"Ô étrange Église Orthodoxe, si pauvre et si faible, qui se maintient comme par miracle à travers tant de vicissitudes et de luttes. Église de contrastes, à la fois si traditionnelle et si libre, si archaïque et si vivante, si ritualiste et si personnellement mystique.
Église où la perle de grand prix de l'Évangile est précieusement conservée, parfois sous une couche de poussière. Église qui souvent n'a pas su agir, mais qui sait chanter comme nulle autre la joie de Pâques."
P. Lev Gillet ("Un moine de l'Eglise d'Orient)

12 avril 2008

Bienvenue chez les Ch'tis............ saints!


Héé oui, le pays "cht'i" a compté bien des saints, à l'époque où il était Orthodoxe - et aussi en Flandre, et pas en France... Époque où la région s'étendait sur le territoire originel de 3 tribus de ces Belges qui étaient les plus courageux des Gaules (dixit Jules César dans son bouquin) ou aussi fous que les autres (dixit le même vieux Jules dans "Astérix chez les Belges") - choisissez votre version!
Une partie de la région d'origine s'appelait la Morinie, le pays des Morins, les descendants directs de cette tribu de Celtes Belges répertoriés par Jules César et les historiens de Rome.
Puis il y avait les Atrébates. Et ensuite la partie des Nerviens, cette autre tribu de Celtes Belges ayant donné pas mal de fil à retordre aux puissantes armées de l'empire romain.
(De Bello Gallico - la Guerre des Gaules: 2,4; 3,9; 3,28; 4,21-22; 4,37-38; 8,75-76)

Voir aussi la très intéressante carte ici, représentant les peuples en leur lieu avec superposition des frontières modernes. Avec les guerres de la France et de la Germanie, notre pays a perdu plus de la moitié de sa superficie au fil des siècles par rapport à son assise originelle.

Une très grande époque pour cette belle région, qui faisait partie historiquement de la Gallia Belgica. Et c'est notre héritage à nous aussi. Le passé doit servir comme leçon pour aujourd'hui et pour l'avenir : si à l'époque, la région était grande et vivante et agréable... sans avoir besoin d'un bon film pour la promouvoir ;-) c'est bien parce que la Foi y était vive et vraie.

L'héritage orthodoxe occidental
Orthodox America - Orthodoxy's Western Heritage
http://www.roca.org/oa/129/129e.htm
Comme archévêque d'Europe Occidentale (1950-1962), Saint Jean (Maximovitch) développa un profond intérêt pour les saints Orthodoxes de l'Ouest. Pour promouvoir leur vénération, il publia un oukaze (décret) appelant son clergé à "commémorer durant les Liturgies, aux Lities et dans toutes les autres prières, aussi bien que dans l'envoi final, tous ces Amis de Dieu qui sont les saints patrons locaux ou du pays où l'Office est célébré, et où ils bénéficient d'une vénération particulière. A Paris et dans les environs, par exemple, il faudrait commémorer le hiéromartyr Denis, sainte Geneviève et saint Cloud; à Lyons, le hiéromartyr Irénée; à Marseille, le martyr Victor et saint Jean Cassien; dans la région de Toulouse, le hiéromartyr Saturnin, évêque de Toulouse; à Tours, le saint hiérarque Martin. Où l'information manque ou est incertaine, le clergé doit s'adresser à nous pour clarification. Les prêtres devraient encourager leurs fidèles à honorer ces Amis de Dieu." (Ukase #223, 23 Avril 1953)

Le 12 avril, nous fêtons un de ces amis de Dieu, un bon grand ch'ti saint bien de chez nous :

Saint Erkembode, évêque de Thérouanne, siège apostolique des Flandres (+ 742)

statue hétérodoxe de saint Erkembode, bourrée d'anachronismes
(je n'ai hélas pas trouvé d'Icône ou d'enluminure)

Saint Erkembode, "le saint qui fait marcher," était moine à Saint-Omer (Pas-de-Calais) à la fin du 7ème siècle et au début du 8ème siècle. Erkembode, surnom qui signifie "Envoyé Reconnu" en langue de famille germanique (thiois? Vieux flamand assurément) est le nom qui lui est resté. Sa vie est toute au service de Dieu.
A l'époque où le vénérable Bertin terminait, dans son monastère de Sithiü, sa longue et sainte carrière, vivait près de lui saint Erkembode, qui devait un jour le remplacer dans sa charge, et même être élevé sur le siège de Thérouanne. On ne connait rien de bien certain touchant les premières années de sa vie, son origine et sa famille. Des auteurs croient qu'il était un des compagnons des saints Lugle et Luglien, qu'il vint avec eux d'Irlande ou de la Grande-Bretagne, qu'il fut, comme eux, saisi, dépouillé, frappé et laissé pour mort, dans le lieu alors appelé Scyrendal, près de Ferfay, dans le canton actuel de Norrent-Fontes. Ils assurent que ce saint, étant revenu à lui après le départ des assassins, couvrit à la hâte avec des broussailles les corps sanglants des 2 martyrs Irlandais, et alla aussitôt à Thérouanne rendre compte à l'évêque saint Bain de tout ce qui s'était passé. D'autres supposent au contraire que saint Erkembode était originaire de la Morinie, et que sa piété et son zèle pour le service de Dieu l'avaient porté à se faire en quelque sorte le guide et le compagnon des saints Lugle et Luglien dans cette contrée.
Quoi qu'il en soit de ces premières années de saint Erkembode et des questions qui s'y rattachent, les anciens hagiographes sont unanimes à nous le représenter vivant dans le monastère de Sithiü, sous la conduite de saint Bertin, et travaillant, avec un zèle admirable, à marcher sur les traces dans la pratique des vertus monastiques. Il y fit de si rapides progrès, que tous les suffrages des frères se prononcèrent en sa faveur, quand il fut question de donner un successeur à ce saint Abbé, qui venait d'expirer sous ses yeux. Saint Erkembode gouverna donc cet important monastère après Erlefride et Rigobert, lesquels avaient été, du vivant de saint Bertin, chargés de le remplacer dans les fonctions que son grand âge ne lui permettait plus de remplir entièrement.
Saint Erkembode exerça avec une admirable fidélité tous les devoirs que lui imposait sa nouvelle position. Il maintint l'exacte discipline qui avait fleuri jusqu'alors dans le monastère de Sithiü, il donna par ses exemples et ses discours le goût de la vertu et de la perfection, pourvut aux besoins de sa nombreuse communauté, et la défendit avec prudence et sagesse contre les entreprises des hommes violents, qui, à cette époque surtout, portaient souvent le trouble dans la paisible retraite des hommes de Dieu.


L'évêque de Thérouanne, Ravenger, successeur de saint Bain, étant mort dans ce temps, le clergé et le peuple élurent saint Erkembode pour le remplacer. Le saint conserva néanmoins la direction de la communauté de Sithiü, dont tous les moines lui étaient unis par les liens de l'affection la plus touchante et la plus sincère – il fut donc un abbé-évêque, dans la plus parfaite tradition de l'Orthodoxie celtique, école où avait été formé saint Bertin (Luxueil).
La conduite du nouvel évêque répondit aux voeux des habitants de Thérouanne, et à la confiance que l'on avait dans sa vertu et sa prudence. Il se montra constamment le père des pauvres et des malheureux, le consolateur de tous ceux qui étaient dans la souffrance, et un véritable ministre de Jésus-Christ. L'oeuvre saint Omer fut par lui continuée avec succès, et le pays des Morins se couvrit de plus en plus d'églises, où les peuples se réunissaient pour adorer Dieu, de monastères où beaucoup venaient se dévouer pour toujours à Son service. Tout le temps de l'épiscopat de saint Erkembode fut consacré à cette oeuvre sainte. Les fruits de Salut qu'elle produisit se multiplièrent rapidement, et achevèrent de donner à cette terre autrefois inculte et sauvage, une physionomie toute Chrétienne qu'elle conserva fidèlement jusqu'au Schisme du "saint empire romain germanique" et de Rome, qui l'entraînèrent dans les hérésies et la chute.

Le diocèse de Thérouanne était immense : il allait d'Ypres jusqu'à la vallée de la Somme. Saint Erkembode le parcourut en tous sens, soucieux de racheter des terres pour les redistribuer aux pauvres. Sans doute ces longues courses apostoliques furent-elles la cause des difficultés de la marche dont il fut atteint : il mourut en effet presque paralysé en 742, après avoir gouverné son Église l'espace de 26 ans. On l'enterra dans l'église primitive, devant l'autel principal de la très sainte Mère de Dieu, auprès du tombeau de saint Omer (Audomar), qui reposait là depuis 72 ans. De nombreux miracles s'opérèrent auprès de ce tombeau, et les pieuses libéralités des fidèles envers leur Patron se multiplièrent à tel point, qu'elles suffirent pour réparer cette église déjà ancienne, et même pour en bâtir une seconde. L'ancienne petite église s'est transformée au long des siècles en l'imposante cathédrale de Saint-Omer :

"Après donc que le bon et prudent serviteur de Dieu, Erkembode, eut bien géré durant sa vie l'argent de son Seigneur, et qu'il eût travaillé avec persévérance dans la vigne où le céleste Père de famille l'avait conduit, le soir de sa vie approchant, il fut appelé par le Seigneur pour recevoir le denier de la récompense suprême, et changer par un heureux commerce les biens terrestres pour les biens célestes, les choses périssables pour les éternelles".

"On voit encore aujourd'hui, rapporte le 'Légendaire de la Morinie', la tombe de saint Erkembode, dans l'église Notre-Dame de Saint-Omer. Elle est au fond de la croisée du côté de l'évangile ou du nord, appuyée contre le mur, élevée sur 2 figures de lions. Elle a la forme d'un carré long, sans ornements, grossièrement taillée dans un bloc énorme de grès, et recouverte d'une autre large pierre".
"Cette tombe vénérée porte les marques évidentes de la pieuse dévotion de nos aïeux; en plusieurs endroits, en effet, le grès, malgré sa dureté extrême, se trouve assez profondément usé, résultat du passage d'une longue suite de générations de fidèles qui venaient se frotter avec confiance contre cette pierre pour se délivrer de leurs maux corporels".
Les reliques de ce saint évêque, qui ont échappé aux persécutions de 1793, continuent d'être visitées dans l'église de Notre-Dame, où sa châsse est toujours un lieu de dévotion pour les parents d'enfants infirmes. Hélas, là aussi, encore un saint authentiquement et strictement Orthodoxe qui n'est pas dans une église Orthodoxe mais dans un lieu du vatican...

Pourquoi des chaussures sur sa tombe ?

Le tombeau de saint Erkembode est une très ancienne cuve monolithe de porphyre gris foncé. Il était jadis au milieu de la petite église primitive, et est désormais adossé au choeur, dans le déambulatoire Nord de la cathédrale. Ce qui intrigue tout le monde, ce sont les petites chaussures qui sont posées dessus. En voici l'origine : dès la mort de saint Erkembode, des pèlerins sont venus de partout prier sur ce tombeau, se disant sans doute : "il a tant marché pour nous, marchons à notre tour vers lui." Ces pèlerins déposaient sur le tombeau leurs chaussures hors d'usage en "ex voto" pour attester leur longue marche. On s'est souvenu qu'il est mort presque paralysé et qu'il a dû prier souvent pour marcher correctement. Aujourd'hui ce sont des chaussures d'enfant qui ont pris le relais de celles des adultes de jadis. C'est que saint Erkembode a toujours été le saint qui fait marcher! Dans l'espoir d'obtenir la guérison de leur enfant, les parents déposent de petites chaussures sur la tombe du saint. On vient le prier chaque fois qu'un enfant a du mal à se mettre à marcher et les mamans placent ici, en priant avec confiance, les chaussures. Les personnes responsables de la cathédrale les enlèvent quand il faut laisser la place pour d'autres. Les dépressifs viennent aussi.
Saint Erkembode est bien "le saint qui fait marcher" et le saint qu'il faut invoquer quand on souffre de dépression nerveuse, et que rien ne "marche." C'est pourquoi des déprimés font le pèlerinage pour demander l'intercession de saint Erkembode et sortir de cette sorte de paralysie, si fréquente aujourd'hui. Bien que victimes d'une fausse religion, au plus profond d'eux-mêmes se trouve cet appel à aller vers les vrais amis de Dieu..


Cartulaire de l'abbaye de Saint-Bertin
http://gallica2.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k29276b.modeAffichageimage.f1.langFR.tableDesMatieres

XXII. De Erkembodone abbate, successore Erlefridi et privilegio Chilperici regis
[..]
XXVIII. De episcopatu ejusdem abbatis, et de rebus quas emit in Sethtiaco
XXIX. Emptio ejusdem abbatis et episcopi de rebus infra scriptis
XXX. De morte Erkenbodi et de successione Waimari, et privilegio Hilderici


Mémoires, Société des antiquaires de la Morinie, 1851
http://books.google.be/books?id=RkEDAAAAYAAJ&dq=erkembodus&hl=fr&ie=ISO-8859-1&source=gbs_summary_s&cad=0
évoque la vie de l'abbaye à l'époque carolingienne et après, avec quelques retours sur l'époque des saints et Orthodoxes fondateurs, qui avaient dédié leur abbaye à la Mère de Dieu.

Saint Erkembode est cité dans le calendrier Orthodoxe sur forum-orthodoxe.com

Histoire générale de la province d'Artois, de Jean Baptiste François Hennebert, 1788
"Erkembode à l'épiscopat et sur celui de son décès: le catalogue des évêques de Thérouane fixe ... "
(lire la suite ..)


HOMÉLIE - A propos de la Cité qui est en construction
"Car nous n'avons pas ici-bas de cité permanente, mais nous recherchons celle de l'avenir." (Hébreux 13,14).
Frères, où sont les grandes villes de Babylone et Ninive? Aujourd'hui, il n'y a plus que des lézards qui se promènent dans la poussière de leurs tours. Memphis et Thèbes n'étaient-elles pas la fierté des Pharaons et des princes de l'humanité? De nos jours on a difficile à établir avec certitude leur emplacement exact d'antan.
Mais laissons donc là ces villes de pierres et de briques. Regardons vers les cités de sang, chair et os. Les hommes façonnent la cité de leurs corps plus lentement et plus minutieusement qu'ils ne façonnent leurs forteresses et cathédrales. L'homme passe entre 80 et 100 ans à façonner la cité de son corps, et à la fin, de voir que ses efforts ont été vains. Ce qui lui a pris des décenies à bâtir avec force et constante crainte, s'effondre dans la poussière de la tombe, en un clin d'oeil. De qui la cité corporelle ne s'est-elle pas effondrée et n'est-elle pas retournée à la poussière?
De personne.
Mais quittons maintenant les cités du corps. Et regardons les cités de la fortune, que les hommes ont bâties de génération en génération. Les matériaux avec lesquels ces villes sont bâties sont : du bon temps, plaisir, propriété, autorité, honneur et gloire. Où sont ces villes? Elles se tissent en quelques instant autour de l'homme, telles des toiles d'araignées, et de la même manière se brisent et disparaissent, rendant le fortuné plus infortuné que l'infortuné.
Vraiment, nous n'avons ici aucune cité qui persistera.
C'est pour cela que nous recherchons la cité à venir. C'est la cité bâtie d'Esprit, de Vie et de Vérité. C'est la cité dont le seul et unique architecte est le Seigneur Jésus-Christ. C'est la cité appelée Royaume des Cieux, Vie Eternelle, demeure des Anges, port des saints et refuge des martyrs. Dans cette ville-là, il n'y a pas de dualisme entre le bien ou le mal, mais tout est une harmonie du bien. Dans cette Cité, tout est bâtit pour durer éternellement. Chaque brique dans cette Cité demeure sans fin. Les briques sont les Anges et hommes vivants. Dans cette Cité, le Seigneur Jésus ressuscité siège sur le trône et règne.
O Seigneur ressuscité, retire-nous de dessous les ruines du temps et guide-nous miséricordieusement vers Ta Cité éternelle des Cieux.
A Toi soit la gloire et l'éternelle reconnaissance. Amen.
Saint Nicolas Velimirovic, évêque d'Ochrid


Office à saint Winnoc, célébré par l'archimandrite Thomas (monastère de la Mère de Dieu, Pervijze, B), à Bergues, septembre 2003. Depuis la chute de l'Occident, les reliques de nos saints se trouvent dans des musées civils, des greniers de lieux de culte hétérodoxe, etc.. et nous devons développer des trésors d'astuce pour parvenir à aller vénérer NOS saints et les honorer comme il convient...

11 avril 2008

La prière pour les défunts: μνημόσυνον / panikhide (Grand Carême, Hadès/enfer, koliva/κόλλυβα, etc)




table mémoriale

Le Samedi des âmes est un jour prévu pour la commémoration des défunts dans le calendrier de l'année liturgique de l'Église Orthodoxe de rite byzantin. Le samedi est jour de prière traditionnel pour les morts, parce que le Christ Se trouva mort dans la Tombe un samedi.
Il y a plusieurs "samedi des âmes / défunts" dans l'année. Ces jours sont consacrés à la prière pour les parents défunts et les autres d'entre les fidèles qui ne peuvent pas être commémorés comme saints. On ajoute des hymnes spéciales aux divins Offices de ces jours-là pour commémorer les défunts. Il y a normalement un Office de commémoration ou panikhide qui est célébré soit le samedi matin après la Divine Liturgie, soit lors des Vêpres du vendredi soir; un plat de "kolyva" est réalisé (blé cuit avec du miel, voir plus bas) et placé en face de la croix ou d'une Icône devant laquelle la panikhide sera célébrée. Après l'Office, le prêtre bénit le koliva, et il est partagé et mangé comme mémorial par tous ceux présents.

tombe du cimetière Lazarev, Laure saint Alexandre Nevsky

Panikhide ou Office de commémoration des défunts
http://en.wikipedia.org/wiki/Panikhida

En grec : μνημόσυνον, mnemósynon, "mémorial", ou παραστάς, parastás, "éveil"
En slavon : паннихида, panikhída, translitéré par "panikhide"

L'Office
Dans le rite byzantin, les diverses prières pour les défunts ont pour buts : prier pour le repos des défunts; réconforter les vivants; et rappeler à ceux qui restent leur propre mortalité, et la brièveté de cette vie terrestre. Pour cette raison, les Offices de commémoration ont un ton de pénitence (1) et sont généralement célébrés de manière plus fréquente pendant les 4 grandes périodes de jeûne (Grand Carême, Avent, Jeûne des Apôtres et Jeûne de la Dormition).
Si l'Office est pour une personne particulière, il aura souvent lieu à sa tombe. Si c'est une commémoration générale de tous les défunts, ou que la tombe de la personne est trop éloignée, l'Office aura lieu à l'église, face à une "table mémoriale" spéciale. La table mémoriale est une petite table sur laquelle on place un crucifix, parfois aussi des Icônes de la Théotokos (Mère de Dieu) et de l'Apôtre saint Jean. La table doit aussi permettre de poser des cierges allumés (dans la tradition russe, c'est un multi-porte cierges où nombre de fidèles viennent poser leur cierge pour leurs propres défunts).
Le diacre, et en son absence le prêtre, encensera la table pendant l'Office, et un desservant se tiendra en tenant un cierge allumé. On distribue à tous les fidèles un cierge mince, allumé, prévu pour ce genre d'Office. Vers la fin de l'Office, pendant le tropaire final, tous éteindront leurs cierges, ou les placeront sur les porte-cierges sur la table mémoriale. Chaque cierge symbolise l'âme individuelle, que symboliquement, chaque personne tient en ses propres mains. L'extinction (ou la dépose) du cierge à la fin de l'Office symbolise le fait que chaque personne aura à rendre sa propre âme à la fin de sa vie.
L'Office se compose de Psaumes, d'echténies (litanies), hymnes et prières. Son schéma suit le schéma général des Matines (2), c'est en fait un Office de funérailles abrégé. Certaines des plus notables parties de l'Office sont le kondakion des défunts (3), et la finale, le chant lent et solennelle du "mémoire éternelle" (slavon : Вечная память , Vyechnaya Pamyat; grec : , éônia imnimie)
L'Office de commémoration est la plupart du temps célébré après la Divine Liturgie; cependant, il peut aussi être célébré après les Vêpres, les Matines, ou comme Office célébré seul.

Occasions
Lorsque meurt un Chrétien Orthodoxe, le prêtre lit les "prières pour le départ de l'âme" appropriées. Ensuite la famille ou les amis du défunt laveront et habilleront le corps, et il est placé dans un cercueil (en Occident, où les funérailles en pleine terre sont interdites). Ensuite, un Office étendu spécial de commémoration est célébré, appelé Premier Panikhide, après quoi on commence la lecture du Psautier, et elle continue de manière ininterrompue jusqu'aux funérailles.

Traditionnellement, en plus de l'Office du jour du décès, un Office de commémoration est accomplit à la demande des proches d'un défunt les jours suivants:
- 3ème jour après le décès (4)
- 9ème jour après le décès
- 40ème jour après le décès
- premier anniversaire du décès
- 3ème anniversaire du décès (certains demanderont un mémorial tous les ans, lors de l'anniversaire du décès)

Il est aussi célébré lors des divers Samedi des âmes / défunts de l'année (5). Ces jours-là, non seulement on célèbre l'Office de commémoration, mais il y a en plus des prières particulières lors des Vêpres, Matines et pendant la Divine Liturgie. Les Orthodoxes de rite byzantin célèbrent ces jours de commémoration spéciale les :
- Samedi de Carnaval – 2 samedi avant le début du Grand Carême – dans certaines traditions, les familles et les amis offriront des Panikhides pour leurs bien-aimés au cours de la semaine qui précède, culminant dans la commémoration générale le samedi.
- les 2ème, 3ème et 4ème samedi du Grand Carême
- Radonitsa est un autre jour de commémoration, mais il ne tombe pas un samedi mais bien le lundi ou le mardi de la seconde semaine après Pâques (voir plus bas). Radonitsa n'a pas d'hymnes dédiés pour les défunts lors de la Divine Liturgie, mais une panikhide est célébrée après la Liturgie, et ensuite les fidèles vont au cimetière en emportant avec eux de la nourriture pascale, allant y saluer les défunts avec la joie de la Résurrection. (6)
- Samedi avant la Pentecôte – dans certaines traditions, les familles et les amis offriront des Panikhides pour leurs bien-aimés au cours de la semaine qui précède, culminant dans la commémoration générale le samedi.
- Les Russes commémorent aussi le samedi le plus proche du 26 septembre (saint Dimitri) et le 23 septembre (Conception de saint Jean le Baptiste et Précurseur). Voir plus bas en détail.
- Parmi les coutumes locales, chez les Orthodoxes de Serbie, on commémore les défunts les samedi avant le 8 août et avant le 24 octobre.

Litie
Une forme très abrégée de l'Office de commémoration. Elle consiste uniquement en la partie de conclusion de l'Office de commémoration. Elle est souvent célébrée dans le narthex de l'église les jours ordinaires de semaine (p. ex. lorsqu'il n'y a pas de fête de rang plus élevé), en particulier durant le Grand Carême.

Notes
1. Par exemple, la panikhide ne comporte pas le chant "Le Seigneur est Dieu.." comme le Moleben / Paraklisis; à la place, on chante l'Alléluia, réminiscence de l'Alléluia qui est chanté pendant les Offices du Grand Carême.
2. le mot grec "parastas" provient de ça, et fait référence à la vigile de toute la nuit, qui, aux temps de l'Église antique, était effectivement célébrée et vécue par tous.
3. Kondakion des défunts : "Accorde le repos avec les saints, Ô Christ, à l'âme (aux âmes) de Ton (Tes) défunt(s) serviteur(s), là où il n'y a plus ni maladie, ni affliction, ni pleurs, mais la vie éternelle."
4. En calculant le nombre de jours, celui où a eu lieu le décès est compté comme premier jour. Selon saint Macaire le Grand, la raison pour ces jours spéciaux est la suivante : du 3ème au 9ème jour après la mort, l'âme du défunt se voit présenter les demeures du Paradis (les funérailles sont normalement célébrées le 3ème jour); du 9ème au 40ème jour, l'âme se voit présenter les tourments de l'Hadès; et le 40ème jour, l'âme se trouve devant le Trône de Dieu, où elle est jugée, et part vers là où elle attendra la Seconde Venue, la Parousie du Christ. C'est pourquoi le 40ème jour est considéré comme étant le plus important. Dans certaines traditions, on commémore aussi le semi-anniversaire, 6 mois après le décès.
5. Le samedi est généralement dédié à la prière pour les défunts, car le Christ gît dans le Tombeau un samedi. Dans certains monastères et grandes églises, il est de coutume de célébrer une panikhide chaque samedi, à moins qu'une fête majeure ait lieu ce jour-là.
6. Vu la grande solennité de ces jours, la célébration des Offices de commémoration est interdite du Jeudi Saint (voire toute la Semaine Sainte) jusqu'à la fin de la Semaine Radieuse, et tous les dimanches de l'année.



Echténie durant une Panikhide

Typikon en grec
http://www.typikon.gr/


kolyva


Dans l'Ancien Testament, nous avons la célèbre péricope du 2ème livre rapportant l'épopée de Judas Macchabée et sa révolte contre les païens :
"Le lendemain, Judas et ses compagnons vinrent, comme c'était devenu nécessaire, enlever les corps de ceux qui avaient été tués, pour les déposer près des leurs dans le tombeau de leurs pères. Or, sous la tunique de chacun, ils trouvèrent des objets consacrés aux idoles de Jamnia et interdits aux Juifs par la loi; il fut dès lors évident pour tous que telle était la cause de leur mort. Ils bénirent donc la main du juste juge, du Seigneur qui fait apparaître les choses cachées, et se mirent en prière pour lui demander de pardonner entièrement le péché commis. Le noble Judas harangua la foule et l'exhorta à se garder de toute transgression, considérant le malheur de ceux qui avaient été tués pour avoir commis cette faute. Il fit ensuite une collecte et envoya environ 2.000 drachmes à Jérusalem pour qu'on offrit un sacrifice pour le péché: belle et noble façon d'agir, découlant de sa croyance en la résurrection, car s'il n'avait pas estimé que ceux qui étaient tombés ressusciteraient, il eût été vain et superflu de prier pour les morts. Mais s'il jugeait qu'une belle récompense attend ceux qui s'endorment pieusement dans la mort, c'était là bonne et religieuse pensée; voilà pourquoi il demanda un sacrifice expiatoire pour les morts, afin qu'ils fussent absous de leurs fautes" (2 Macchabées 12,39-46).

Dans le Nouveau Testament, on trouve un passage en 2 Timothée 1,16-18 qui évoque cette prière:
"Que le Seigneur fasse miséricorde à la famille d’Onésiphore, car souvent il m’a réconforté, et il n’a pas rougi de mes chaînes; au contraire, à son arrivée à Rome, il m’a recherché activement et m’a découvert. Que le Seigneur lui donne d’obtenir miséricorde auprès du Seigneur en ce Jour-là. Quant aux services qu’il m’a rendus, à Éphèse, tu les connais mieux que personne."
Comme pour les versets du Livre des Macchabées, ces versets font référence aux prières qui aideront les défunts au Jour du Jugement. On ne sait pas si Onésiphore, pour qui saint Paul priait, était mort, quoique ce soit sous-entendu dans la compréhension du texte basé sur son original grec, car Paul ne fait référence à Onésiphore que dans un sens passé, et la prière comporte une demande de consolation pour sa famille.

Tradition patristique
La prière pour les défunts est bien documentée dans l'antique Église Chrétienne, tant parmi d'éminents pères de l'Église que dans les communautés Chrétiennes en général. Le point de vue Orthodoxe, occidental (premier millénaire) et oriental (de la Pentecôte à nos jours) est que les Chrétiens priaient pour "de telles âmes qui avaient quitté ce monde dans la Foi, mais sans avoir eut le temps de porter
de dignes fruits de repentance" (1).

Découverte fin du 19ème siècle, la tombe d'Averkios de Hiéropolis en Phrygie Salutaris (fin du 2ème siècle) portait l'inscription : "que quiconque comprend ceci et le croit prie pour moi, Averkios." (ταυθ ο νοων ευξαιτο υπερ Αβερκιου πας ο συνωδος) – il s'agit probablement d'Averkios Marcellos, évêque de Hiérapolis – cfr Vie d'Averkios, par st Syméon Métaphrastes.
(nb: cette tombe, ouvrage funéraire Orthodoxe, a été volée, et se trouve au musée du Latran - vatican)







saint Averkios
Paraclis de la très sainte Mère de Dieu, aile nord, s2-e1e4-32,
monastère de Gracanica, province serbe du Kosovo.
(Nous verrons en une autre occasion les inscriptions de même nature et époque, chez Pectorinus d'Autun)

Les inscriptions dans les Catacombes de Rome rendent semblable témoignage à cette pratique de prière pour les défunts, comme on l'y voit par des phrases telles que:
- puisses-tu vivre parmi les saints (3ème s.)
- Puisse Dieu faire reposer l'âme de..
- la Paix soit avec eux..

Parmi les écrivains ecclésiastiques, Tertullien (+ 230) est le premier à mentionner la prière pour le défunt, et pas comme une concession à un sentiment naturel, mais comme un devoir, car il expliquait que la veuve qui ne priait pas pour son défunt époux, c'était comme si elle en était divorcée.. La plus célèbre citation en la matière, en Occident, se trouve dans le 9ème livre des Confessions de saint Augustin d'Hippone, écrit vers 398, où il parle clairement de la prière pour sa mère, sainte Monique. Cette dernière avait d'ailleurs expliqué que la seule chose qui comptait pour elle, une fois morte, c'était de se retrouver "à la prière de l'Autel."

Un élément important dans les liturgies des diverses Églises, c'étaient les diptyques, ou listes des noms des vivants et des défunts qui devaient être commémorés dans l'Eucharistie. Être inséré dans ces listes était la confirmation de l'Orthodoxie de quelqu'un. D'un autre côté, en être biffé équivalait à une condamnation, un anathème.
Au milieu du 3ème siècle, saint Cyprien enjoignait qu'on ne fasse pas d'oblation ni de prière publique pour un laïc défunt qui aurait enfreint la règle de l'Église en prenant un administrateur clérical sous sa direction : "Il ne doit pas être cité dans les prières du prêtre, celui qui a fait de son mieux pour tenir du clergé éloigné de l'Autel."
Bien qu'il ne soit pas possible de donner une date précise pour les paroles exactes utilisées dans les anciennes liturgies, cependant la diffusion universelle de ces diptyques et des prières définies pour les défunts dans toutes les Églises aux 4ème et 5ème siècles tend à montrer à quel point de telles prières remontent aux tous débuts. Les termes utilisés dans ces prières sont très réservés, et ne contiennent pas la moindre suggestion d'une "purgatoire" ou tout autre lieu ou état de douleur. Nous pouvons citer la Liturgie de saint Jacques de Jérusalem :
"Souviens-Toi, Ô Seigneur, Dieu des esprits et de toute chair, de ceux dont nous avons fait mémoire et de ceux que nous n'avons pas commémorés, des hommes de vraie Foi, des justes depuis Abel jusqu'à nos jours; accorde-leur Toi-même le repos sur la terre des vivants, dans Ton Royaume, dans les délices du Paradis, dans le sein d'Abraham, Isaac et Jacob, nos saints pères, là où toute souffrance et affliction et lamentation sont bânies, là où la Lumière de Ta face les visite et brille toujours sur eux."
Les prières publiques n'étaient offertes que pour ceux que l'ont pensait être morts en fidèles membres de l'Église. Cependant, sainte Perpétue, qui fut martyrisée en 202, fut encouragée par une vision à prier pour son frère, qui était mort à l'âge de 8 ans. Et une vision ultérieure la rassura sur l'exaucement de ses prières, son frère avait été sauvé et était entré dans le Royaume. On trouve chez quantité de saints pères et mères d'Irlande Orthodoxe des récits de "lutte de prière" avec le Seigneur, pour arracher telle ou telle âme à l'Hadès. Et chez saint Grégoire le Grand, il y a ce développement de son cycle de 30 jours de Liturgies offertes pour un défunt, suite à l'expérience qu'il avait eue avec un de ses moines, lorsqu'il était encore abbé, moine qui était mort excommunié et l'avait supplié post-mortem de prier pour lui. Trente jours après, le défunt entrait dans le Royaume. Voir plus bas cette liaison prière-eucharistie.

Théologie
L'enseignement doctrinal de l'Église Orthodoxe reste tel qu'il était dans l'Église antique, à savoir qu'il s'agit simplement de la prière pour les défunts dans l'Hadès. Il n'y a pas de théorie sur la manière dont les prières de l'Église aideraient le défunt. Les Orthodoxes croient simplement ce qu'enseigne la Tradition depuis les Apôtres, à savoir qu'il faut prier pour le défunt. (2)
Saint Basile le Grand (+ 379) écrit dans sa 3ème Prière pour l'Agenouillement à la Pentecôte : Ô Christ notre Dieu.. Toi qui, en cette fête éminemment parfaite et salutaire, as daigné recevoir nos prières d'intercession pour ceux que retient l'Hadès, et qui nous as donné grandement l'espérance de Te voir accorder aux défunts la délivrance des afflictions qui les accablent et leur soulagement: écoute nos prières malgré notre faiblesse et notre misère; accorde aux âmes de Tes serviteurs défunts le repos dans le séjour de la Lumière, de la fraîcheur et de la paix, en un lieu d'où sont absents la peine, la tristesse et les gémissements; place leurs âmes dans les tabernacles des justes, rends-les dignes de paix et de réconfort, car ce ne sont pas les morts qui Te loueront, Seigneur, ni les captifs de l'Hadès qui auront l'audace de confesser Ton Nom; mais nous, les vivants, nous Te bénissons et Te supplions, nous T'offrons nos prières d'intercession et nos sacrifices d'expiation pour leurs âmes." (3)
Saint Grégoire le Grand (+ 604, appelé "Dialogos" en Orient), dans ses célèbres "Dialogues" composés en 593, enseigne que "le saint sacrifice (Eucharistie) du Christ, notre salutaire Victime, apporte de grands bénéfices aux âmes même après la mort, pourvu que leurs péchés puissent être pardonnés dans la vie à venir." (4) Cependant, saint Grégoire continue en disant que la pratique de l'Église de la prière pour les défunts ne doit pas être une excuse pour ne pas mener une vie pieuse sur terre. "La manière la plus sûre, bien entendu, c'est de faire nous-mêmes en cette vie ce que nous espérons que d'autres ferons pour nous après notre mort." (5). Le p. Seraphim Rose (+ 1982) dit que "la prière de l'Église ne saurait sauver quiconque refuse le Salut, ou n'a jamais mené la moindre lutte (podvig) pour lui-même durant cette vie-ci." (6)

Pratique
Les prières de l'Église pour le défunt commencent au moment de la mort, lorsque le prêtre dirige la Prière pour le Départ de l'Âme, qui est un Canon spécifique et des prières pour la libération de l'âme. C'est ensuite que le corps sera lavé, habillé et posé dans le cercueil par les parents, après quoi le prêtre entamera la Première Panikhide. Ensuite la famille et les amis liront le Psautier à voix haute à côté du cercueil, et la lecture continuera jusqu'aux funérailles, normalement 3 jours après le décès, n'étant interrompue que par d'autres panikhides (au moins une par jour).
Voir aussi plus haut pour les divers jours où il convient de célébrer la panikhide pour un défunt.

La forme la plus importante de la prière pour les défunts a lieu lors de la Divine Liturgie. Des parcelles sont découpées de la prosphore pendant l'office de la Proskomédie, au début de la Liturgie. Ces parcelles sont placées en dessous de l'Agneau sur la patène (diskos), où elles resteront tout au long de la Liturgie. Après la Communion des fidèles, le diacre verse ces parcelles dans le Calice en disant "Lave, Ô Seigneur, les péchés de tous ceux qui sont ici commémorés, par Ton Précieux Sang, par les prières de tous Tes saints."
De ce geste, saint Marc d'Éphèse dit : "Nous ne saurions rien accomplir de mieux ou de plus grand pour les défunts que de prier pour eux, de les commémorer dans l'offrande à la Liturgie. Ils en ont toujours besoin... Le corps ne ressent plus rien: il ne voit pas ses proches assemblés, il ne sent pas le parfum des fleurs, il n'entend pas les oraisons funèbres. Mais l'âme ressent les prières offertes pour elle, et elle en est reconnaissante à ceux qui les font, et elle est spirituellement proche d'eux." (7)
En ce qui concerne les candidats à la reconnaissance de sainteté, avant leur glorification / canonisation comme saint, ils seront commémorés en célébrant des panikhides. Et la veille de leur glorification, on célébrera un Requiem solennel spécifique, appelé "la Dernière Panikhide."
Notes
1. The Longer Catechism of the Orthodox, Catholic, Eastern Church, 376
2. évêque Kallistos (Timothy Ware), L'Église Orthodoxe (ed US= The Orthodox Church, Penguin Books, 1964, ISBN 0-14-020592-6, p. 259)
3. Pentecostaire, traduction archimandrite Denis Guillaume. En anglais : Isabel F. Hapgood, Service Book of the Holy Orthodox-Catholic Apostolic Church (Antiochian Orthodox Christian Archdiocese, Englewood, NJ, 1975, 5th edition), p. 255.
4. Dialogues IV, 57.
5. Id. IV, 60.
6. P. Seraphim Rose, The Soul After Death (Saint Herman of Alaska Brotherhood, Platina, CA, ISBN 0-938635-14-X), p. 191.
7. cité dans Seraphim Rose, The Soul After Death, p. 192, op. cit.



Panikhide à la paroisse grecque-orthodoxe de Chatelineau (B)
film complet (en grec)



P. Schmemann : Le Jugement Dernier (Dimanche du Carnaval) - et la prière pour les défunts

Toussaint occidentale: l'âme, la prière pour les défunts (p. Vladimir Demshuk, Orthodox Study Bible, etc)


"Il ne fait aucun doute que ceux qui se sont endormis dans la paix reçoivent le secours des prières et des offrandes qui ont été faites en leur nom, et que cette coutume était déjà en vigueur dans l’Antiquité, nous en avons le témoignage dans des affirmations nombreuses et variées provenant oralement et par écrit d’un certain nombre de nos Pères, tant Latins que Grecs, qui se sont exprimés en divers lieux et à diverses époques.
Mais que les âmes puissent être délivrées par une souffrance purificatrice qui leur serait imposée pour un certain laps de temps par un feu prétendument purificateur, qui leur procurerait une certaine amélioration, c’est un enseignement qui ne se trouve ni dans les saintes Écritures, ni dans les prières et les hymnes que nous disons pour les défunts, ni dans les écrits des Pères."
Saint Marc (Eugenikos), évêque d'Ephèse

Toussaint: l'Époux du Cantique du Cantique, seule vision pure pour l'âme + Office Acathiste pour les défunts

prière pour ceux qui sont morts hors de l'Église



Le "koliva", qu'on translitère aussi par "kolyva" (grec, κόλλυβα, kólliva; serbe, кољиво, koljivo; roumain, colivă; bulgare, коливо, kolivo) est du blé cuit à l'eau qui est utilisé liturgiquement dans les Églises Orthodoxes de rite byzantin.
Cette nourriture rituelle est bénie lors de la panikhide qui suit la Divine Liturgie, célébré à diverses reprises après un décès; lors des funérailles; lors des mnemósyna / panikhides / offices de commémoration; lors des "slavas" (Serbes); le premier vendredi du Grand Carême, ou lors de la mnemósyna du repas de Noël. Vu son goût agréable, dans certains pays – mais pas en Grèce, on consomme aussi du koliva en d'autres occasions, non-religieuses, souvent avec de la crème.

Recette
Bien que les recettes soient nombreuses et diverses, l'ingrédient de base c'est le grain de blé; on les cuit à l'eau jusqu'à ce qu'ils soient tendres, et ils sont adoucis avec du miel, sucre et certains fruits. On peut aussi y ajouter des graines de sésame, des amandes, des morceaux de cerneaux de noix, de la cannelle, des pépins de grenade, des raisins secs, de l'anis et du persil. Le koliva est une pratique répandue dans beaucoup de pays, depuis les Balkans jusqu'à la Russie.
Quand on le sert, le koliva cuit, qui ressemble à de la terre, est mis en forme d'un tumulus funéraire. Le tout est ensuite couvert de sucre en poudre et les initiales du défunt sont dessinées au sommet. Au centre du koliva, on place et allume un cierge au début de la panikhide, et on l'éteint à la fin. Après la Liturgie, ceux qui y ont participé mangent le koliva tout en parlant du défunt et disent "que Dieu la/le pardonne."
Certaines paroisses Orthodoxes ont désigné un fidèle chargé de préparer le koliva. C'est partiellement en raison du risque de fermentation du blé si le koliva n'est pas préparé convenablement.
Parfois, le koliva est préparé avec du riz au lieu de blé. Cette pratique débuta comme réponse pragmatique à la famine qui frappait l'Union Soviétique, lorsque les fidèles n'avaient pas de blé pour le koliva, et dès lors utilisèrent du riz. Certaines communautés continuent de nos jours à utiliser du riz.

Histoire et interprétation Chrétienne
L'origine du koliva prédate le Christianisme. Le terme provient du grec ancien "kollyvo" ou κόλλυβo, qui signifiait à l'origine "graine de céréale" (serbe et bulgare: "žito" ou "blé"). Dans la Grèce antique, la "panspermia", une mixture de graines cuites et de noix, était offerte lors de la fête de l'Anthesteria. Un Grèce, on appelle donc aussi le koliva "sperna," rapport au mot "sperme." L'association entre la mort et la vie, entre ce qui est planté dans le sol et ce qui en émerge, est profondément ancrée dans la réalisation et la consommation du koliva. La nourriture rituelle a été adoptée et christianisée aux débuts du Byzantium, et de là s'est diffusée dans tout le Christianisme de rite byzantin. Elle n'a en effet jamais eu d'équivalent dans l'Occident quand ce dernier était encore heureux car Orthodoxe.
L'aspect symbolique, pour les Orthodoxes byzantins, c'est la mort et la résurrection, selon les termes mêmes de l'Évangile: "En vérité, Je vous le dis, si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il demeurera seul; mais s'il meurt, il donnera beaucoup de fruit" (Jn 12,24).
Le blé qui est semé en terre et lève en une vie nouvelle est symbolique de nos bien-aimés qui sont partis dans la mort, dans l'espoir de la résurrection, selon les paroles de saint Paul:
"Ainsi en est-il de la résurrection des morts. Semé dans la corruption, le corps ressuscite incorruptible; semé dans le mépris, il ressuscite glorieux; semé dans la faiblesse, il ressuscite vigoureux; semé corps animal, il ressuscite corps spirituel" (1 Co 15, 42-44)
Ce symbolisme trouve sa plus haute expression chez les saints, dont l'état de béatitude au Ciel a été manifesté au monde. Pour cette raison, le koliva n'est pas seulement béni pour les commémorations de défunts, mais aussi pour la commémoration des saints.

Utilisation
Le koliva est utilisé en diverses occasion :

Samedi de saint Théodore le Conscrit / Tyron
voir plus bas.

Offices de commémoration
Lors des panikhides / parastas, la famille ou les amis du défunt préparent souvent une koliva qui est donc placée sur la table de mémorial, devant laquelle l'Office sera chanté.
Pour sa bénédiction, le prêtre l'asperge d'eau bénite – dans l'Église de Bulgarie, il est coutumier que le prêtre verse du vin sur le koliva et sur la tombe (apparemment aussi dans les Balkans : coutume constatée chez les Serbes à Charleroi, lors de diverses funérailles; ndt).

Commémoration de saints
Il est aussi usuel d'offrir du koliva lors de la fête du saint patron de la paroisse, ou d'une famille (Slava des Serbes), ou pour la fête de saints d'une importance particulière. Cependant, au lieu de célébrer un Office de commémoration, le koliva est placé devant l'Icône du saint et on célèbre un office d'intercession au saint (Moleben / Paraklisis).


Plat de koliva (Кутья)


Théodore d'Amasea, ou Tyre, "Tyron", "le Conscrit"
saint militaire et martyr du 4ème siècle
.

1er samedi du Grand Carême – saint Théodore le Conscrit
http://ocafs.oca.org/FeastSaintsLife.asp?FSID=9





L'officier saint Théodore
peinture murale du 14ème siècle, par Manuel Panselinnos, église du Protaton, Karyes, Mont Athos, Grèce

Aujourd'hui, nous commémorons le miracle de saint Théodore et du blé cuit. Cinquante an après le décès de saint Théodore, l'empereur Julien l'Apostat (361-363), voulant outrager les Chrétiens, ordonna au commandant de la ville de Constantinople, au cours de la première semaine du Grand Carême, d'asperger toutes les provisions de nourriture sur les marchés de la ville avec du sang offert aux idoles. Saint Théodore apparut en songe à l'archevêque Eudoxius, lui ordonnant d'informer tous les Chrétiens, afin que nul n'achète ni ne mange rien venant des marchés, mais au contraire mange du blé cuit avec du miel (koliva).
En souvenir de cet événement, l'Église Orthodoxe célèbre annuellement le saint grand martyr Théodore le Conscrit le 1er samedi du Grand Carême. La veille au soir, lors de la Divine Liturgie de saints Dons Présanctifiés, après la prière à l'ambon, on chante le Canon au saint martyr Théodore, composé par saint Jean Damascène. Après cela, le koliva est béni et partagé entre les fidèles. La célébration du grand martyr Théodore le 1er samedi du Grand Carême a été fixée par le patriarche Nectarios de Constantinople (381-397).
Le tropaire de saint Théodore ressemble assez au tropaire du saint prophète Daniel et des 3 Jeunes dans la fournaise (dimanche avant la Nativité). Le kondakion de saint Théodore, qui souffrit le martyre du feu, nous rappelle aussi qu'il avait la Foi comme cuirasse (cfr 1 Thess. 5,8).
Saint Théodore est aussi commémoré individuellement le 17 février.


Copie de musée d'une plaque en terre cuite du 6/7ème siècle, de Vinica, en Macédoine contemporaine. Elle montre saint Théodore, identifié grâce à l'inscription latine sur son épaule, chevauchant un cheval et transperçant un ennemi. Sa lance a été confondue avec l'ancien étendard-dragon de Dacie, le draco, adopté par la suite par l'armée romaine, et habituellement dépeint dans les mains de ce qu'on appelle les "divinités cavalières de Thrace." Voir J.C.N. Coulston, "The draco standard", Journal of Roman Military Equipment Studies 2 (1991), 101-14.



Saint Théodore Tyron
Icône de 1679, par F. Zubov, cathédrale Saint-Sauveur, Kremlin de Moscou (113 x 80 cm).



bénédiction du koliva




Bible
L'Hadès est mentionné 11 fois dans le Nouveau Testament dans le grec original, et traduit parfois par "tombe", parfois par "enfer." Selon la Bible, l'Hadès est le lieu ou l'état de l'esprit de tous les défunts (1). C'est le séjour des défunts où tous, justes ou pas, attendent la résurrection générale et le Jugement.
Dans la Septante, qui est la traduction grecque que les communautés juives de culture hellénistique avaient réalisé de la Bible en hébreux et araméen, et qui est la traduction utilisée par les premiers Chrétiens et les évangélistes et auteurs des épîtres, le mot grec Hadès est utilisé pour traduire le mot hébreux "sheol" (p. ex. Isaïe 38,18) (1). Dans le judaïsme postérieur, le terme en vint a désigner le lieu de récompense des pieux défunts ou le lieu d'attente avant le Jugement (1).
En Actes 2,27, la phrase en hébreux du Psaume 16,10 donne "Tu n'abandonneras pas mon âme à l'Hadès."
La mort et l'Hadès sont associés à plusieurs reprises dans le Livre de l'Apocalypse selon saint Jean (Apoc 1,18, 6,8, 20,13-14). Le terme "Hadès" apparaît dans la promesse du Christ à l'Apôtre Pierre : ".. et les portes de l'Hadès ne prévaudront pas contre elle" (Mt 16,18) ainsi que dans l'avertissement lancé à l'encontre de Caphernaüm : "Et toi, Caphernaüm, tu ne seras pas élevée jusqu'au ciel, tu descendras jusque dans l'Hadès" (Mt 11,23; Lc 10,15).
L'occurrence revient aussi dans la parabole du pauvre Lazare et de l'homme riche, chez saint Luc, qui rapporte l'Hadès d'une manière spéciale et unique. Dans toutes les autres circonstances, l'Hadès n'évoquait que peu la récompense ou la punition après la mort, mais ici, c'est un lieu que voit Lazare (qui se trouve lui "dans le sein d'Abraham") et c'est un lieu de tourment pour l'homme riche (Lc 16,19-31).

Christianisme antique
Notion très peu explicitée par le Christ, l'Hadès était considéré par certains comme étant sous terre. Tertullien par exemple écrivait : "vous devez supposer que l'Hadès est une région sous-terraine, et garder à bonne distance ceux qui sont trop fiers pour croire que les âmes des fidèles méritent une place dans les régions inférieures" (2).
Il est nécessaire de resituer le tout dans le contexte de l'évolution de la révélation divine aux hommes, les concepts se précisant au fil des prophètes et du temps. Tant l'Hadès que le Shéol, à l'origine, étaient noirs et lugubres, sans réelle relation à une récompense ou punition d'après mort. Là, les morts attendaient la résurrection universelle au Jour du Jugement. Les premiers pères de l'Église ont défendu ce point de vue de l'après-vie contre la vue disant que l'âme allait directement au ciel ou en "enfer" après le décès du corps (3). Dans son Traité de l'Âme, Tertullien écrivait que toute âme était retenue dans l'Hadès jusqu'au Jour du Seigneur (2).
Le mot grec "Hadès" fut traduit en latin par "infernus" (monde du dessous) et donna "enfer" en français. Le terme continua d'être utilisé pour faire référence de manière générique au lieu ou à la situation des morts, juste ou méchants, comme il est dit dans le Credo dit des Apôtres, que le Christ "est descendu aux enfers." Mais, à part en grec, cet usage générique du mot "Hadès", "infernus", ou "enfer" est devenu archaïque et inhabituel. En grec, le mot "κόλασις" (littéralement "punition", cfr Mathieu 25,14, qui parle de "kolasis" éternelle) est utilisé pour faire référence à ce que nous voulons dire par "enfer" en français.

L'Hadès dans l'Orthodoxie
C'est une doctrine. Et elle est substantiellement sous sa forme Chrétienne originelle (4)(5). L'Église Orthodoxe enseigne donc qu'un Jugement universel sera prononcé sur tous les humains lorsque les âmes et les corps seront réunis à la résurrection des morts. Elle enseigne aussi que tout en attendant la résurrection générale, le sort des âmes diffère : "Les âmes des justes sont dans la lumière et le repos, avec un avant-goût de la béatitude éternelle; mais les âmes des méchants sont dans l'état inverse."(6) Cependant, les saints qui sont décédés savent intercéder pour les vivants, et les vivants peuvent aider "les âmes qui sont parties dans la Foi, mais sans avoir eu le temps de produire de dignes fruits de repentance... les prières sont offertes en leur faveur afin d'atteindre à la bienheureuse résurrection, en particulier les prières en union avec l'offrande du Sacrifice non-sanglant du Corps et du Sang du Christ, et par les oeuvres de miséricorde accomplies dans la Foi en leur mémoire." (7)
L'Église Orthodoxe représente habituellement les souffrances dans l'Hadès comme entraînant des ténèbres et de la contrainte plutôt que du feu. Joie et souffrance dans l'Hadès sont souvent vues non pas tant comme une récompense et une punition pour l'âme que comme la réponse des diverses âmes à la présence divine. Ceux qui aiment Dieu ressentent la présence avec joie, alors que les méchants ressentent cette même présence comme un tourment.
La prière pour les défunts est dite pour aider ceux qui sont dans l'Hadès, pouvant même en sauver parmi ceux qui autrement seraient damnés. La prière de sainte Perpétue pour son frère défunt semble bien refléter cette conviction.

Références
Voir aussi saint Clément d'Alexandrie, Stromates, livre 6.
1. Cross, F. L., ed. The Oxford dictionary of the Christian Church. New York: Oxford University Press. 2005
2. Tertullien, Un Traité de l'Âme
3. Par exemple, saint Hippolyte de Rome, dans Contre Platon, écrit "Mais à présent, nous devons parler de l'Hadès, dans lequel se trouvent tant les âmes des justes que des méchants."
4. Michael Azkoul, "What Are the Differences Between Orthodoxy and Roman Catholicism?"
5. "Heaven & Hell in the Afterlife, According to the Bible"
6. The Longer Catechism of the Orthodox, Catholic, Eastern Church, 372
7. The Longer Catechism of the Orthodox, Catholic, Eastern Church, 376 (= grand catéchisme de saint Philarète de Moscou)


Lazare et le riche, enluminure du Codex Aureus d'Echternach
Au dessus: le riche festoie, pendant que Lazare mendie à sa porte
Au milieu: l'âme de Lazare est emportée par 2 Anges au Paradis; Lazare est dans le sein d'Abraham.
En bas : l'âme du riche est emportée par 2 diables vers l'Hadès; il est torturé dans l'Hadès.
Codex Aureus Epternacensis, Folio 78 recto, vers 1035-1040, 30,9 × 22,4 cm
école de Reichenau, sous l'abbatiat d'Humbert d'Echternach (1028-1051)

A (re)lire :

Samedis des (âmes des) défunts – psychosabbaton - lectures, explications (synaxaires), prières, tropaire, et homélies (saint Jean Chrysostome et saint Augustin d'Hippone)
http://stmaterne.blogspot.com/2008/ 03/samedis-des-mes-des-dfunts.html

Jean-Louis Palierne, "la vie après la mort" (conférence du Dimanche du Jugement Dernier, en 2006)

From: Vassili-Régis
Forum: alt.religion.christian.east-orthodox
Sujet: Re: prayer for the deceased, kolyva, Hades, ...
Date: vendredi 11 avril 2008 22:19:41 +0200
J'apporte un petit correctif: la lecture du Psautier est plutôt réservée aux moines et membres du clergé. Pour un laïc, il est remplacé par le canon acathiste pour un défunt.
En Occident, à l'hôpital, le prêtre commence l'office après la mise en bière, cercueil ouvert, et place sur le front du défunt une banderole figurant la couronne des Saints Martyrs. Pour une personne mariée, la pose de cette banderole signifie également la fin de l'union matrimoniale.


************

"La vie après la mort selon la Tradition orthodoxe", par Jean-Claude Larchet, 2e édition, Éditions du Cerf, Paris, 2004, traite aussi de diverses questions connexes (notamment des prières de l'Église pour les défunts)


Méropolite Hiérothée Vlachos, "La vie après la mort," L'Age d'Homme, Lausanne, 2002 [traduction de notre frère Jean-Louis Palierne, auquel l'Orthodoxie se devrait d'être aussi reconnaissante qu'elle ne devrait l'être envers l'archimandrite Denis (Guillaume), on a vu ce qu'il en était, hélas...]

10 avril 2008

La prière, par saint Ambroise d'Optina (& prière du matin des Startsy d'Optina)

saint Ambroise d'Optina, staretz


"Là où règne la simplicité, il y a des centaines d'Anges, mais là où règne la ruse, il n'y en a aucun".

"Ne vous moquez pas des pois pensant être meilleurs que des fèves, quand vous serez trempés - vous aussi vous éclaterez".

"Par quoi une personne devient-elle mauvaise? - En oubliant qu'il y a un Dieu au-dessus d'elle".

"Ceux qui pensent qu'ils n'ont rien, perdront tout."
p. Amvrosy


Saint Ambroise est fêté le 10 octobre, et aura sa "Vita" (déjà traduite en 2004) republiée ici (cette fois avec le moins possible de fautes de frappe et de "flamandismes" ;-)

Tropaire de saint Ambroise d'Optina ton 5
Nous courrons à toi O Ambroise, notre père, comme vers la source de guérison.
Car tu nous instruisis vraiment pour le chemin du Salut,
Nous préservant par la prière des malheurs et calamités,
Nous consolant dans les peines du corps et de l'âme,
Nous enseignant par dessus tout par ton humilité, patience et amour.
Prie le Christ, l'Ami des hommes, toi notre fervent intercesseur, afin que nous soyons sauvés.


icone orthodoxe russe de saint Ambroise d'Optina, staretz



PRIÈRE DU MATIN DES STARETS D'OPTINA

Seigneur accorde-moi de recevoir dans la tranquillité du coeur tout ce que m'apportera cette journée qui commence. Accorde-moi de me livrer entièrement à Ta sainte volonté. A chaque instant de ce jour, instruis-moi en tout et soutiens-moi. Quelles que soient les nouvelles que je reçoive dans le courant de cette journée, apprends-moi à les recevoir avec un coeur paisible, et la ferme conviction qu'elles sont l'expression de Ta sainte volonté. Sois le guide de mes pensées et de mes sentiments dans toutes mes actions et dans toutes mes paroles. Dans toutes circonstances imprévisibles, aide-moi à ne pas oublier que tout m'est envoyé de Toi. Apprends-moi à me comporter d'une manière juste et raisonnable avec chaque membre de ma famille (et de mon entourage), sans troubler ni peiner personne.

Seigneur, donne-moi la force de résister à toute fatigue, et à tous les événements durant cette journée. Guide ma volonté et apprends-moi à prier, à espérer, à croire, à aimer, à supporter et à pardonner. Amen.


icone orthodoxe russe des staretz d'Optina Pustin
Icône du p. Kyprian, Holy Trinity monastery, Jordanville
source


Au cours du XIXe siècle, le monastère d'Optyno ou Optina (au sud-ouest de Moscou) fut un grand centre de rénovation spirituelle en Russie, célèbre pour sa lignée de grands startsy. Par leur prière ascétique, leurs dons de paternité spirituelle, sans parler de leurs travaux sur les Pères de l'Eglise, ils attirèrent des foules de pèlerins, depuis les humbles hommes du peuple jusqu'à des politiciens de haut rang et des hommes de lettres célèbres. Après la révolution, les bâtiments furent rasés, les moines dispersés. Ces starets sont parfois considérés comme des gardiens spirituels du peuple russe qui venait en foule rechercher auprès d'eux la guérison de l'âme et du corps. Le starets le plus connu est Saint Ambroise, canonisé en 1988 par l'Eglise Orthodoxe Russe. Sa personnalité est immortalisée sous le visage du "Starets Zosime" dans les Frères Karamazov de Dostoïevski. Dans leur prière, simple et spontanée, les starets d'Optyno nous enseignent à entrer courageusement dans la grisaille de la vie quotidienne, à y faire rayonner, dans l'espérance et l'amour, la grâce divine. Le monastère a été rendu au culte au 1988, des moines de plus en plus nombreux renouent avec la tradition et travaillent activement à la restauration du monastère.
(prière & biographie d'Optina tirée d'un ancien livret du hiéromoine Paul (Pellemans), monastère de tous les saints qui ont illuminé la terre de Russie, Ottignies-Louvain-la-Neuve, Belgique)


A propos de la prière (p. Ambroise)
http://www.orthodoxphotos.com/readings/ambrose/prayer.shtml
Afin que les gens ne restent pas insouciants et placent tous leurs espoirs sur des prières étrangères d'aide, le starets avait pour coutume de répéter un vieux dicton russe : "Que Dieu m'aide, mais quant à toi, paysan, ne reste pas à paresser."

Une moniale dit : "Batouchka! Par qui demanderions-nous une aide priante, si ce n'est par toi? Le staretz répondit : "Demande-la toi-même! Souviens-toi, lorsque les 12 Apôtres supplièrent notre Sauveur pour la femme Cananéenne, Il ne les écouta pas. Mais quand elle commença elle-même à supplier, elle fut exaucée."

Parce que la prière est la plus puissante arme qui soit contre l'ennemi invisible, il essaye de diverses manières d'en détourner les gens. Le staretz rapportait l'histoire suivante : "Un moine du Mont Athos avait un étourneau [ndt: un mainate?] qu'il aimait beaucoup et qui parlait. Mais voici ce qu'il y avait d'étrange – à peine le moine commençait-il à accomplir sa règle de prière que l'oiseau commençait à parler, sans cesse, ne permettant pas au moine de prier. Une fois, le radieux et saint Jour de la Résurrection du Christ, le moine vint près de la cage et dit : "Oiseau, le Christ est ressuscité!" Et l'oiseau répondit : "C'est bien notre malheur, qu'Il ait fait cela," et aussitôt il mourut, remplissant la cellule d'une insoutenable puanteur. A l'instant, le moine réalisa son erreur et s'en repentit.

Le starets dit que la chose la plus importante que regarde Dieu, c'est la disposition intérieur de l'âme d'une personne: "Un jour, abba Antoine était en visite chez un homme qui avait les jambes malades et qui lui dit : "Batouchka, mes jambes me font souffrir et je suis tellement éprouvé que je n'arrive pas à me courber jusqu'au sol." Le p. Antoine répondit : "Hé bien, il est dit dans l'Écriture : "Fils, donne-moi ton coeur" – il n'est pas dit "tes jambes."

Une vieille moniale raconta au staretz qu'elle avait vu l'Icône de la Mère de Dieu et l'avait entendue dire : "Qu'a-tu apporté comme offrande?" Elle répondit : "Qu'apporterais-je, je ne possède rien." Alors batouchka lui dit : "Il est écrit dans les Psaumes : "Quiconque offre la louange Me glorifie."


saint Ambroise d'Optina aux éditions de l'abbaye de Bellefontaine :
http://pagesperso-orange.fr/abbaye.bellefontaine/so/so34.htm
J.-B. Dunlop, "Le Starets Ambroise D'optino"
Ambroise (1812-1881) est le dernier et le plus célèbre des startsy d’Optino, ce haut-lieu spirituel russe du XIXe siècle. On a pu dire qu’en lui le startchestvo trouva son apogée. Nombreux furent ceux qui s’adressèrent à lui, de tous les horizons spirituels : foules qui quêtaient ses paroles, gens dans la peine, chercheurs de Dieu, incroyants, maîtres de la pensée russe tels Dostoïevsky, Tolstoï…
1982, 183 pages, ISBN 2-85589-034-9 - OC




09 avril 2008

Explication du Grand Canon de Saint André de Crête (archiprêtre Victor Potapov)

patriarche de Moscou Alexis II lisant le Grand Canon de saint Andre de Crete
Фото - Ю. Клиценко, "Седмица. Ru"


icone orthodoxe russe de saint Andre de Crete


Le Grand Canon de saint André de Crète
http://www.stjohndc.org/Russian/feasts/fasts/grlent/e_canon_andcrete.htm


"Pitié pour moi, ô Seigneur, pitié pour moi"

La première semaine du Grand Carême est appelée depuis les temps anciens "l'aube de l'abstinence," ou "la semaine de purification." Pendant cette semaine-là, l'Église encourage ses enfants à sortir de cet état de péché dans lequel toute l'humanité a sombré parce que nos ancêtres ne se sont pas abstenus, parce qu'ils ont perdu les bénédictions du Ciel, cet état de péché que chacun d'entre nous accroît par ses propres péchés. Elle les persuade doucement d'y parvenir par le biais de la Foi, la prière, l'humilité et le jeûne, des choses qui sont agréables à Dieu. C'est un temps de repentance, dit l'Église. "Voici le jour du Salut, l'entrée dans le Grand Carême. O mon âme, soit attentive, ferme les portes par lesquelles entrent les passions, et regarde vers le Seigneur" (de la première ode du canon du triode, lors des Matines du lundi de la première semaine du Grand Carême).

L'église de l'Ancien Testament tenait pour particulièrement sacrés les premier et derniers jours de nombreuses grandes fêtes. De même, selon la coutume, les Chrétiens Orthodoxes, préparés et inspirés par les maternelles instructions offertes par leur Église depuis l'antiquité, observent les premières et dernières semaines du Grand Carême de manière particulièrement stricte et assidue.

Les Offices de la première semaine sont particulièrement longs, et l'effort (podvig) de l'abstinence physique au cours de cette semaine est considérablement plus rigoureux que pendant les jours suivants du Grand Carême. Au cours des 4 premiers jours du Grand Carême, la Grande Complie est célébrée, avec la lecture du Grand Canon pénitentiel de saint André de Crète, qui, pour
ainsi dire, donne le ton qui résonnera tout au long du Grand Carême. Durant la première semaine du Grand Carême, le Canon est divisé en 4 parties, et chacune est chantée lors de chacune de ces Complies. Le jeudi de la 5ème semaine du Grand Carême (en fait, le mercredi soir), notre attention est à nouveau attirée sur la merveilleuse composition de saint André, et cette fois dans son entièreté, de sorte que la conclusion du Grand Carême étant en vue, nous ne devenions pas nonchalants, inattentifs et négligents, de sorte que nous ne cessions pas de prendre garde à nous et arrêtions de veiller strictement sur nous mêmes en tout.

Le refrain "Pitié pour moi, ô Seigneur, pitié pour moi" accompagne chaque verset du Grand Canon. Plusieurs tropaires y sont aussi incorporés, certains en l'honneur du compositeur du Canon, saint André, et d'autres à sainte Marie l'Égyptienne. L'Église de Jérusalem mit cette pratique en application du vivant de saint André. Lorsqu'en l'an 680, saint André fit le voyage de Constantinople pour participer au 6ème Concile Oecuménique, il amena avec lui et rendit public à la fois sa grande composition et la vie de sainte Marie l'Égyptienne, écrite par son compatriote et maître, saint Sophrone, patriarche de Jérusalem. La Vie de sainte Marie l'Égyptienne est lue avec le Grand Canon aux Matines du mercredi de la 5ème semaine du Grand Carême.

Le Grand Canon est plus extraordinaire que tout autre texte liturgique rencontré durant le Grand Carême. C'est une merveille d'hymnographie liturgique, avec des textes d'une incroyable puissance et d'une beauté poétique. L'Église décida de l'appeler Grand Canon non pas tant à cause de sa longueur (250 tropaires ou versets) que pour la qualité et la force de son contenu. Saint André, archevêque de Crète, qui composa ce Canon au 7ème siècle, composa aussi nombre d'autres Canons utilisés par l'Église pendant le cycle de l'année liturgique.

Le Grand Canon consiste en une conversation entre le pénitent et sa propre âme. La conversation commence :"

"Par où commencerai-je, * quand je dois pleurer toutes les oeuvres de ma vie, * par quel exorde faut-il chanter mon deuil? * Dans ta bonté, ô Christ, accorde-moi * le pardon de mes péchés" – par quoi vais-je commencer à me repentir, car c'est si difficile?

Suit un merveilleux verset :

"Allons, mon âme, entraîne ton corps * à glorifier le Créateur; * et désormais retrouve ta raison * pour offrir à Dieu * tes larmes de repentir."

Les paroles sont fortes, contenant à la fois de l'anthropologie et de l'ascèse Chrétienne: notre chair, une partie inséparable de notre nature humaine et de notre être, doit aussi participer à notre repentance.

L'apogée de cette conversation avec l'âme, son incessant et constant appel à la repentance, vient dans le kondakion chanté après la 6ème ode du Canon:

"Réveille-toi, pourquoi dormir, ô mon âme, * pourquoi dormir ainsi? * Car voici, la fin s'approche, * et tu rendras compte au Jugement. * Veille donc, ô mon âme, * pour que t'épargne le Christ Dieu, * Lui qui est partout, * dans tout l'univers, qu'Il comble de Sa présence."

Le grand luminaire de l'Église adresse ces paroles à lui-même, à celui qui pourrait être décrit par les paroles qu'il utilisa pour décrire sainte Marie l'Égyptienne, qui était vraiment tel "un Ange dans la chair." Et cependant, il s'adressa ces mots, reprochant à son âme d'être endormie. Si lui, il arrivait à se voir ainsi, que ne faut-il pas penser de nous-mêmes?! Plongés que nous sommes non seulement dans un sommeil spirituel dont nous ne parvenons pas à nous réveiller, mais aussi dans une sorte de nécrose.

Lorsque nous prêtons attention aux paroles du Canon de saint André de Crète, nous avons à nous demander à nous-mêmes : que dois-je faire? Si l'on veut pouvoir accomplir la Loi de Dieu, comme il convient, le contenu de notre vie devrait se dérouler différemment. C'est pour cette raison que l'Église nous offre ce profond Canon Pénitentiel du Grand Carême, si vibrant de sentiment et de conviction, de sorte que nous puissions regarder plus profondément en nos âmes et voir ce qui s'y trouve. Et cependant, l'âme continue à dormir; c'est en cela que se trouvent notre douleur et notre infortune.

Dans la merveilleuse prière de saint Ephrem le Syrien, que nous répétons tout au long du Grand Carême, nous entendons des paroles qui ont pour but de nous amener à nous exclamer quelque chose comme : "O Seigneur et Roi, donne-moi de voir mes propres péchés! Je ne les vois pas; mon âme s'est assoupie, profondément endormie, et je ne parviens pas à voir ces péchés comme je le devrais. Comment pourrais-je alors être capable de m'en repentir?" C'est pour cela que pendant les jours du Grand Carême, chacun d'entre nous devrait se concentrer sur lui-même, devrait examiner sa propre vie, et la mesurer à l'aune des normes établies par les Évangiles, et par rapport à rien d'autre.

Un des points distinctifs de base du Grand Canon, c'est son utilisation très large d'images et de sujets tirés des saintes Écritures, tant de l'Ancien que du Nouveau Testament. Hélas, nous ne connaissons pas la sainte Bible comme nous le devrions, et parce qu'il en est ainsi, pour nombre d'entre nous, les noms mentionnés dans le Grand Canon ne signifient rien.

Et cependant, la Bible n'est pas simplement une histoire du peuple d'Israël. C'est aussi la grand chronique de l'âme de l'humanité, des âmes qui vont maintes fois et encore tomber et se relever devant la face de Dieu, qui vont encore et toujours chuter dans le péché, et encore et toujours s'en repentir. Si nous devions examiner les vies de ceux qui sont mentionnés dans la Bible, nous verrions que chacun d'entre eux est présenté non pas tant comme un personnage historique, une personne individuelle qui a fait ceci et cela, que comme une personne se tenant devant le Dieu Vivant. Les détails historiques de la personne ou ses autres réalisations n'y reçoivent que la seconde place. Ce qui en ressort est ce qui est de plus important: est-ce que cette personne est restée fidèle à Dieu ou non. Si nous lisons la Bible et le Grand Canon avec le même cadre de référence, nous verrons que bien des choses qui sont dites à propos des justes et des pêcheurs de l'antiquité n'est rien de plus qu'une chronique de notre propre âme, de nos chutes et relevailles répétées, de notre péché incessant et des repentances qui le suivent.

A cet égard, un auteur religieux écrivait ceci, plutôt pertinent : "Si, de nos jours, tant le trouvent (le Grand Canon) ennuyeux et sans intérêt pour nos vies, c'est parce que leur foi ne se nourrit pas à la source de l'Écriture Sainte, la source qui, pour les pères de l'Église, était la source même de leur Foi. Nous devons réapprendre à saisir le monde tel qu'il nous est révélé dans la Bible, apprendre à vivre dans ce monde biblique. Il n'y a pas de meilleure manière d'apprendre cela que par les Offices de l'Église, qui non seulement nous communiquent l'enseignement biblique, mais aussi nous dévoilent la manière biblique de vivre." (protopresbytre Alexandre Schmemann, le Grand Carême, p. 97 édition US).

Et ainsi, à travers les personnes et les événements rapportés dans le Grand Canon, l'histoire de l'Ancien et du Nouveau Testament passe devant nous. Son auteur nous fait découvrir la chute de nos ancêtres dans le péché, et la corruption du monde originel. Il met les vertus de Noé en exergue et l'amertume et le manque de repentance dont ont fait preuve les gens de Sodome et Gomorrhe. Il ressuscite pour nous la mémoire des justes patriarches et des hommes vaillants: Moïse, Josué fils de Nun, Gédéon et Jepthah; il nous permet de voir la piété du roi David, sa chute et sa touchante repentance; il nous présente l'impiété d'Achab et de Jézabel, et aussi les grands paradigmes de repentance – les Ninivites, Manassé, la prostituée et le sage voleur. Il accorde une attention particulière à sainte Marie d'Égypte, et à plus d'une reprise, il arrête le lecteur au pied de la Croix, et au saint Sépulcre de notre Seigneur. Partout, il enseigne la repentance, l'humilité, la prière et l'abnégation. C'est en tous ces exemples qu'a lieu la constante exhortation à l'âme – ô mon âme, souviens-toi de ce juste; c'est ainsi qu'il a plût à Dieu; souviens-toi aussi de cet autre juste, et comment il plût à Dieu; tu n'as rien fait de comparable.

La Bible parle présente certains sous une lumière positive, et d'autres personnes sous une lumière négative. Nous devons imiter les premiers, pas les seconds.

"Élie, montant le char le feu, * fut emporté sur les ailes des vertus * depuis la terre jusqu'au ciel: * imite, ô mon âme, son ascension." - imite, ô mon âme, l'ascension des justes de l'Ancien Testament.

"Pauvre âme, tu as imité * la bassesse de Ghiézi; * au déclin de tes jours renonce à ta cupidité, * pour éviter la géhenne que méritent tes forfaits." - au moins dans ton vieil âge, débarrasse-toi de l'avarice de Ghiézi, ô âme, et rejette tes mauvaises actions, évite les feux de l'Hadès.

Comme nous pouvons le voir, les textes sont plutôt difficiles, et dès lors il est essentiel de bien se préparer pour le Grand canon, de sorte que nous puissions le saisir.

Dans l'ode de conclusion chantée le premier jour, après les rappels historiques, vient ce tropaire d'une étonnante force:

"La Loi demeure sans effet, * l'Evangile, sans fruit; * de toute l'Ecriture tu n'as souci, * les Prophètes n'ont plus de pouvoir, * de même que les écrits des élus; * tes blessures, ô mon âme, se sont aggravées, * car tu n'as plus le médecin * qui pourrait les guérir." - il est inutile de te rappeler l'Ancien Testament; tout est inutile. Je vais te donner les exemples du Nouveau Testament, et peut-être que cette fois tu te repentiras.

"Du nouveau Testament * je t'offre les exemples t'invitant, * ô mon âme, à la componction: * des hommes justes inspire-toi, * détourne-toi des pêcheurs * et suscite la grâce du Christ * par le jeûne, l'oraison * et la pureté de ta vie."

Pour finir, ayant présenté tout ce qu'il convient de l'Ancien Testament, l'auteur monte vers le Donateur de Vie, le Sauveur de nos âmes, et tel le Bon Larron, il s'écrie "Aie pitié de moi!" et tel le Publicain il s'exclame "Ô Dieu, sois miséricordieux envers le pêcheur que je suis!" Imitant l'insistance de la femme Cananéenne et de l'aveugle Bartimée, il dit "aie pitié de moi, Ô Fils de David!" Tel la prostituée, il verse des larmes au lieu de myrrhe sur la tête et les pieds du Christ, et pleure amèrement sur lui-même comme Marthe et Marie le firent sur Lazare.

Plus loin, le Canon souligne le fait que les pires pêcheurs se sont repentis, et entreront le Royaume Céleste avant nous:

"Le Christ s'est incarné, * appelant au repentir * les courtisanes et les brigands: * fais pénitence, ô mon âme, * car s'entrouvre déjà la porte du royaume * et nous y sommes devancés * par les pharisiens, les publicains * et les pécheresses repenties."

Et lorsque, dans une sorte d'horreur spirituelle, survenant de loin après les miracles du Sauveur, et amené à la componction par chaque lutte spirituelle de Sa vie terrestre, l'auteur du Canon parvient à l'horrible sacrifice du Christ, son coeur se serre, et ensemble avec toute la Création, il sombre dans le silence face au tremblement du Golgotha, et s'écrie une dernière fois :

"O mon Juge qui me sondes et me connais, * lorsque Tu viendras de nouveau * avec les Anges saints * pour juger le monde entier, * de Ton regard bienveillant * regarde-moi pour m'épargner * et fais-moi grâce, ô Jésus, * bien que j'aie comblé la mesure du péché."

Dans son tropaire conclusif, le Grand Canon, utilisant toutes les ficelles possibles pour nous amener à la repentance, dit, comme pour nous dévoiler sa "méthode d'instruction" : "Ô mon âme, comment t'ai-je parlé! Je t'ai rappelé les justes de l'Ancien Testament, et je t'ai donné les exemples du Nouveau Testament (pour t'amener à la componction), et cependant tout cela n'a servit à rien, car toi mon âme, tu n'as pas suivis leurs vies et actions. Malheur à toi lorsque tu sera jugée!" - malheur à toi, quand tu te tiendras devant le Jugement!

Étant attentif aux paroles du Grand Canon, ayant scruté l'histoire de gens qui fuirent Dieu pour mieux être rattrapés par lui, de gens qui étaient dans des gouffres, mais que Dieu en a sortis, contemplons le fait que Dieu nous guide chacun d'entre nous hors de nos abîmes de péché et de désespoir, de sorte que nous puissions Lui offrir les fruits de la repentance.

Il ne faudrait pas s'imaginer que la repentance consiste à fouiller dans ses péchés personnels, s'engageant dans l'auto-flagellation, et s'efforçant de découvrir autant de mal et de ténèbre que possible. Se repentir vraiment, c'est se détourner des ténèbres et aller vers la Lumière, du péché vers la justice, de comprendre que notre vie a été indigne de son appel si élevé, de confesser devant Dieu à quel point nous sommes insignifiants, et de confesser que notre seul espoir est en Dieu Lui-même. La véritable repentance, c'est lorsque se tenant devant la face de Dieu, Qui, comme le dit l'Apôtre Pierre, "vous a appelés hors des ténèbres à Sa merveilleuse Lumière" (1 P. 2,9), nous comprenons que la vie nous a été donnée afin que nous puissions devenir enfants de Dieu, afin que nous puissions communier à la Lumière divine. La vraie repentance ne se reflète pas tant en paroles qu'en actes: dans l'empressement à venir à l'aide des autres, l'ouverture et l'écoute envers notre prochain, et ne pas devenir imbu de soi-même. La véritable repentance, c'est comprendre que bien que nous ne possédions pas la capacité de devenir de vrais Chrétiens, Dieu est capable de nous le faire devenir. Comme il est dit dans le Grand Canon, "là où Dieu le veut, l'ordre naturel est renversé." C'est-à-dire là où Dieu le veut, des événements surnaturels surviennent : Saul devient Paul, Jonas sort du ventre de la baleine, Moïse franchit la mer à pied sec, le mort Lazare est ressuscité, Marie l'Égyptienne cesse d'être une prostituée et devient une grande ascète. Car, nous dit le Sauveur, "pour les hommes, c'est impossible, mais pour Dieu, toutes choses sont possibles" (Mt 19,26).
archiprêtre Victor Potapov

Pière de saint Ephrem le Syrien
Seigneur et Maître de ma vie, éloigne de moi l'esprit de paresse, d'abattement, de domination et de vaines paroles. (prosternation)

Mais donne à Ton serviteur un esprit d'intégrité, d'humilité, de patienc et d'amour (prosternation).

Oui, Seigneur Roi, donne-moi de voir mes péchés et de ne pas juger mon frère, car Tu es béni dans les siècles des siècles. Amen. (prosternation)

O Dieu, purifie-moi, pécheur (12 fois, avec autant de prosternations, et à nouveau la prière toute entière, et à la fin une grande prosternation)

Intégralité du Grand Canon de saint André de Crète :
http://www.forum-orthodoxe.com/~forum/viewtopic.php?t=1789


sainte Waudru de Mons et les giboulées d'hiver (vie, iconographie, traditions)

Dicton météo :
 A la Sainte Waudru et Saint Macaire, 
On revoit les giboulées d'hiver!
Sainte Waudru (612 - 686) (soeur de sainte Aldegonde de Maubeuge, toutes deux filles de saint Walbert et sainte Bertille), accompagnée de son mari saint Vincent de Soignies, et de leurs enfants saint Landry (évêque de Metz), saint Dentelin, sainte Adeltrude et sainte Madelberte. Une vraie famille Orthodoxe, où tous ont vécu en Christ.


Le "paterikon" belge, compilé par le sous-diacre Jean (patriarcat de Moscou) sous le titre de "Saintes et Saints de Belgique au 1er millénaire" (Braine-l'Alleud, 2003),mentionne ceci :

SAINTE WAUDRU
extrait :
"[...] C'est le 9 avril 686 que Dieu appela Waudru pour la faire jouir de l'éternité. Son corps fut inhumé dans le petit monastère qui sera plus tard converti en un collège de chanoinesses. Les reliques se trouvent toujours à Mons dans une châsse portée chaque année en procession à Mons, le lendemain de la Trinité. Waudru est la patronne de la ville de Mons, et elle est invoquée contre les maladies de la peau. Elle est fêtée le 9 avril et vénérée dans le diocèse de Tournai. A Castiaux, près de Mons, se trouve une fontaine dite de Sainte Waudru, où se sont opérées des guérisons. Des églises lui sont dédiées, à Nodebais, Maffle, Ciply, Frameries... et bien entendu à Mons où la magnifique collégiale porte son nom. Tropaire d'une religieuse.

Prière à Sainte Waudru
Seigneur, Tu as permis à Sainte Waudru de se sanctifier dans le mariage et dans la vie religieuse. Accorde-nous, à sa prière, de répondre fidèlement à notre vocation en témoignant de Ton amour par toute notre vie. Par le Christ Notre Seigneur.
Sainte Waudru, épouse et mère, veille sur nos familles.
Sainte Waudru, fidèle à tes voeux religieux, soutiens de ta prière ceux et celles que le Seigneur appelle.
Sainte Waudru, patronne de Mons, protège la ville ainsi que sa région".


Tropaire de sainte Waudru ton 5
Telle un olivier qui porte du fruit,
Vénérable moniale Waudru,
Tu as poussé dans les parvis du Seigneur
Et par de nobles combats
Tu as lutté virilement jusqu'à la mort
En illuminant la terre du Hainaut.
Et c'est pourquoi aujourd'hui, nous te chantons
Prie le Seigneur Tout-Puissant
De nous accorder la grâce du Salut
.




icône à la collégiale Saint Vincent, Soignies

Sainte Waldetrudis ou Waudru, première abbesse de Mons et fondatrice de cette ville (626-686)
Rois mérovingiens : Dagobert 1er; Clotaire 2; Thierry 3.

Sapiens mulier aedificat domuum.
A la fondation de toute maison, il faut une femme sage
.
Prov. 14,1

Sainte Waudru était soeur aînée de sainte Aldegonde (30 janvier), et, comme elle, fille du comte Walbert et de dame Bertile, tous 2 aussi canonisés. Dès sa jeunesse, elle se montra si portée à la dévotion, qu'elle se retirait souvent pour prier et pour assister aux divins Offices : ce qui ne pouvait être que très agréable à ses parents, personnes d'une piété rare. Lorsqu'elle fut en âge d'être mariée, elle épousa, par obéissance, le comte Madelgaire, qui reçut le prénom de Vincent en religion, lequel comte était un des principaux seigneurs de la cour du roi Dagobert 1er. Ils eurent 4 enfants, tous canonisés pour leur sainteté, à savoir : saint Landry, évêque de Metz en Lorraine (ou de Meaux, en Brie selon certains) et futur abbé à Soignies; saint Dentelin, qui mourut à 7 ans; et les saintes Aldetrude et Madelberte, qui entrèrent comme moniales à Maubeuge, sous la conduite de sainte Aldegonde, leur tante.

Ce progrès admirable de ses enfants dans toute sortes de vertus, montre assez le soin qu'elle apporta à leur éducation spirituelle avant tout. Mais elle ne les instruisait pas moins par son exemple que par ses paroles; car elle était fort adonnée à la prière, fuyait le luxe, la bonne chère et tous les divertissements de la vie; jeûnait souvent et donnait à tous moments, par son hospitalité et par ses aumônes abondantes, des marques de sa charité et de sa miséricorde envers les pauvres. Elle ne se contenta pas de s'adonner à la piété Chrétienne : elle y engagea aussi son mari. Ayant enfin découvert les vraies valeurs de ce monde et leurs enfants devenus grands et partis du domicile, son mari et elle, suivant le conseil de saint Aubert, évêque de Cambrai, se décidèrent à entrer dans la vie monastique. Lui entra au monastère d'Haumont, près de Maubeuge et prit le nom de Vincent. Il est commémoré le 14 juillet, sous le nom de Vincent de Soignies, ville qui possède encore aujourd'hui ses reliques.
Quant à Waudru, elle fut encouragée d'abord par saint Géry, ancien évêque de Cambrai et fondateur de la ville de Bruxelles, qui lui apparut en songe; puis par un Ange envoyé du Ciel pour la consoler dans une persécution que le démon suscita contre elle; elle abandonna entièrement le monde, et, par le conseil de saint Ghislain, qui était alors abbé de Celle-lès-Mons, elle fit bâtir une maison à l'écart, sur une montagne appelée alors Châteaulieu (Castri locus, castriloc, camp-lieu), et où l'on voit à présent la grande ville de Mons, en Hainaut.
Mais comme elle trouva cette maison plus grande et plus magnifique qu'elle ne le désirait et qu'elle ne l'avait ordonné, parce qu'elle voulait observer les règles de la pauvreté évangélique, elle ne voulut pas y demeurer; et, la nuit même où elle en sortit, le toit du bâtiment tomba à terre. C'est pourquoi celui à qui elle avait donné la charge de cet édifice en fit faire un autre moins somptueux et plus pauvre, avec un oratoire en l'honneur de saint Pierre et de saint Paul. Lorsqu'il fut achevé, elle y reçut l'habit de moniale et le voile sacré des mains de l'évêque saint Aubert, et se retira pour y vivre seule et solitaire.
Mais le démon, qui travaille perpétuellement à la perte des hommes, ne la laissa pas en repos. Tantôt il lui mettait devant les yeux la vie qu'elle avait abandonnée, et dont elle pouvait encore jouir si elle voulait retourner dans le monde. D'autres fois, il lui représentait l'amour de son mari, l'affection de ses enfants, la douceur de la conversation de tant de personnes qu'elle avait autrefois fréquentées. D'autres fois, il lui faisait une peinture affreuse de la solitude afin de lui en donner du dégoût avec le désir de chercher compagnie hors de l'enceinte qu'elle s'était prescrite. Enfin, il lui apparut encore sous forme humaine et prit la hardiesse de la toucher de la main. Mais la sainte sortit victorieuse et triomphante de toutes ces tentations, et par l'oraison, le jeûne, les larmes et le Signe de la Croix, elle défit si bien cet ennemi, qu'il se retira toujours d'elle avec honte et confusion.
Après ces victoires, Dieu lui accorda la conduite spirituelle, suscita des saintes femmes et des jeunes filles qui vinrent se mettre sous sa direction. Ainsi, elle assembla en peu de temps une communauté de servantes de Dieu, avec lesquelles elle vécut dans une grande humilité, patience, douceur, charité et ferveur d'esprit. Sainte Aldegonde, sa soeur, qui, par ses bons avis, avait fait un autre établissement à Maubeuge, la visitait aussi fort souvent, pour en recevoir conseils et recommandations; mais comme la maison de Maubeuge était plus belle que celle de Waudru, elle lui voulut persuader de venir avec elle, et d'abandonner ce pauvre lieu où elle souffrait continuellement de grandes incommodités. Ce fut néanmoins inutile, car sainte Waudru avait l'amour de la pauvreté fortement imprimé dans le coeur, et lui répondit que "Jésus-Christ n'ayant eu à Sa naissance qu'une pauvre étable, et ayant passé toute Sa vie dans une grande indigence des choses les plus nécessaires au grand soulagement du corps, il n'était pas raisonnable qu'une basse créature comme elle recherchât ses commodités; qu'enfin elle espérait vivre aussi tranquillement dans sa petite solitude, que celles qui avaient de beaux monastères et de riches abbayes."
En effet, toute pauvre qu'elle était, elle ne cessait pas de trouver de quoi faire beaucoup de charités aux mendiants, aux malades et aux prisonniers; et Dieu, pour seconder son zèle, a quelquefois multiplié l'argent entre les mains de celui qu'elle chargeait de la distribution de ses aumônes. Elle fit aussi d'autres miracles : car elle délivra un pauvre homme, qui l'invoqua dans sa misère, de la puissance d'un démon dont il était extrêmement maltraité, et elle le guérit ensuite d'une violente maladie qui le tourmentait. Et 2 enfants, déjà moribonds, lui ayant été présentés par leurs mères, elle leur rendit la santé par ses prières, son attouchement sacré et l'impression du Signe de la Croix. Enfin, après une vie si sainte, Dieu rappela au Ciel pour lui en donner une éternelle; ce qui arriva le 6 avril de l'an 686. Comme sa petite communauté a été environnée d'une grande ville qui porte le nom de Mons, sainte Waudru en est devenue la patronne, et est honorée en cette qualité par tous ses habitants. Le culte rendu à sainte Waudru remonte à l'époque même de son bienheureux trépas. Il a été de tout temps célèbre, non-seulement à Mons où ses reliques sont conservées, mais encore dans tous les pays circonvoisins.
La collégiale Sainte-Waudru, à Mons, est un des remarquables monuments religieux de la Belgique hétérodoxe. Elle fut construite dans le 15ème siècle sur les dessins de Jean Dethuin, un des grands architectes de cette époque.
Dans les gravures et statues dont sainte Waudru est l'objet : 1° Saint Géry lui apparaît et lui présente une coupe, symbole du sacrifice dont le Seigneur lui demandait la consommation; 2° on la voit payant la rançon de quelques prisonniers. Cette oeuvre de miséricorde, belle entre toutes, était particulièrement chère à notre Sainte; 3° portant une église en sa qualité de fondatrice ou de patronne de Mons; 4° en groupe avec ses 2 filles - encore enfants - sainte Adeltrude et sainte Madelberte.

Reliques Orthodoxes encore détenues fin du 19ème siècle dans le Tournaisis par le vatican (source : petits bollandistes 1872):
"1° Ville de Tournai - Eglise cathédrale : Le corps de saint Eleuthère qui repose dans une châsse trés-riche et très-ancienne; le corps d'une des compagnes de sainte Ursule.
Saint-Piat à Tournai : une partie du crâne de saint Piat, donc le corps est conservé à Séclin.
2° Mons. - Le corps de sainte Waudru, dans l'église de ce nom : on y trouve, de plus, des reliques insignes de sainte Aye, de saint Macaire, patriarche d'Antioche, ainsi qu'un os considérable d'un bras de saint Eloi.
Le corps de sainte Madelberte, fille de sainte Waudru, abbesse de Maubeuge, se trouve à la cathédrale de Liège.
3° Binche. - 7 corps saints y étaient autrefois conservés, savoir : les corps de saint Ursmer, saint Ermin, saint Théodulphe, saint Vulgise, saint Amolain, saint Abel, saint Hydulphe, et celui de sainte Amalberge. Il ne reste plus aujourd'hui que ceux de saint Hydulphe, seigneur et religieux de Lobbes, et de saint Théodulphe. [et une petite relique de saint Ursmer que nous avons pu y vénérer en famille le 18 avril 2004. JMD]
Renseignements fournis par un membre du clergé de Tournai.
4° Soignies. - Les corps de saint Vincent, abbé de Soignies, et de saint Landri, évêque, abbé de Soignies.
5° Saint-Ghislain - les corps de saint Ghislain, abbé du monastère de ce nom, et de saint Sulpice, évêque de Bayeux.
6° Bonne-Espérance, petit séminaire romain (par de Vellereille-le-Brayeux, près de Binche) - le corps de saint Frédéric, abbé.
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Sainte Waudru est donc fêtée les 3 février et 9 avril. Selon certains auteurs hétérodoxes, le 9 avril (V idus Aprilis) viendrait du "Legendarium Flandrense" et serait la date d'une translation, devenue par la suite date de la fête (et notre paterikon l'ayant reprise, je la garde ainsi en attendant). Le 3 février (III nonas februarii) serait la date du dies natalis. Selon d'autres auteurs hétérodoxes, c'est l'inverse. Puisqu'aucun des documents originaux de cette sainte Orthodoxe n'est en la possession de l'Église, on ne sait de toute façon pas trancher en l'état des informations.


Une traduction de la Vita Waldetrudis – "vita prima," la plus ancienne version
source et version en néérlandais

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"Le lecteur qui chercherait dans ces pages une biographie détaillée de la sainte patronne de Mons, risquerait d'être déçu. En effet, ce que nous présentons ici, c'est la traduction de la vieille Vita Waldetrudis des Vllle-IXe s., attribuée à un moine de Saint-Pierre de Castrilocus et que les auteurs successifs des vies de sainte-Waudru ont complétée par des emprunts faits, entre autres, aux Vitae de sainte-Aldegonde (1re moitié du IXe s.), de sainte-Aldetrude (IXe s.), de sainte-Madelberte (fin IXe-début XI' s.), de saint-Ghislain (vers 900), de saint-Aubert (1015) et de saint-Vincent Madelgaire (fin du Xle s.).

Le texte de cette Vita est conservé dans plusieurs manuscrits dont l'un, du Xle s., appartient à la Bibliothèque royale Albert 1er. Il a été publié, en 1867, dans les Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique de la Belgique, t. IV, pp. -. C'est lui que nous reproduisons ici; nous en avons toutefois modifié le découpage en paragraphes.

Sans être servilement littérale, notre traduction se veut la plus proche possible de l'original latin et ne prétend donc pas à la perfection formelle. Mais comme le latin médiéval use et abuse de formules, de clichés, de périphrases, qu'il est peu soucieux de l'utilisation précise des conjonctions et des adverbes, nous avons dû procéder à des adaptations afin d'éviter les redites, les lourdeurs et les ambiguïtés; dans ce cas, on trouvera en annexes la traduction littérale. De même, pour assurer une meilleure compréhension, il a fallu parfois ajouter des mots entre crochets.

Le lecteur voudra bien avoir pour le traducteur l'indulgence que demande pour lui-même l'auteur de la Vita Waldetrudis.

Albert NOIRFALISE

Incipit prologus super vita sanctae Waldedrudis (La graphie traditionnelle est: Waldetrudis)

(Ici) commence le prologue de la vie de sainte Waudru.

De vita et conversatione sanctae Waldedrudis aliqua scripturí, ipsius poscimus habitatorem, Spiritum scilicet sanctum, quo mundet cor fecibus scelerum pollutum, praebeat rectum loquendi sensum, stilumque scrìbendi dirigat sensificum.

Au moment de consigner par écrit quelques traits de la vie et de l'état religieux de sainte Waudru, nous demandons à l'Esprit Saint qui l'habitait de purifier notre coeur souillé par les impuretés de nos péchés, de nous inspirer le bon langage et de diriger la manière dont nous écrivons afin qu'elle soit édifiante.

Neque illius deifica conabimur ex toto comprehendere opera; quoniam nee agnosci queunt universa, prae nimia antiquitate remota ab hominum memoria, nee studiosis lectoribus commodare cupimus fastidia. Brevitas enim lectionis taediurn tollit ab animo lectoris.

Nous n'essayerons pas de reprendre point par point tout ce que Dieu opéra en elle, parce qu'on ne peut connaître tout ce qui, en raison d'une trop grande ancienneté, a disparu de la mémoire des hommes; et aussi parce que nous ne désirons pas ennuyer les lecteurs qui nous prêtent attention. Un texte court, en effet, évite l'ennui à l'esprit du lecteur.

Strictam itaque et angustam nostri Redemptoris viam veneranda Waldedrudis ire cupiens, non mediocriter viam seculi latam et spatiosam, quae ducit ad mortem, deseruit; verum perfecte et absque tegna suo Salvatori obsequi coepit. Divino denique amore afflata cito retraxit pedem a mundi via, posuitque illum in viam realem, de qua ait Psalmista: Beati immaculati in via, qui ambulant in lege Domini.

Ainsi donc, désirant parcourir le chemin étroit et resserré proposé par notre Rédempteur, la vénérable Waudru abandonna, non sans grandeur, la large et spacieuse voie du siècle qui conduit à la mort et elle entreprit de suivre son Sauveur parfaitement et en toute loyauté. Bref, inspirée par l'amour de Dieu, elle s'empressa de quitter le chemin du monde pour poser le pied sur la voie véritable dont le Psalmiste dit: "Heureux ceux dont la conduite est sans tache et qui suivent la voie du Seigneur."

Igitur, auxiliante gratia Christi, de hujus beata conversione atque miraculis, quae nostris gesta sunt haud procul temporibus, juxta quod veracium testium relatio certa vulgavit, ad laudem ejusdem Domini nostri Jhesu Christi et aedificationem proximorum aliqua, licet pauca, de multis curabimus scribendo patefacere.

Aidé par la grâce du Christ, nous aurons soin de faire connaître, en les mettant par écrit, quelques-uns - en petit nombre, il est vrai - des faits, parmi tant d'autres relatifs à sa sainte vie religieuse et à ses miracles, faits qui, selon ce que la relation fidèle de témoins véridiques a répandu dans le public, se sont passés à une époque proche de la nôtre. Et cela, pour la louange de notre Seigneur Jésus Christ et l'édification de notre prochain.

Precamur etiam prudentem lectorem, ne penitus hanc nostram abhorreat dictationem propter vitiorum foeditatem, quam artigrafi vocant barbarismos ac solecismos.

Et nous prions le lecteur avisé de ne pas rejeter notre récit avec horreur à cause de la laideur des défauts que les grammairiens appellent barbarismes et solécismes.

Explicit prologus.

(Ici) se termine le prologue.

Incipit vita ejusdem.

(Ici) commence la vie de la même [sainte Waudru].

Gloriosa igitur Waldedrudis, temporibus Dagoberti, incliti regis Francorum, clarissimis orta parentibus, ex regis prosapia edita fuit. Cujus pater Walbertus, mater vero Bertilia dicebatur. Erat autem et illi soror, virgo scilicet sacratissima, nomine Aldegundis, quae vitam multis plenam virtutibus ducens, seque in continentiae arce custodiens, pluribus annis Melbodiensi praefuit monasterio. Extat quidem libellus de vita et conversatione illius editus, in quo, si quis nosse desirat, quam grata Deo et angelis extiterit, quamque cara hominibus fuerit, quantas ac quales per eam virtutes Dominus ostendere dignatus sit, facile poterit repperire.

Née de parents illustres, à l'époque de Dagobert, célèbre roi des Francs, la glorieuse Waudru est issue de royale lignée. Son père s'appelait Walbert et sa mère, Bertille. Elle avait aussi une soeur, une très sainte jeune fille du nom d'Aldegonde qui, menant une vie toute remplie d'actions vertueuses et se gardant dans la citadelle de sa chasteté, fut, pendant de nombreuses années, à la tête du monastère de Maubeuge. Il existe d'ailleurs un petit livre traitant de sa vie et de son état religieux dans lequel, si on désire le savoir, on pourra découvrir combien elle fut agréable à Dieu et aux Anges, [combien elle fut] chère aux hommes et quelles grandes et belles vertus le Seigneur a daigné montrer à travers elle.

Sed nos ad hoc, quod proposuimus, calamum revocemus.

Mais revenons au sujet que nous nous sommes proposé.

Beata autem Waldedrudis adhuc adolescentula, cum in paterna domo nutriretur, et nimium a suis diligeretur, visum est parentibus ejus, ut eam secundum antiquam Dei ordinationern et patriarcharum exemplum ad nuptias viro tradere debuissent. Erat vero pulchra facie decoraque aspectu, sed pulchrior fide, pudicitia et sanctitate. Sed Dei occultam dispositionem, quae eam fidei suae anulo subarraverat, et sociam ac coheredem supradictae germanae suae Aldegundis virgínis in aeterni regni gloria fieri praedestinaverat, nec ipsa carnis copula potuit immutare.

Alors que la bienheureuse Waudru, encore adolescente, était élevée dans la maison paternelle et qu'elle était fort aimée des siens, ses parents estimèrent que, selon l'antique plan de Dieu et l'exemple des patriarches, ils devaient la marier. Elle était belle de visage et superbe à regarder, plus belle encore par sa foi, sa réserve et sa chasteté . Mais l'union conjugale ne put changer le plan secret de Dieu qui S'était fiancé à elle par l'anneau de Sa fidélité et l'avait prédestinée à devenir, dans la gloire du Royaume éternel, la compagne et la cohéritière de sa soeur, la vierge Aldegonde dont il a été question plus haut.

Nam omnipotens Deus hane ab ingressu mundi gratuito pietatis suae munere citius retraxit, et amoris sui igne cor illius accendens, ab omnibus carnalibus illecebris et ab immoderato terrenarum rerum appetitu facile temperavit. Mutato namque animo, coeperunt subito vilescere, quae placebant, et quae prius delectabant animum, postmodum fieri vehementer onerosa.

Le Dieu tout-puissant, en effet, par un don gratuit de Sa tendresse, la détourna très tôt de la vie mondaine et, enflammant son coeur du feu de son amour, Il la tint aisément à l'écart de tous les attraits charnels et du désir immodéré des choses de la terre. Un changement s'opéra en elle; les choses qui lui plaisaient comrnencèrent tout à coup à perdre de leur valeur et celles qui auparavant la charmaient, à devenir, par la suite, très pesantes.

Studebat autem inter haec curas mundi paulatim postponere, et solis desideriis aeternis inhiare, substantiam suam pauperibus, orphanis ac viduis, cum omni hilaritate erogare, captivos redimere, hospites et peregrinos colligere, vitia quoque non solum ab actu corporis, sed etiam a cogitatione cordis funditus exstirpare.

Et elle, au milieu de tout cela, s'appliquait, petit à petit, à faire peu de cas des soucis mondains et à aspirer aux seuls biens éternels; à distribuer avec joie sa fortune aux pauvres, aux orphelins et aux veuves; à racheter les prisonniers; à accueillir les étrangers et les pèlerins de passage; mais aussi à extirper radicalement ses défauts non seulement de ses actes mais encore de ses pensées.

Interea sua tantum salute minime contenta, etiam jugalem suum, nobilem scilicet virum Maldegarium, ad amorem Dei et coelestis patriae desiderium, ac castimoniam conservandam, blandis cottidie ac salutiferis sermonibus excitare curabat, et igne caritatis, quo ipsa suaviter fiagrabat, illius mentem accendere satagebat. Denique, quia carnalís affectus intentionern mentis multum deverberare ejusque aciern obscurare solet, coepit ipsarn carnis copulam valde perhorrescere; non quod Dei munus ad propagandam sobolem hominibus concessum, sed quia scriptum noverat, docente Apostolo: Mulier innupta et virgo cogitat, quae Dei sunt, ut sit sancta corpore et spiritu; quae autem nupta est, cogitat, quae sunt mundi, quomodo placeat viro. Ideoque soli Deo vacare desiderans, veluti quoddam impedimentum, carnale conjugium pertimescebat, atque ut nutu Dei solveretur, et in se Domini voluntas fieret, cottidie cum gemitu et lacrymis exorabat.

Entre-temps, ne se contentant pas de [faire] son seul Salut, elle s'efforçait également, chaque jour, par des paroles persuasives et salutaires, d'inciter son époux, le noble Madelgaire, à aimer Dieu, à désirer la patrie céleste, à garder la chasteté; et elle s'attachait à enflammer son âme du feu de la charité dont elle-même brûlait délicieusement. Enfin, parce que souvent l'amour charnel accable lourdementl l'effort de l'esprit et obscurcit son éclat, elle se prit à détester l'union des corps, non [qu'elle refusât] la mission confiée par Dieu aux hommes pour perpétuer leur descendance, mais parce qu'elle savait que, selon l'enseignement de l'Apôtre, il est écrit: La femme non mariée et la jeune fille ont souci des affaires du Seigneur afin d'être saintes de corps et d'esprit. La femme mariée, elle, a souci des affaires du monde et cherchel comment plaire à son mari. C'est pourquoi, désirant être libre pour Dieu seul, elle redoutait que le lien conjugal ne fût pour elle un obstacle et, chaque jour, elle priait, avec des gémissements et des larmes, pour en être délivrée, selon le bon plaisir de Dieu, et pour que se fasse la volonté de Dieu sur elle.

Sed omnipotens Deus, qui haee occulta dispositione in corde ancillae suae n-úsericorditer suggerebat, etiam, ut fieret, potenter adjuvit. Nam praedictus vir ejus Maldegarius, divina inspiratione compunctus, et intimi amoris facibus accensus, solutis vinculis conjugalibus, manente autem caritate, ad monasterium, cujus vocabulum est Altus Mons, concite perrexit; ibique, monastico habitu suscepto, in sanctis actibus temporalem hujus vitae cursum peregit.

Mais le Dieu tout-puissant, qui, par une disposition cachée, suggérait miséricordieusement ces pensées au coeur de Sa servante, l'aida puissamment à les réaliser. En effet, son mari Madelgaire, dont nous avons parlé plus haut, touché par une inspiration divine et brûlé par les feux d'un amour intérieur, après avoir délié le lien conjugal, tout en conservant son amour, se retira bientôt au monastère de Hautmont et là, ayant reçu l'habit monastique, il continua saintement le cours de sa vie terrestre.

Religiosissima autem Christi famula Waldedrudis adhuc in seculari habitu posita, vigorem tamen animi in nullo relaxans propriae domus curam gerebat. Erat namque misericordiae operibus dedita, bonis operibus intenta, hospitalitati studens, jejuniis et obsecrationibus Deo serviens noete ac die.

Mais la très pieuse servante du Christ, Waudru, qui restait dans la vie séculière, sans rien relâcher de la vigueur de son esprit, dirigeait sa maison. Elle s'adonnait aux oeuvres de miséricorde, attentive à faire le bien, pratiquant l'hospitalité, servant Dieu, jour et nuit, dans le jeûne et la prière.

Igitur omnipotens Deus, qui novit omnem palmitem afferentem fructum excolere, ut fructum plus afferat, famulam suam, de acceptis muneribus fideliter mínistrantem, ad majora sanctitatis lucra coelesti visione provocare dígnatus est. Nam quadam nocte, cum, post laborem fessa, ad refocillandum corpus lectulo membra dedisset, mox sopore depressa, vidit in somnis, quasi introiret basílicam, quae sita est in villa, quam vulgus Buxutum nominat. Et ecce apparuit illi sanctissimus Gaugericus episcopus, nin-ùo decore refulgens; eamque summo honore et reverentia suscepit, deditque illi per visionem etiam calicem vino plenum. Quem cum bibisset, sereno et hilari vultu dixit ad eam: « Age quod agis; placent enim mihi, quae facis ». Hac itaque visione roborata, et, ut dicam, divinae gratiae vino debriata, terrena fastidire, et ad amorem coelestis patriae vehementius flagrare coepit; et quasi degustatam paululum aeternae vitae dulcedinem avidius appetere.

Et le Dieu tout-puissant, qui sait prendre soin de tout sarment qui porte du fruit pour qu'il en porte davantage, daigna, par une vision céleste, appeler à de plus grands profits de sainteté Sa servante, qui Le servait fidèlement avec les dons qu'elle avait reçus. Une nuit, fatiguée par le travail, elle avait confié ses membres à son lit pour reposer son corps. Bientôt plongée dans le sommeil, elle se vit en songe entrer dans une église située dans un village que le peuple appelle Boussu. Et voici que lui apparut le saint évêque Géry rayonnant d'une grande gloire. Il l'accueillit avec beaucoup d'honneurs et de respect et lui donna même - toujours dans la vision - une coupe remplie de vin. Après qu'elle eût bu, il lui dit, le visage calme et souriant: "Continue de faire ce que tu fais; cela me plaît." Fortifiée par cette vision et, le dirai-je, enivrée par le vin de la Grâce divine, elle se mit à considérer avec dégoût les choses de la terre, à brûler plus fort de l'amour de la Patrie céleste et à désirer plus avidement la suavité de la vie éternelle à laquelle elle avait, pour ainsi dire, un peu goûté.

Sed antiquus hostis, unde bonos proficere dolet, inde malos ad deteriora rapere nequitiae suae artibus conatur. Omnipotentis Dei famula, cum hanc visionem quibusdam suis confamulabus humiliter retulisset, atque ab eis, ut assolet, ad aures ignobilis vulgi perlata fuisset, statim humani generis inimicus, sancto proposito in ipso sui initio resistere cupiens, hujus visione quorundam corda reproborum invidiae facibus accendit, atque ad inferendas illi detractiones, cavillationes, falsaque obprobria excitavit; et, ut ita dicam, contra Christi famulam pugnaturus, eorum se venenosis linguis armavit. Unde scriptum est: Filii hominum, dentes eorum arma et sagittae; et lingua eorum gladius acutus.

Mais l'antique ennemi souffre, d'une part, de voir les bons progresser et, d'autre part, il s'efforce, par les artifices de sa malice, d'entraîner les mauvais dans une situation pire encore [que la leur]. Après que la servante de Dieu, en toute humilité, eût rapporté cette vision à certaines de ses compagnes et que, comme cela arrive souvent, celles-ci l'eurent racontée aux oreilles du menu peuple, aussitôt, à cause de cette vision qu'elle avait eue, l'ennemi du genre humain, voulant, dès son principe, s'opposer à son saint projet, enflamma des feux de l'envie le coeur de certains individus malhonnêtes et il les incita à lancer contre elle des médisances, des plaisanteries et des reproches sans fondement. Et, pour combattre la servante du Christ, il s'arma, pour ainsi dire, du venin de leurs langues. C'est pourquoi il est écrit: Les fils des hommes, leurs dents sont des armes et des flèches et leur langue est un glaive aiguisé.

Sed omnipotens Deus famulae suae, inter diabolicas insidias titubanti, velociter succurrit. Nam cum animus illius, utpote adhuc rudis, hujusmodi irrisionibus ac derogationibus fatigatus nimium turbaretur, ipsaque gravi moerore depressa in lectulo decidisset, subito in virili specie angelus coelitus missus, nimio decore refulgens, apparuit. Qui comminus assistens, eamque familiariter alloquens, causas tanti moeroris inquisivit: «Cur, inquiens, tanti moeroris pondere gravaris ? Quare hilaritatem tuae mentis tristitiae nubilo inordinate confundis?». Cui cum illa respondisset, quantas a civibus suis derogationes, irrisiones ac cavillationes, antiquo adversario instigante, pateretur, subjunxit angelus dicens: «Confortare et esto robusta contra obloquentes et calumniantes te, quoniam scriptum est: Non coronabitur, nisi qui legitime certaverit. Non ergo magnopere curandurn est de vanis verborum favillis, quae citius accensae facile exstinguuntur. Haec etenim patiebantur prophetae, apostoli et martyres, qui fuerunt ante te. Unde et Dominus in Evangelio dicit: Non est discipulus super magistrum. Et paullo post: Si patremfamilias Belzebub vocaverunt, quanto magis domesticos ejus. Hine et alia Scriptura ammonet dicens: Fili, accedens ad servituteni Dei, sta in justitia et timore, et praepara animain tuam ad temptationem. Oportet ergo te hujusmodi temptationes, quae ad probationem fiunt, fortiter tolerare, ut, cum probata fueris, accipias coronam vitae, quarn repromisit Deus diligentibus se ». His et hujusmodi sermocinationibus et seripturarum testimoniis confortata inutilera tristati cordis moerorem, quem diabolica fraus suggerebat, spirituali gaudio superveniente, statim repressit.

Mais vite, le Tout-Puissant vint au secours de Sa servante qui perdait pied au milieu des pièges du démon. Son esprit, encore novice, fatigué par les moqueries et les injures, était profondément troublé et, accablée d'une lourde tristesse, elle s'était laissée tomber sur son lit. Tout à coup, un Ange, envoyé du Ciel sous l'apparence d'un homme et d'une beauté éclatante, lui apparut. Se tenant près d'elle et lui parlant familièrement, il lui demanda la raison d'un si grand chagrin: "Pourquoi, lui dit-il, es-tu écrasée sous le poids d'une si grande affliction? Pourquoi troubles-tu inconsidérément la joie de ton esprit par un nuage de tristesse?" Comme elle lui répondait quels graves reproches, moqueries et plaisanteries elle endurait de la part de ses concitoyens instigués par l'antique ennemi, l'Ange ajouta: "Prends courage et sois forte face à ceux qui t'insultent et te calomnient, car il est écrit: Ne sera couronné que celui qui aura loyalement combattu. Tu ne dois donc pas te préoccuper outre mesure des vaines cendres de paroles qui aussitôt allumées s'éteignent facilement. Les prophètes, les Apôtres et les martyrs qui vécurent avant toi subissaient aussi ces attaques. Car, dans l'Evangile, le Seigneur dit: Le disciple n'est pas au-dessus de son maître. Et un peu plus loin: S'ils ont donné le nom de Beelzebuth au Père de famille, à plus forte raison appelleront-ils ainsi Ses serviteurs. Et un autre passage de l'Ecriture donne cet avertissement: Fils, en arrivant au service de Dieu, tiens-toi debout dans la justice et la crainte et prépare ton âme à l'épreuve. Il te faut donc supporter vaillamment ces tentations qui ont pour but de t'éprouver afin que, lorsque tu auras été mise à l'épreuve, tu reçoives la couronne de la vie que Dieu a promise à ceux qui l'aiment." Réconfortée par ces paroles et par le témoignage des Ecritures, envahie par une joie spirituelle, elle réprima l'inutile douleur de son coeur attristé, [douleur] que la ruse du diable lui inspirait.

Interea erat quidam sacerdos, Gislanus nomine, habitans in locis desertis circa fluvium, cujus vocabulum est Hagna; qui habiturn monachi, quern praetendebat specie, moribus demonstrabat, quique pro sanctitatis suae merito a cunctis, qui hune nosse poterant, valde colebatur. Hie itaque, divina monitus jussione, ad praedictam Christi famulam Waldedrudern exhortationis gratia crebro venire consueverat, et verbi Dei pabulo illius mentem reficere curabat. Quam cum vir Domini ab hujus mundi illecebris frigescere, et coelesti desiderio accensam, sanctae conversationis habiturn ardenter quaerere agnovisset, montem illi quendam, qui nunc Castrilocus dicitur, designavit, et ut, sacro velamine accepto, in eo sibi cellulam ad omnipotentem Dominum serviendum construi faceret, sollicita ammonitione persuasit. Qui mons videlicet a praedicti viri Dei Gislani cellula quatuor fere milibus distans, in superiori parte deserti situs erat; a secularium quidern habitaculis procul remotus, spinarum et vepriurn densitate nemorosus atque incultus, sed sanctae et religiosae conversationi aptissimus videbatur.

Au même moment, un prêtre appelé Ghislain habitait un endroit désert près de la rivière qu'on appelle Haine. Par sa façon de vivre, il exprimait l'idéal monastique que son aspect extérieur révélait et, à cause de sa sainteté, il était fort vénéré par tous ceux qui avaient l'occasion de le connaître. Averti par un ordre divin, il avait l'habitude de venir souvent chez la servante de Dieu pour l'encourager et il avait souci de nourrir son âme de la Parole de Dieu. Quand cet homme de Dieu apprit qu'elle devenait insensible aux attraits de ce monde et qu'embrasée du désir du Ciel, elle cherchait ardemment à vivre une sainte vie religieuse, il lui indiqua la colline qui s'appelle maintenant Castrilocus et l'exhortant avec sollicitude, il la persuada de s'y faire construire un petit ermitage pour y servir le Dieu tout-puissant, après qu'elle aurait reçu le saint voile. Cette colline, distante d'environ quatre milles de l'ermitage de Ghislain, l'homme de Dieu dont nous avons parlé plus haut, dominait un endroit inhabité. Très éloignée des maisons des gens du monde, couverte d'épines et de buissons épais, en friche elle semblait très propice à une sainte vie religieuse.

Beata autem Waldedrudis ammonitíonem viri Dei libenter gratanterque suscipiens, non distulit opere perficere, quod sibi per famulum suurn omnipotens Deus dignatus est imperare, sed statim misit ad quendam íllustrem virum, Hildulfurn nomine, qui per idern tempus valde inclitus ac nobilis, et secundum temporalem hujus seculi dignitatem potentissimus erat, et per coniugem suam eidern Christi famulae propinquus extiterat.

Accueillant avec joie et reconnaissance l'avis de l'homme de Dieu, la bienheureuse Waudru ne différa pas d'accomplir effectivement ce que le Dieu tout-puissant avait daigné lui commander par [la voix de] Son serviteur. Sur-le-champ, elle envoya [un message] à un homme illustre, du nom de Hydulphe, qui, à l'époque, était célèbre, très noble et très puissant selon la dignité temporelle de ce monde, et qui, par son épouse, était parent de la servante du Christ.

Hunc ergo sollicite postulavit, ut supradicturn locum, quem sibi divina clementia per suurn famulum designaverat, a suis possessoribus, dato precio, emere debuisset, illieque habitaculum ad serviendurn Domino praeparare non negaret. Cujus precibus mox ille libenter adquiescens, locum, quern Christi famula poposcerat, emere curavit, eique in vertice montis ipsius, arbustis et vepribus radicitus abscissis, domum ad habitandum magna praeparavit sollertia.

Elle lui demanda instamment de bien vouloir acheter à ses propriétaires le lieu que la bonté de Dieu lui avait désigné par l'intermédiaire de Son serviteur, d'en payer le prix et d'accepter d'y aménager une maison pour le service de Dieu. Accédant aussitôt de bonne grâce à ses prières, Hydulphe se chargea d'acquérir l'endroit que la servante de Dieu lui avait demandé [d'acheter]. Après avoir fait couper entièrement les arbustes et les broussailles, il fit bâtir avec grand soin, au sommet de cette colline, une maison d'habitation.

Nec silentio praeterire debemus miraculum, quod omnipotens Deus ad ostendendum, quantarn famulae suae curam gereret, in ipso sancti propositi tyrocinio exhibuit. Nam, cum religiosissima Christi tiruncula ad domurn sibi praeparatarn accessisset, hanc latam et spatiosam atque sublimem intuens abhorruit, et ex ipsa sui magnitudine oculis ejus valde displicuit; humili scilicet mente humile atque remotum ab aspectibus humanis quaerens habitaculum in terris, ut celsurn atque sublime inter frequentias angelorum mereretur habere in coelis.

Nous n'avons pas le droit de passer sous silence le miracle que, pour montrer quel soin il prenait de Sa servante, le Dieu tout-puissant opéra au début de la réalisation de son saint projet. En effet, comme la très pieuse petite recrue du Christ arrivait à la maison qui lui avait été préparée, la voyant large, spacieuse et altière, elle en eut horreur et cette habitation lui déplut beaucoup à cause de sa grandeur. En esprit d'humilité, elle cherchait [à disposer] sur terre d'une maison modeste, hors de la vue des hommes, pour mériter d'avant dans les Cieux une haute et glorieuse demeure au milieu de la foule des Anges.

Mira res et vehementer stupenda mox secuta est. Nam, recedente Christi famula, nocte subito totius domus fabrica a fundamentis eversa est, ac divinitus longe projecta. Tune praedictus vir Hildulfus in ejusdem montis latere, ei parvum et sanctae religioni congruum habitaculum, simul et oratorium in honore sancti Petri apostoli dedicatum, ubi ipsa illi designaverat, restruxit.

Peu après se produisit un événement merveilleux et fort étonnant. Quand la servante de Dieu se fut éloignée, le bâtiment tout entier fut soudain, pendant la nuit, arraché à ses fondations et miraculeusement projeté au loin. Alors Hydulphe, dont nous avons déjà parlé, lui fit reconstruire au flanc de la même colline, à l'endroit qu'elle lui avait indiqué, une petite maison qui convenait mieux à une sainte vie religieuse, ainsi qu'un oratoire dédié en l'honneur du saint Apôtre Pierre.

Interea dilectissima Christi famula Waldedrudis, fervens spiritu et magis magisque coelesti desiderio anhelans, juxta viri Dei Gislani, cujus superius mentionem fecimus, ammonitionem ad beatissimum virum Autbertum episcopum accessit, et, ut sacrum velamen accipere mereretur, petiit, et citius impetravit. Acceptis itaque ab eo sanctimonialibus indumentis, statim se suaque omnia omnipotenti Deo tradidit, atque in cellula, quam sibi construi fecerat, se reclusit, ibique eximiae conversationis exempla circumquaque dedit.

Au même moment, la bien-aimée servante du Christ, Waudru, l'âme ardente et de plus en plus haletante du désir du Ciel, sur le conseil de l'homme de Dieu, Ghislain, dont nous avons fait mention plus haut, alla trouver le saint évêque Aubert et lui demanda la faveur de recevoir le saint voile; ce qu'elle obtint aussitôt. Ayant reçu de lui l'habit monastique, elle se remit sans plus tarder, avec tous ses biens, entre les mains du Dieu tout-puissant; elle se cloîtra dans l'ermitage qu'elle avait fait construire et là, autour d'elle, elle donna l'exemple d'une vie religieuse remarquable.

Erat enim morum gravitate, mentis sobrietate, mansuetudinis lenitate, verborum moderatione, incomparabiliter praedita; caritate autem erga Deum et proximum perfecta, curis pauperum ac peregrinorum provida, vigiliis quoque et orationibus ac jejuniis dedita. Studebat inter haec toto mentis annisu cruciare carnem, voluntates proprias frangere, tumultusque hominum devitare, et cottidianis se lacrimis in ara cordis Domino libare.

Elle était incomparable par sa vie austère, sa tempérance, sa douce miséricorde et ses paroles pleines de mesure; elle était d'une charité parfaite envers Dieu et le prochain; attentive aussi a prendre soin des pauvres et des voyageurs; adonnée aux veilles, à la prière et au jeûne. Entre-temps, elle s'appliquait, de toute la force de son âme, à mortifier sa chair, à briser sa volonté propre, à éviter l'agitation des hommes et à s'offrir au Seigneur, sur l'autel de son coeur, en versant des larmes quotidiennes.

Quamobrem antiquus humani generis inimicus, qui ab initio bonis actibus resistere contendit, individae facibus accensus, contra hanc totis viribus se in temptatione erexit. Denique, quia prius publicum bellum se doluît perdidisse, ad occulta sese certamina iterum reparavit. Coepit namque de fide et spe, quae est in Christo Jhesu, temptatione subdola mentem illius improbe pulsare, cogitationes quoque varias et illicitas cordi ejus ingerere. Et prirno quidern immisit ei memoriam possessionum, generis nobilitatem, familiae defensationem, amorem rerurn praesentium, fluxam seculi gloriam, escae variam delectationem, et reliqua vitae remissioris blandimenta; dehinc virtutis arduum finem, et maximum perveniendi laborem, nec non corporis fragilitatem et aetatis spatia prolixa. His igitur et hujuscemodi temptationibus maximam cogitationum caliginem suscitabat, temptans, si quomodo posset, hanc a dicto proposito avocare. Sed valida omnipotentis Dei manus haec pestifera diaboli molimina facile frustravit. Respectu namque divinae gratiae ad seipsam citius rediit, et inter catervas satanae se in acie stare deprehendens, ad sua mox arma cucurrit. Nam sese protinus in lamentum dedit, cum gemitu et lacrimis Dominum exorans, ut in hujusmodi certamine ne succumberet, sibi solatium largiri dignaretur. Cumque die noctuque crebris et prolixioribus orationibus a Domino remedium flagitaret, contigit aliquando, ut hac de causa in oratione pernoctaret.

Aussi l'antique ennemi du genre humain qui, dès leur début, cherche à s'opposer aux bonnes actions, brûlé des feux de l'envie, se dressa contre elle de toutes ses forces pour la tenter. Et parce que, dans un premier temps, il était désolé d'avoir perdu la guerre ouverte, il se prépara à nouveau pour des combats secrets. Il entreprit d'agiter méchamment son esprit par une tentation sournoise touchant à la foi et à l'espérance en Jésus-Christ et à lui inspirer toutes sortes de pensées contraires . En tout premier lieu, il lui rappela le souvenir de ses biens, la noblesse de sa race, sa maison à administrer, l'amour qu'il faut porter aux choses présentes, la gloire facile offerte par le monde, les plaisirs variés de la table et les autres attraits d'une vie moins austère; ensuite la difficulté d'atteindre la vertu, la grande peine qu'il faut prendre pour y parvenir ainsi de la fragilité du corps et la longueur de la vie. Par ces tentations et d'autres du même genre, il provoquait en elle une profonde nuit de l'esprit, essayant, si possible, de la détourner de ses saintes résolutions. Mais la main robuste du Dieu tout-puissant fit aisément échouer les efforts néfastes du diable. En effet, en considérant la Grâce que Dieu lui faisait, elle se reprit rapidement et craignant de se trouver au combat parmi les troupes de Satan, elle recourut bientôt à ses propres armes. Elle se répandit en lamentations, demandant au Seigneur, avec larmes et gémissements, de daigner lui accorder sa consolation afin qu'elle ne succombe pas dans ce combat. Jour et nuit, en priant fréquemment et abondamment, elle implorait du Seigneur le remède et il lui arriva de passer pour cela toute une nuit en prière.

Et ecce subito idem antiquus hostis in effigie hominis, quasi insultans illi, apparuit, extendensque manum suam super pectus ejus posuit. At illa, cum Christi nomen celeriter invocaret, statim hostis fugam petiit. Quem illa intrepida, angelico videlicet roborata suffragio, huc illucque fugitantem, cum vituperationibus et dignis obprobriis audacter insequebatur. « Bene, inquit, tibi contigit, miser, bene tibi contigit. Tu es ille, qui dicebas in corde tuo: Super astra coeli exaltabo solium meum, similis ero Altissimo; ecce propter superbiam tuam a sede coeli pulsus, et tartarea morte damnatus, ut dignus es, a femina persequeris; et locum, quem tu superbus deseris, Christus humilis de hurnano genero suo sanguine redempto reparavit ». His auditis, dejectionem suam erubescens, mox quasi fumus evanuit, mentemque famulae Christi hac temptatione fatigare ulterius non praesumpsit; et cui volens certamina intulit, virtute omnipotentis Dei compulsus est occasionem victoriae invitus ministrare.

Et voici que tout à coup, le démon, sous forme humaine, lui apparut comme s'il voulait se jeter sur elle et, étendant la main, il la lui posa sur la poitrine. Mais dès qu'elle eut invoqué en hâte le Nom du Christ, l'ennemi prit aussitôt la fuite. Sans se laisser effrayer et fortifiée sans aucun doute par un secours angélique, elle le poursuivait hardiment avec des reproches et des blâmes mérités, alors qu'il tentait de fuir en tous sens. "C'est bien fait, misérable, disait-elle, c'est bien fait. Tu es celui qui disait dans son coeur: J'élèverai mon trône au-dessus des astres du ciel; je serai semblable au Très-Haut. Et voici qu'à cause de ton orgueil, chassé du séjour céleste et condamné à la mort de l'enfer, comme tu le mérites, tu es mis en fuite par une femme; et cette place que, dans ton orgueil, tu abandonnes, le Christ, dans son humilité, l'a rétablie pour le genre humain racheté par son sang." A ces mots, rougissant de sa défaite, il s'évanouit aussitôt comme une fumée et, par la suite, il n'osa plus harceler de cette tentation l'esprit de la servante du Christ. Par la force du Dieu tout-puissant, il fut contraint, contre son gré, à fournir une occasion de vaincre à celle contre qui, volontairement, il avait livré bataille.

Recedente igitur temptatione, beata Waldedrudis, spinis temptationurn erutis, velut exculta terra uberius fructum dedit. Nam, cum eximiae conversationis illius fama longe lateque crebesceret, coeperunt nonnullae nobilioris generis feminae ad ejus magisterium concurrere, et Domino, dicata castitate, servire. Liberata namque a temptatione, jure facta est magistra virtutum.

Ayant surmonté l'épreuve et arraché les épines de la tentation, la bienheureuse Waudru, comme une terre travaillée avec soin, donna un fruit plus abondant. En effet, comme la renommée de sa vie remarquable s'étendait en long et en large, quelques femmes de noble naissance accoururent se mettre à son école et entrèrent au service de Dieu après Lui avoir consacré leur chasteté. Et délivrée de la tentation, elle devint à juste titre maîtresse de vertu.

Soror quoque ejus, virgo scilicet sanctissima Aldegundis, cujus superius mentionem fecimus, visitationis gratia ex monasterio suo certis diebus ad eandem venire consueverat, ut dulcia sibi invicem vitae verba transfunderent, et suavem cibum coelestis patriae, quia adhuc perfecte gaudendo non poterant, saltem suspirando gustarent. Quae cum loci parvitatem cerneret, paucasque adhuc moniales in obsequio sororis inesse videret, humano pulsata affectu, quasi compatiens paupertati illius, magnis precibus suadere coepit, ut parvitatem loci illius desereret, et ad suum monasterium properare debuisset. Sed omnipotentis Dei famula, plus appetens laboribus pro Deo fatigari quam transitoriis hujus vitae honoribus perfrui, nullatenus consensit. Sic quippe metuebat paupertatis suae securitatem perdere, sicut avari divites solent divitias perituras custodire.

Sa soeur aussi, la très sainte vierge Aldegonde, dont nous avons parlé plus haut, avait coutume, à jours fixes, de venir de son monastère lui rendre visite afin de pouvoir partager avec elle les douces paroles de vie et goûter, du moins en la désirant ensemble, la nourriture suave de la Patrie céleste, puisqu'elles ne pouvaient encore le faire en en jouissant parfaitement. Voyant la petitesse du lieu et le petit nombre de moniales qui vivaient alors sous l'autorité de sa soeur, poussée par un sentiment humain d'affection, comme si elle compatissait à sa pauvreté, elle entreprit, par d'instantes prières, de l'amener à quitter cet endroit trop petit et à venir au plus tôt dans son propre monastère. Mais la servante du Dieu tout-puissant, qui désirait davantage être fatiguée par ses travaux pour Dieu que de jouir des honneurs passagers de cette vie, refusa catégoriquement. Sans doute craignait-elle de perdre ainsi la sécurité que lui assurait sa pauvreté de la même manière que les riches avares tiennent à conserver leurs richesses périssables.

Nec praetereundum est, quod omnipotens Deus erga famulas suas ostendere dignatus est miraculi. Quadam namque die, cum ex more ad aeternae vitae colloquia perfruenda in invicem convenissent, repente causa extitit, ob quarn pro utilitate monasterii paululum extra claustra procedere cogerentur. Euntes itaque, et omnibus, pro quibus ierant, rite dispositis, cum subito ad monasterium redirent, et ex more ecclesiam întrare voluissent, absente ostiaria, omnia ostia clausa et seris praemunita repperiunt. Sed mira res mox contigit; nam, ut famulae Christi ad aditum basilicae pervenerunt, statim ostia divinitus concussa ita summa celeritate patuerunt, ac si orationem earum impedire valde pertimescerent.

Il ne faut pas omettre de rapporter le prodige dont le Dieu tout-puissant daigna favoriser Ses servantes. Un jour que, comme souvent, elles s'étaient rencontrées pour savourer ensemble la joie de s'entretenir de la vie éternelle, un motif les obligea soudain, pour le bien du monastère, à sortir un peu de la clôture. Elles le firent et elles arrangèrent, comme il le fallait, toutes les affaires pour lesquelles elles étaient sorties. Alors qu'elles revenaient en hâte au monastère et qu'elles voulaient, comme c'était leur habitude, entrer dans l'église, elles trouvèrent, en l'absence de la portière, toutes les portes fermées et assurées par leurs verrous. Il se passa alors une chose merveilleuse. Lorsque les servantes du Christ parvinrent à l'entrée de l'église, les portes heurtées miraculeusement s'ouvrirent avec une rapidité qui faisait penser qu'elles avaient peur de faire obstacle à leur prière.

Dehinc venerabilis Waldedrudis, famula Christi, quia, relictis mundi illecebris, coelestis Regis servituti non renuit humiliter subdi, denuo ad contemplationem coelestium civium meruit sublimiter attolli. Nam rursus vidit in spiritu virum de coelo ad se descendere. Et cum angelicam esse potestatem per spiritum agnovisset, statim trernefacta, quid de se vel germana sua in divino examine dispositum esset, percunctari studuit, et an divini respectus gratiam aliquantulum mererentur, ab eo humiliter sciscitari curavit. Quam angelus blande confortans edocuit, quod semper super eas pietatis suae intuitu respiceret, sicut Ipse per Prophetam ait: Ad quem respiciam, nisi ad humilem et quietum, et trementem sermones meos ? Unde Psalmista ait: Oculi Domini super justos, et aures ejus in preces eorum.

Par la suite, la vénérable Waudru, servante du Christ, qui, après avoir abandonné les attraits du monde, avait accepté de se mettre humblement au service du Roi céleste, mérita de nouveau d'être élevée de manière sublime à la contemplation des citoyens du Ciel. Une nouvelle fois, elle vit en esprit un homme descendre du ciel vers elle. Et comme en esprit elle avait reconnu que c'était une puissance angélique, effrayée sur le moment, elle tâcha de s'enquérir de ce qui, pour elle et pour sa soeur, avait été prévu dans le plan de Dieu, et humblement elle voulut savoir de lui si elles avaient mérité quelque peu la faveur de la considération divine. L'encourageant avec douceur, l'Ange lui apprit qu'en raison de l'amour qu'Il leur portait, [Dieu] posait constamment Son regard sur elles, comme Il le dit Lui-même par le prophète: Vers qui regarderais-Je sinon vers celui qui est humble et tranquille et qui craint Mes paroles ? Et le Psalmiste ajoute: Les yeux du Seigneur sont (tournés) vers les justes et ses oreilles, vers leurs prières.

Post haec fuit ei divinitus revelatum, quod ipsa et germana sua, beata scilicet Aldegundis, unam mansionem et eandem beatitudinem in regno Dei pro merito laboris diu essent habiturae; ad quam videlicet beatitudinem perveniunt, sicut scriptum est, alii sic alii autem sic. His divinis revelationibus omnipotentis Dei famula instructa, non inani jactantia mentem in superbiam elevat, sed sese in arce humilitatis custodiens, tanto post devotior ad referendas Creatori suo gratias extitit, quanto erga se ejus beneficia majora cognovit; et facta eo instantior in bono opere, quanto certior de promissione.

Après cela, Dieu lui révélal qu'elle et sa soeur, la bienheureuse Aldegonde, auraient pour longtemps, en récompense de leur peine, même demeure et même bonheur dans le Royaume de Dieu. A ce bonheur, selon ce qui est écrit, les uns parviennent de telle manière, et les autres, de telle autre. Instruite par ces révélations divines, la servante du Dieu tout-puissant n'enfla pas son coeur d'une vaine jactance, mais, se gardant dans la citadelle de son humilité, elle fut par après d'autant plus fervente à rendre grâce à son Créateur qu'elle connut davantage ses grands bienfaits pour elle; et elle fut d'autant plus persévérante à faire le bien qu'elle fut plus sûre de la promesse.

Interea omnipotens Deus famulam suarn diutius intra se ipsam latere noluit, sed, quanti esset apud se meriti, signis ac miraculis dignatus est declarare, ut posita super candelabrum lucerna claresceret, quatenus omnibus, qui in domo Dei sunt, luceret. De qua pauca virtutum bona, quae ad memoriam redeunt, narrabimus, ut ex his paucis valeant ejus multa pensare.*Ici un passage obscur que l'on peut considérer comme interpolé. Voir sous la note .

Entre-temps le Dieu tout-puissant ne voulut pas que Sa servante fût plus longtemps cachée en elle-même, mais, par des signes et des miracles, Il daigna lui montrer quel grand mérite elle avait à Ses yeux, de sorte que la lampe placée sur le lampadaire brille pour tous ceux qui sont dans la maison de Dieu. A son sujet, nous raconterons quelques miracles de Sa bonté qui nous reviennent à la mémoire, afin que, grâce à ces quelques faits, beaucoup [d'autres qu'elle a accomplis] puissent avoir quelque poids... "

Quodam itaque tempore beata et gloriosa Waldedrudis habuit devotionern cum voto, pietate divina commonita, captivos redimere. Disposuit pretium, argentum ponderavit, et illud Dei nutu valde crescebat in statera. Unus tantum minister sciebat, quod illud argentum opere divino crescebat. At illa humilitate plena praecepit illi, ut nulli hoc omnino manifestaret. Sui autern pretio argenti captivi redempti, ea jubente, ad propria sunt reversi.

A un certain moment, la bienheureuse et glorieuse Waudru, inspirée par l'amour de Dieu, fit voeu de racheter les prisonniers. Elle fixa le prix [du rachat], elle pesa l'argent et celui-ci, par le bon plaisir de Dieu, se multipliait considérablement dans [le plateau] de la balance. Seul un serviteur savait que cet argent s'accroissait sous l'action divine. Mais elle, pleine d'humilité, lui ordonna de ne le révéler à qui que ce soit. Rachetés par la rançon [payée] de son argent, les captifs, sur son ordre, retournèrent à leurs affaires.

Post dies aliquos contigit, ut aliqua puella plenum vasculum ad reficiendum sanctae Waldedrudi deportaret. Labente pede, in via cecidit, et potum vasculi in terram venit**. Et mox illa a terra surgens, stetit recto corpore pavens. Dum in cogitatione volveret, ut ad cellarium remearet, illudque iterum repleret, subito respexit, et per virtutem sanctae Waldedrudis in manu sua plenum invertit, sicut fuerat prius. Lire « fudit».

Quelques jours après, une jeune fille apporta à sainte Waudru un petit vase plein [de vin] pour la réconforter. Son pied ayant glissé, elle tomba sur le chemin et elle répandit la boisson contenue dans le vase. Se relevant aussitôt, elle se tint toute droite et toute craintive. Tandis qu'elle songeait à retourner au cellier et à remplir de nouveau son vase, elle le regarda tout à coup et elle le trouva, dans sa main, rempli, par un miracle de sainte Waudru, comme il l'était auparavant.

Postero die quidam homo egritudine correptus, cum esset in mentis excessu, videbat se daemones trahere in aerem. Et, pavore concussus, vociferabatur ad beatam Aldegundem et germanam suam Waldedrudem, ut merita earum et orationes de incursione daemonum se liberarent. Subito vero vocem de coelo audivit dicentem: « Daemones relinquite illum, quia in personis sanctarurn Deo se commendavit ». Tunc daemones dicebant: « Relinquamus illum, ne in majores oppressiones propter illum incurramus ». Tune daemones recesserunt ab illo confusi. Deinde postea petiit suos, ut eum ad praesentiam domnae Waldedrudis portarent. Et cum impetrasset, in cathedra eum deferentes rniserunt illum ante pedes ejus. Cum illa sublevasset se, et manus suas super caput illius misisset, continuo per semetipsum de terra erexit, et ambulare coepit. Eodem die sufficienter cibum et potum sumpsit, quia jam, triginta diebus exactis, nullus cibus in os ipsius introierat, sicut ipsi narraverunt, qui eum ad pedes ejusdern sanctae deportaverunt.

Le lendemain, un homme pris de maladie voyait en plein délire des démons l'entraîner dans les airs. Frappé de terreur, il criait vers sainte Aldegonde et sa soeur Waudru pour que leurs intercessions et leurs prières le délivrent de l'assaut des démons. Il entendit soudain une voix venue du Ciel et qui disait: "Démons, laissez-le. Il s'est confié à Dieu en la personne des saintes." Et les démons disaient: "Laissons-le de peur que nous ne tombions, à cause de lui, dans de plus grands tourments." Pleins de confusion, les démons s'éloignèrent alors de lui. Il demanda ensuite aux siens de le transporter en présence de dame Waudru. Il obtint gain de cause. Le portant sur une chaise, ils l'amenèrent aux pieds de la sainte. Elle se leva, lui posa les mains sur la tête et aussitôt il se mit debout de lui-même et il se mit à marcher. Le même jour, il prit de la nourriture et de la boisson à suffisance alors que, depuis trente jours, aucun aliment n'était entré dans sa bouche, ainsi que l'ont raconté ceux-là mêmes qui le portèrent aux pieds de la sainte.

Post diem quartum, finita praedicta virtute, femina quaedam venit ad eam curn puero jam desperante de vita, postulans, ut manus suas super illura imponeret. Et cum fecisset, eadern hora in mensa ejus manum suam misit, et de calice ejus bibit. Et cum genitrix sua eum recepisset, statim de mamilla ejus lac suxit, qui, jam quatuor diebus exactis, cibum non sumpserat. Ex illo die ereptus a languore, sanus effectus est.

Quatre jours après ce miracle, une femme vint à elle avec un enfant dans un état désespéré et lui demanda de lui imposer les mains. Après qu'elle l'eût fait, au même instant, il mit sa main sur la table de la sainte et but à sa coupe. Sa mère le reprit et aussitôt il recommença à boire son lait, lui qui, depuis quatre jours déjà, n'avait pris aucune nourriture. Arraché à son état de langueur, il fut, à partir de ce jour, en bonne santé.

Porro quaedam femina venit ad sanctam cum puero elipso semivivo, et petiit eam, ut per impositionem manuum suarum ad baptismum vivus pervenire posset, signo crucis ei imposito. Et illa, pietate commota, signum crucis in capite illius fecit. Et cum haec fecisset, miro modo omne corpus ejus contremuit, et vocera emisit, oculos aperuit, quos ante clausos tenebat, baptismum recepit, et annis multis vixit, juventutem in canitiera deportavit, et in ordine sacerdotali perseveravit.

Ensuite une femme vint trouver la sainte avec un enfant évanoui, à moitié mort et elle lui demanda de lui imposer les mains pour qu'il puisse parvenir vivant au Baptême après avoir reçu le Signe de la Croix. Emue de pitié, la sainte le signa sur la tête. Quand elle l'eut fait, miraculeusement tout le corps de l'enfant tressaillit, il poussa un cri, ouvrit les yeux qu'il tenait fermés auparavant et reçut le Baptême. Il vécut de nombreuses années de sa jeunesse à sa vieillesse et devint un prêtre fidèle.

Alias etiam virtutes in vita sua sanctissima Waldedrudis fecit, quas pereuntes a memoria oblivione depressas narrare nequivimus. Et post transitum ejus multo plures virtutes per illam Dominus operatus est, quas oculis nostris perspeximus et manus nostrae tractaverunt. Ad sepulcrum quoque ejus caeci illuminantur, claudi eriguntur, leprosi mundantur, daemones fugantur, paralytici curantur, surdis auditus restituitur, et omnis debilitas, sanitate recepta, proturbatur.

Sainte Waudru fit encore dans sa vie d'autres miracles que nous ne pouvons raconter parce qu'échappant à la mémoire, ils sont enfoncés dans l’oubli. Après sa mort, le Seigneur opéra par elle de beaucoup plus nombreux prodiges que nous avons vus de nos yeux et touchés de nos mains. Près de son tombeau, les aveugles voient la lumière, les boîteux se redressent, les lépreux sont purifiés, les démons sont mis en fuite, les paralytiques sont guéris, aux sourds l'ouïe est rendue et, une fois la santé retrouvée, toute infirmité est mise en fuite.

Obiit autera longaeva in Domino quinto iduum aprilium*. Suscepta est virgo haec sancta ab angelis, deducta cum sanctis agminibus, recepta in coelestibus habitaculis. Vivit cum Christo, gaudet cum sanctis apostolis, triumphat cum martyribub, socia confessoribus, aequa est virginibus, laetatur aeternaliter in angelorurn euria, praestante Domino nostro Jhesu Christo, cui est honor et gloria, laus et imperium per infinita seculorurn secula. Amen. * Ici un bout de phrase probablement interpolé: « tempore Dagoberti, incliti regis Francorum».

Elle mourut dans le Seigneur, le cinquième jour des Ides d'avril, à un âge avancé. Escortée de la foule des saints, cette vierge sainte fut accueillie par les Anges dans les célestes Demeures. Elle vit avec ie Christ, elle partage la joie des saints Apôtres et le triomphe des martyrs; compagne des confesseurs, elle est l'égale des vierges; elle se réjouit éternellement dans l'assemblée des Anges avec à leur tête notre Seigneur Jésus Christ à qui sont l'honneur et la gloire, la louange et le règne pour la suite infinie des siècles. Amen"



Waldetrudis (Vaudru) Apr 9
http://www.orthodoxengland.org.uk/saintsw.htm
+ c 688. Daughter of Sts Walbert and Bertilia, wife of St Vincent Madelgarus and mother of Sts Landericus, Dentelin, Madalberta and Aldetrudis. When her husband became a monk she founded a convent and became a nun. The town of Mons in Belgium grew up around the convent.
+ vers 688. Fille des saints Walbert et Bertilia, épouse de saint Vincent Madelgaire, et mère des saints Landry, Dentelin, Madalberte et Aldetrude. Lorsque son époux devint moine, elle fonda un couvent et devint moniale. La ville de Mons, en Belgique, se développa autour du couvent.

Sainte Waudru et ses 2 filles saintes Aldetrude et Madelberte, enluminure du Livre d'heures de Jean de Lannoy (ms. Wittert 14, f° 164), Hainaut, XVe s :
http://www.libnet.ulg.ac.be/enlumin/enlu204a.htm

avis perso' : la grâce des enluminures gallicanes est déjà bien loin.. 4 siècles de schisme et d'hérésie, ça se paie, même dans l'art liturgique.. Ne me croyez pas sur parole, mais comparez par exemple avec les enluminures des Évangiles Egmond, Reims, vers 850-875, c'est flagrant :
http://collecties.meermanno.nl/handschriften/showmanu?id=1173

Même chose dans l'architecture intérieure, voyez ce jubé de la collégiale Sainte-Waudru au 16ème siècle et comparez avec ce qui se construisait en Occident Orthodoxe – une comparaison pas vraiment en faveur de l'art hétérodoxe. On comprend mieux tout ce qu'on a perdu chez nous, quand on compare "avant / après"...

Jubé réalisé par Jacques Du Broeucq, Sainte-Waudru, Mons, 1535
 
 
Jacques Du Broeucq, Ecce Homo, jubé de Sainte-Waudru, marbre, vers 1546
R. Hedicke, Jacques Dubroeucq von Mons: Ein niederländischer Meister aus der Frühzeit des italienischen Einflusses (Strasbourg, 1904)
Jacques Dubroeucq de Mons, trad. Emile Dony (Brussels, 1911).