à sa revente aux États-Unis d'Amérique en 1867. Un seul de ces missionnaires devait survivre et rester en Amérique – notre saint père saint Germain.

L'Orthodoxie américaine est grandement redevable envers ces 10 moines missionnaires, et plus particulièrement envers ce moine simple, cet ascète, le père Germain. Véritable "étoile du Nord de la sainte Église du Christ," et dernier survivant de la mission originelle de 1794, il oeuvra 43 ans durant parmi ce peuple Aléoute, leur enseignant par la parole et par l'exemple de sa sainte vie et de ses grandes oeuvres. Il passera la plupart de ces années sur l'île Spruce – son "Nouveau Valaam" -, enseignant et prenant soin des peuples autochtones, qui étaient ses enfants bien-aimés, les défendant fréquemment contre l'exploitation par les marchands Russes de fourrure. Les gens apprirent vite à l'aimer et à venir à lui avec leurs problèmes. Il mena la vie la plus ascétique possible, mangeant et dormant peu, portant toujours les mêmes vêtements en haillons tout au long de l'année, nourrissant oiseaux et animaux sauvages (même les ours), et vivant en prière continuelle avec ses compagnons de tous les instants – Dieu, les saints et les Anges. Quand la variole – apportée par les bateaux européens – ravagea les natifs d'Alaska, le père Germain prit personnellement soin d'eux, et amena tous les orphelins à son Nouveau Valaam, où il s'occupa d'eux. Il construisit un orphelinat, une école et une chapelle. Il fit pousser de la nourriture dans son jardin, attrapant des poissons et cuisant des biscuits pour les enfants. Il leur donna des cours dans son école, et par son exemple, il leur montra comment mener une vie pieuse. Et bien évidement, enfants et adultes aimaient leur cher Apa (grand-père), et les indigènes d'Alaska ont gardé leur dévotion envers leur bien-aimé saint homme jusqu'à nos jours. (La plupart des indigènes d'Alaska sont Orthodoxes).
Saint Germain était un thaumaturge clairvoyant, qui lisait dans le coeur des gens et dans l'avenir. Un jour qu'un tsunami menaçait l'île, le saint déposa une Icône près de la mer, et déclara que l'eau ne passerait pas outre de l'Icône : et de fait, elle s'y arrêta. Une autre fois, une expérience similaire eut lieu avec un incendie de forêt.

Il déclara au peuple qu'après sa mort, les gens de l'extérieur l'oublieraient pendant quelque 30 ans. Et en effet, 30 ans plus tard, en 1867, à l'époque de la vente de l'Amérique russe aux États-Unis, l'évêque Pierre d'Alaska entama une enquête officielle sur la vie de saint Germain, qui mènera à la publication de sa Vie en 1894, et pour finir, à sa glorification en 1970. Le bienheureux père Germain a accomplit d'innombrables miracles depuis son repos en 1837, et il continue à guider ceux qui suivent la voie Orthodoxe en Amérique.

Les reliques de saint Germain furent amenées depuis l'île Spruce jusqu'à l'église de la Résurrection à Kodiak (photo de droite) au moment de sa glorification, le 9 août 1970. Cette église de la Résurrection succède à l'église de la Résurrection construite en 1794 par saint Germain et ses compagnons missionnaires lors de leur arrivée à Kodiak.

Dans l'église de la Résurrection, un magnifique reliquaire en bois gravé contient un cercueil avec les reliques de saint Germain (photo de gauche). Au sommet du reliquaire on trouve: une grande Icône du saint (centre); de même que la croix pectorale et la chaîne en métal (à gauche) qu'il portait (comme on le voit sur l'Icône en haut); et son klobouk (chapeau de moine) (dans la verrière à droite). On y trouve aussi sa croix de bénédiction, que l'on voit en sa main sur l'icône en haut.

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[*] Orthodoxie en "version Byzantine", puisque le lecteur du blog Saint-Materne sait que dès le 6ème siècle au moins, des moines Irlandais étaient déjà venus en Amérique, et au 9ème des Vikings christianisés les y avaient suivis et avaient trouvé les traces de leurs prédécesseurs. Tous ces missionnaires et colons étaient Orthodoxes, mais de Rite Occidental. Deo gratias.



09 décembre 2007

Fête de la Conception de la Mère de Dieu par sainte Anne (et saint Joachim!)




Sainte Anne, la mère de la Vierge Marie, était la plus jeune fille du prêtre Nathan, de Bethléem, et donc descendante de la tribu de Lévi. Elle épousa saint Joachim (9 septembre), qui était natif de Gallilée.
Longtemps durant, sainte Anne resta stérile, mais après 20 ans, par les ferventes prières élevées par les 2 époux, un Ange du Seigneur leur annonça qu'ils deviendraient les parents d'une fille, qui apporterait les bénédictions sur toute l'humanité.
L'Église Orthodoxe n'accepte pas l'affirmation que la Mère de Dieu aurait été exemptée des conséquences du péché des origines (mort, corruption, péché, etc) au moment de sa conception par la vertu des futurs mérites de son Fils. Seul Christ est né parfaitement saint et sans péché, comme saint Ambroise de Milan l'enseigne dans le chapitre 2 de ses Commentaires sur saint Luc. La sainte Vierge était comme tout un chacun en sa mortalité, et étant sujette à la tentation, bien qu'elle ne commis pas de péchés personnels. Elle n'était pas une créature déifiée mise en retrait du restant de l'humanité. Si tel avait été le cas, elle n'aurait pas été vraiment humaine, et la nature que le Christ a reçue d'elle n'aurait pas vraiment été humaine non plus. Si le Christ n'a pas vraiment partagé notre nature humaine, alors la possibilité de notre Salut est remise en cause.

La Conception de la Vierge Marie par sainte Anne eut lieu à Jérusalem. Nombre d'icônes dépeignent la Conception par sainte Anne en montrant la très sainte Mère de Dieu piétinant le serpent.
"Sur l'icône, les saints Joachim et Anne sont en général dépeints avec les mains jointes en prière; leurs yeux sont aussi dirigés vers le haut, et ils contemplent la
Mère de Dieu, qui se tient dans les airs, avec les mains étendues; sous ses pieds on voit un globe encerclé par un serpent (symbolisant le démon), qui tente de conquérir tout l'univers par sa puissance."

Il y a aussi des icônes dans lesquelles on voit sainte Anne tenant la très sainte Vierge sur son bras gauche, déjà enfant. Le visage de sainte Anne est empreint de respect. Une grande et vieille icône, peinte sur toile, se trouve dans le village de Minkovetsa, dans le district Dubensk du diocèse de Volhynia. Depuis les temps reculés, cette Fête était particulièrement vénérée en Russie par les femmes enceintes.




"La Conception de l'Immaculée": catéchèse théologico-liturgique extraite du "Winter Pascha" du p. Thomas Hopko (OCA); explications théologiques par le patriarche Bartholomeos 1er de Constantinople, par le p. Joseph Huneycutt (Antioche), par un professeur de patrologie Orthodoxe d'Oxford; débats entre Orthodoxes et catholiques-romains sur le sujet (laïcs & clergés); références patristiques et scripturaires; iconographie, etc.
http://stmaterne.blogspot.com/2006/12/la-conception-de-limmacule.html



Ce matin, à l'église, il y avait affluence habituelle, dont 5 enfants et 7 jeunes, ce qui est très agréable à voir surtout en une fête pareille. C'est la vitalité de l'Église du Christ, car l'Écriture le dit, dans le peuple de Dieu, "jeunes et vieux se réjouiront ensemble."






saint Évangile, en grec puis en français
(saint Luc 13,10-17)


Le 9 décembre, les Orthodoxes habitant en Occident fêtent (normalement...) aussi saint Budoc, l'abbé-évêque de l'importante métropole de Dol (+ saint Enguerran, etc)


Chapelle Saint-Budoc
eau-forte d'André Dauchez (1870-1948)
collection J. Godin


SAINT BUDOC, ÉVÊQUE DE DOL (7ème siècle)
Judual, prince de Bretagne, qui dût à saint Samson d'avoir pu recouvrer l'héritage de ses pères, et qui régna ensuite dans ce pays sous le nom d'Alain 1er, eut de son mariage avec Azenor, fille du comte de Léon, 6 fils, dont le 4ème se nommait Deroch ou Budoc. Dès son enfance, Budoc fut confié au saint évêque de Dol, afin qu'il l'élevât dans son monastère et qu'il prit soin de son éducation. Sous cet excellent maître, Budoc fit des progrès remarquables dans la science et dans la Foi.
S'étant décidé à renoncer au monde et à se consacrer à Dieu, il entra dans la vie monastique, puis fut ordonné prêtre, et devint par la suite abbé du monastère de Dol. Sa vertu n'échappa pas à saint Magloire, qui, voulant se décharger du fardeau de l'épiscopat, le désigna pour son successeur et le sacra évêque. On trouva l'ancien disciple animé du même esprit que les saints maîtres qui l'avaient dirigé dans les voies de la perfection, et l'on reconnut qu'il possédait toutes les vertus d'un véritable pasteur. Le réponse pleine de prudence et de piété qu'il fit à saint Magloire, lorsque ce vénérable vieillard lui communiqua le projet qu'il avait conçu de s'éloigner du pays de Dol pour mener plus librement le combat de la Foi dans la solitude, est une preuve éclatante de sa sagesse, et montre non seulement son zèle pour son troupeau, que son saint prédécesseur édifiait par sa vie et ses discours, mais aussi son éloignement pour ces sentiments de jalousie, qui surprennent quelquefois les personnes vertueuses occupées à la même bonne oeuvre.
L'histoire ne nous a pas conservé les écrits et le détail des actions de saint Budoc pendant les 26 ans son épiscopat. On sait seulement qu'il entreprit un voyage à Jérusalem et qu'il s'y fit tellement estimer qu'on lui donna un grand nombre de reliques, qui furent dans la suite portées à Orléans et déposées dans l'église de Saint-Samson. Son culte est depuis longtemps établi dans l'Église métropolitaine de Dol. On ignore absolument l'année de sa dormition; l'antique martyrologe parisien, qui fait mention de lui au 19 novembre, la fixe à l'an 580, d'autres auteurs donnent 588, 600, etc. Le jour de son bienheureux trépas est mieux connu : c'est le 8 décembre. Dans le diocèse de Léon il était autrefois honoré le 18 novembre.
Les reliques de saint Budoc étaient conservées à Dol, à l'époque du procès entre cette Église et celle de Tours, ainsi que l'atteste une pièce qui servit à cette cause. Querelle intéressante s'il en est puisqu'il ne s'agissait rien de moins que du bouleversement de l'ecclésiologie en Occident, suite aux débuts de la naissance du futur catholicisme-romain. Tours était en effet passée sous contrôle des Carolingiens, et Dol était encore intégralement Orthodoxe. Le choix politique supprima la métropole de Dol..
Quant aux reliques de saint Budoc, il parait qu'elles furent détruites ou perdues, lorsque Jean-sans-Terre, roi d'Angleterre, vint, au commencement du 13ème siècle, faire le siège de Dol et en brûla la cathédrale. On assure que la paroisse de Plourin (Finistère), dans l'ancien diocèse de Léon, en possédait encore au 18ème siècle.


Tombeau de saint Budoc, Rotheneuf

Tropaire de saint Budoc ton 4
Tu fus miraculeusement préservé de la furie de l'océan/
Puis étant nourri par la main de Dieu,/
Tu te dévoua entièrement à Son service, ô saint évêque Budoc./
Étant couvert d'honneurs aussi bien temporels que spirituels à Armagh et Dol,/
Tu oeuvra pour gagner les âmes au Christ,/
C'est pourquoi nous implorons ton aide,/
Supplie le Christ notre Dieu afin qu'Il nous sauve.


Saint Budoc, saint Magloire, saint Samson et saint Génevé, anciens évêques de Dol-en-Bretagne. Vitrail anachronique car tenues largement postérieures au Schisme. Cathédrale Saint-Samson de Dol-de-Bretagne, où nous nous rendons normalement en pèlerinage annuel depuis plusieurs années, saint Samson étant un des principaux saints de notre famille.