"Ô étrange Église Orthodoxe, si pauvre et si faible, qui se maintient comme par miracle à travers tant de vicissitudes et de luttes. Église de contrastes, à la fois si traditionnelle et si libre, si archaïque et si vivante, si ritualiste et si personnellement mystique.
Église où la perle de grand prix de l'Évangile est précieusement conservée, parfois sous une couche de poussière. Église qui souvent n'a pas su agir, mais qui sait chanter comme nulle autre la joie de Pâques."
P. Lev Gillet ("Un moine de l'Eglise d'Orient)

08 novembre 2008

Dieu, Créateur du monde céleste, des Anges et puissances incorporelles


Dieu - Créateur du monde céleste
http://www.greekorthodox.org.au/general/resources/publications/articlestheology


Dieu n'est pas seulement le Créateur de l'univers physique, visible, mais aussi du monde spirituel, ou invisible. En plus du monde visible créé par Dieu, les Écritures affirment que Dieu a aussi créé un monde invisible ou céleste, composé des "puissances célestes et incorporelles" appelées généralement les Anges. Même si cette réalité invisible créée ne fait pas partie de l'univers physique ou matériel, et dès lors ne saurait être concrètement localisée puisqu'elle n'a pas "d'espace géographique," cependant, elle n'est pas moins réelle ou moins véritablement existante que notre monde. La tradition Chrétienne Orthodoxe a affirmé que le monde invisible était composé de 9 rangs de puissances incorporelles ou célestes, transmettant ou accomplissant la volonté de Dieu sur terre. Ce sont les anges, archanges, principautés, puissances, vertus, dominations, trônes, chérubins et séraphins. Nous voyons par là que stricto sensu, les anges ne sont qu'un rang des puissances incorporelles. Les Écritures nous donnent le nom de 3 anges : Michel, qui dirige le peuple d'Israël; Gabriel et Raphaël, et les 2 premiers sont appelés archanges.

A propos de leur commencement

Dans les Écritures, aucun doute ne subsiste, Dieu a créé ces corps célestes comme Il a créé tout l'univers, à savoir ex nihilo, du néant. En voulant mettre l'accent sur la suprématie du Christ sur le monde entier, saint Paul écrit clairement aux Colossiens que : "en Lui ont été créées toutes choses dans les cieux et sur la terre, les créatures visibles et les créatures invisibles, Trônes, Seigneuries, Principautés, Puissances: tout a été créé par Lui et pour Lui" (Col. 1,16).

Cependant, les Écritures n'apportent aucune information explicite quant au moment où ils vinrent à l'existence. Pour cette raison, la tradition patristique propose diverses interprétations. Par exemple, saint Grégoire le Théologien et saint Jean Damascène croient que le monde angélique a été créé avant le monde matériel. Ils basent leur déduction sur le Livre de Job, dans l'Ancien Testament, qui décrit une conversation de Dieu avec Job au sujet de la création du monde :
"Où étais-tu quand J'ai fondé la terre?[..] Sur quoi reposent ses bases? Qui en a posé la pierre d'angle, aux joyeux concerts des astres du matin..?" (Job 38, 4; 6-7).
C'est d'après ce passage que certains Pères ont conclu que les Anges avaient précédé la création du monde visible. D'autres Pères, tels que saint Augustin d'Hippone, affirme que ce monde invisible fut créé lors de la création du premier jour, lorsque Dieu créa les cieux et la terre et dit "Que lumière soit!" et la lumière fut. Cette opinion découle du fait que les Anges sont décrits en termes de lumière. Néanmoins, ce qui est important, c'est que tout le corpus patristique s'accorde pour dire que le monde invisible a été créé avant l'humanité.

A propos de leur nature

Les Anges sont des esprits; on les appelle en fait incorporels ou immatériels lorsqu'ils sont comparés aux êtres humains, quoi que cela ne puisse pas se dire lorsqu'ils sont comparés à Dieu. C'est pour cette raison que nombre de Pères croient qu'en fin de compte, rien de créé ne pourrait être tout à fait sans quelque forme de matérialité ou corporalité. Ils sont des créatures tirées du néant, tout comme le monde, et l'ont été par la libre volonté de Dieu. De plus, Dieu a accordé à ces êtres incorporels Ses dons de liberté, intelligence et immortalité. Étant incorporels, ils sont asexués, et puisqu'ils sont immortels, ils n'ont pas besoin de se multiplier pour survivre. Leur description en termes physiques (6 ailes, yeux innombrables) est purement anthropomorphique, et ne doit pas être comprise littéralement, car ils sont des êtres spirituels.
N'ayant pas de forme corporelle et n'étant pas confiné par la matérialité (telle que les murs & portes), ils peuvent se mouvoir avec aisance de lieu en lieu; cependant, ils ne sont pas sans limites ou partout présents à la fois. A cet égard, saint Jean Damascène écrit que "lorsqu'ils sont au Ciel, ils ne sont pas sur terre: et quand ils sont envoyés sur terre par Dieu, ils ne restent pas en même temps au Ciel." Ce même Père fait aussi remarquer que les Anges "sont difficilement attirés par le mal, mais pourraient l'être bien qu'ils ne le soient pas." Ce que cette phrase signifie, c'est que les Anges, étant des êtres créés libres, restent fermes dans la sainteté non pas du fait d'une qualité intrinsèque, naturelle, mais par la grâce de Dieu. Leur connaissance et leur puissance sont incomparablement plus grandes que celles de l'humanité, et cependant, infiniment petites face à celle de Dieu.

La mission des Anges

Les Écritures leur attribuent au moins 4 rôles différents, à savoir : rendre continuellement grâce et gloire à Dieu; être messagers de Dieu sur terre; servir Dieu en accomplissant Sa volonté sur terre et au Ciel; et enfin, se voir assigner à chaque personne comme Ange gardien.
La fonction première des puissances incorporelles, c'est d'offrir adoration continue à Dieu, en Lui offrant louange, adoration et reconnaissance pour Sa grande gloire. Cette tâche de rendre gloire à Dieu est magnifiquement exprimée dans la Divine Liturgie :
"Nous Te rendons grâce aussi pour cette liturgie que Tu daignes recevoir de nos mains, bien que Tu sois servi par des milliers d’Archanges, des myriades d’Anges, par les Chérubins et les Séraphins aux six ailes et aux innombrables yeux, qui volent, sublimes, dans les hauteurs."
C'est la raison pour laquelle l'Église Orthodoxe enseigne que la Divine Eucharistie rend présent d'une manière anticipatoire la célébration qui a lieu face au Trône de Dieu.

Concernant leur second rôle, à savoir être messagers de la volonté de Dieu, l'exemple le plus connu dans les Écritures est le joyeux message apporté par Gabriel à la Vierge Marie, celui de la nativité du Christ. Saint Luc décrit l'Ange Gabriel rendant visite à la Vierge Marie, disant :
"Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi; tu es bénie entre toutes les femmes" (Lc 1,28).
Cette salutation indique clairement la fonction de messager des Anges qui sont envoyés dans le monde pour annoncer la volonté de Dieu. C'est de cette fonction d'apporter les bonnes nouvelles de Dieu au monde que les Anges ont reçu leur nom. Le terme "Ange" vient du mot grec "angellos," messager. Dès lors, les Anges sont les messagers de Dieu dans le monde.

Leur 3ème fonction de service est décrite dans l'épître aux Hébreux : "Les Anges ne sont-ils pas tous des esprits au service de Dieu, qui leur confie des missions pour le bien de ceux qui doivent hériter du Salut?" (Héb. 1,14). De ce verset, nous voyons que les Anges sont médiateurs entre Dieu et le monde, apportant la puissance et la présence de Dieu dans le monde pour son salut. Dans le Nouveau Testament, ils sont dépeints comme servant le Christ pendant Sa vie sur terre, en particulier lors de Sa naissance, au cours de la tentation au désert, et à Gethseman, lors de Sa Résurrection et de Son Ascension. Dans l'Ancien Testament, ils sont décrits non seulement comme protecteurs, comme dans le cas des 3 jeunes gens dans la fournaise à Babylone (Dan. 3,25), mais guidant les justes vers le salut. Par exemple, ils approvisionnent Élie lorsque ce dernier se cache loin de la reine Jézabel :
"Puis il [Élie] se coucha sous le genêt et s'endormit. Mais voici qu'un Ange le toucha et lui dit: "Lève-toi, mange." Il regarda: il y avait à son chevet un pain cuit sous la cendre et une cruche d'eau. Il mangea et but, puis il se recoucha. Une seconde fois, l'ange du Seigneur le toucha et lui dit: "Lève-toi, mange, car il te reste trop de chemin à faire." (1 Rois 19,5-7). Et dans l'Évangile selon saint Luc, la joie des Anges lorsque quelqu'un parvient au Salut est clairement décrite : "Ainsi, vous dis-Je, il y a de la joie parmi les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se repent" (Lc 15,10).
De tout cela, nous pouvons dire que les Anges sont à proprement parler les serviteurs de la divine Providence de Dieu dans le monde.

Au sujet du 4ème rôle des Anges, la tradition Chrétienne affirme aussi avec beaucoup d'insistance qu'au Baptême, Dieu assigne à chaque personne un Ange gardien, afin de guider et de protéger les êtres humains tout au long de leur vie terrestre. Dans la parabole de la brebis perdue, Jésus exhorte les gens à ne pas mépriser l'humble, vu que leur Ange gardien occupe une place de marque devant Dieu : "Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits; car Je vous dis que leurs Anges dans le ciel contemplent sans cesse la face de Mon Père qui est dans les Cieux" (Mt 18,10).

Au cours de la Divine Eucharistie, dans la Divine Liturgie selon saint Jean Chrysostome, le fidèle Orthodoxe prie :
"un Ange de paix, guide fidèle, gardien de nos âmes et de nos corps, demandons au Seigneur."

L'insistance Orthodoxe que chaque personne aurait un Ange gardien trouve un autre exemple fort dans le Livre d'Actes d'Apôtres, qui rapporte que l'Apôtre Pierre avait un Ange qui lui avait été assigné. Après que Pierre ai été relâché de prison, il courût à la maison de Marie, la mère de Jean, et frappa à la porte. Rhodé, la servante, était tellement heureuse de le revoir qu'elle entra en trombe dans la maison pour annoncer que Pierre se tenait à la porte. Cependant, nul ne la crut, car ils savaient Pierre en prison, et pensant que Rhodé avait perdu la raison, ils lui dirent "c'est son Ange" (Actes 12,15). De ce détail mineur, nous pouvons conclure qu'il était commun chez les anciens Chrétiens de croire en la réalité des Anges, et en particulier dans l'existence des Anges gardiens.

Philip Kariatlis
Secrétaire académique et chargé de cours
Saint Andrew’s Greek Orthodox Theological College, Australie

*************************

Icône de l'archange Michel "Mantamados"


à (re)lire aussi sur le sujet, ces 2 pages contenant plusieurs articles de fond, iconographie, hymnographie, etc :

http://stmaterne.blogspot.com/2006/11/les-saints-archanges.html

http://stmaterne.blogspot.com/2007/09/saint-michel-et-ses-archanges.html

en anglais : "The Church's teaching concerning Angels"
http://www.orthodoxinfo.com/death/angels2.aspx

et sur OrthodoxWiki, toujours en anglais :

http://orthodoxwiki.org/Archangel
http://orthodoxwiki.org/Archangel_Michael
http://orthodoxwiki.org/Angels



Le saint Archange Michel est considéré comme le gardien particulier de la Foi Orthodoxe et combattant contre les hérésies.

Prologue d'Ochrid :
1. LE SAINT ARCHANGE MICHEL ET TOUTES LES PUISSANCES CÉLESTES INCORPORELLES

Les Anges de Dieu ont été commémorés par les hommes depuis les temps les plus anciens, mais cette commémoration a souvent dégénéré en divinisation des Anges (cfr 2 Rois 23,5). Les hérétiques ont toujours brodé des fantaisies à propos des Anges. Certains considéraient les Anges comme des dieux, et d'autres, tout en ne les considérant pas de la sorte, les prenaient pour les créateurs de tout le monde visible. Le Concile local de Laodicée, tenu au 4ème siècle, rejeta par son 35ème Canon le culte des Anges comme dieux, et établit une juste vénération pour eux. A l'époque du pape de Rome saint Sylvestre et du pape d'Alexandrie saint Alexandre, au 4ème siècle, cette Fête de l'Archange Michel et des autres puissances célestes fut instituée pour être célébrée en novembre. Pourquoi novembre? Parce que c'est le neuvième mois après mars, et que l'on pensait que le monde avait été créé en mars. Le 9ème mois après mars fut choisit d'après les 9 ordres d'Anges, qui furent les premières créatures. Saint Denys l'Aéropagite, disciple de l'Apôtre Paul (cet Apôtre qui fut enlevé au 3ème Ciel), décrit ces 9 ordres dans son ouvrage: 'Hiérarchies Célestes'. Les voici : Séraphims aux 6 ailes, Chérubins aux innombrables yeux, Trônes célestes, Dominations, Vertus, Puissances, Principautés, Archanges et Anges. Le chef de toute l'armée angélique et l'Archange Michel. Lorsque Satan, Lucifer, chuta loin de Dieu, et emmena avec lui dans la destruction la moitié des anges, alors Michel se leva et cria aux Anges qui n'avaient pas chuté 'Soyons attentifs! Tenons-nous droits, tenons-nous avec crainte!', et toute l'armée angélique chanta d'une voix forte : 'Saint, saint, saint le Seigneur Dieu Sabaoth, le Ciel et la terre sont remplis de Ta gloire!' (voir au sujet de l'Archange Michel : Josué 5,13-15 et Jude 0,9). Parmi les Anges règne une parfaite unité d'esprit, d'âme et d'amour; obéissance totale à la sainte volonté de Dieu du plus petit au plus grand d'entre eux. Chaque nation a son Ange gardien, de même que chaque Chrétien. Nous devons conserver à l'esprit le fait que quoique nous fassions, ouvertement ou en secret, nous le faisons en présence de notre Ange gardien, et au Jour du Jugement, une grande multitude de saints Anges des Cieux seront rassemblés autour du trône du Christ, et les pensées, paroles et actes de chacun d'entre nous seront mises à nu devant eux. Puisse Dieu nous faire Miséricorde et nous sauver par les prières du saint Archange Michel et de toutes les puissances célestes incorporelles. Amen.
Saint Nicolas Velimirovitch, évêque d'Ochrid

Icône de l'archange Michel "Panormitis"


Mont Athos et oecuménisme: vue de l'intérieur

Fresque des 26 martyrs de Zographou
repeinte en 1817 dans l'église principale du monastère de Zographou (Sveta Gora), Athos

La veille de mon départ pour la sainte montagne de l'Athos, les moines athonites fêtaient (ancien calendrier oblige) le martyre de leurs pères, qui avaient résisté jusqu'à la mort aux velléités uniatisantes de l'apostat empereur de Constantinople, et aux armées du pape de Rome venues aider ce dernier à écraser les saints résistants. L'oecuménisme a de glorieux antécédents, on n'a pas idée..

Cliquez ici pour l'icône de l'OCA pour cette fête

En bas de la page sur les persécutions contre le monastère d'Esphigmenou en février 2008, j'ai donné traduction de l'article publié dans le sanctoral en ligne de l'Orthodox Church of America, un texte de synaxaire officiel donc, parlant de ces massacres uniates & papistes contre les saints du Christ.

Revoici le lien de la page pour ces saints martyrs de Zographou et de tout l'Athos :
http://stmaterne.blogspot.com/2008/03/mont-athos-la-perscution-contre.html

Cliquez sur l'image pour une grande version, les détails sont étonnants
y compris artistiquement, dans le choix des styles!

A propos d'Esphigmenou, depuis la fin de l'été, il serait nécessaire de relativiser l'actualité des persécutions. En effet, de source interne à l'Athos et rapporté en plusieurs monastères, si tous ont signé l'appel (d'origine patriarcale..) à mettre un terme au "schisme" d'Esphigmenou, le soir même, 5 des plus grands monastères téléphonaient au ministre de l'intérieur grec pour lui dire qu'ils avaient signé sous la pression mais qu'ils n'étaient pas d'accord avec les buts et méthodes utilisés contre Esphigmenou... Le ministre laissa aussitôt tomber les plans d'intervention policière musclée. Et depuis, divers monastères aident discrètement. On se rappellera qu'Esphigmenou est contre l'oecuménisme pour certaines bonnes et certaines mauvaises raisons; et que les bonnes raisons de son opposition sont la cause de la hargne du patriarche de Constantinople à leur encontre... pas les mauvaises. D'où, comme TOUS les monastères athonites (et tout Chrétien Orthodoxe digne de ce nom) partagent ces bonnes raisons, qui sont les raisons transmises par les Pères dans la Foi depuis les saints Apôtres, fatalement, Esphigmenou se sent renforcé dans son combat. Y compris, hélas, pour des points sur lesquels il a évidemment tort. Mais c'est une autre histoire.
Le plus "cocasse," enfin, si on veut, étant l'accusation maintes fois répétée là-bas : "ils sont vieux-calendristes" – que c'est cocasse d'entendre ça de moines qui le sont tous puisque l'Athos garde ce calendrier non-réformé ;-)



En tout cas, c'est très réjouissant comme voyage. Au cours de ce pèlerinage automnal, j'ai pu m'apercevoir que même dans les monastères présentés ici comme "conciliants" vis-à-vis des folles dérives mondanisantes du "patriarche" Bartholomeos d'Istanbul, même là où ce dernier a nommé de ses fidèles comme higoumènes, la Foi de l'Église est plus qu'intacte. Elle est vivante, vibrante, et pas prête au moindre compromis avec l'esprit de ce monde et ses politiciens (en soutane ou en col blanc). Entre le Christ et le monde, ils ont tous fait un choix clair, même si avec des nuances quant à la manière de l'exprimer face aux non-Chrétiens - c-à-d aux non-Orthodoxes, ça aussi c'est clair pour eux tous! J'ai eu de nombreux échanges, très riches, en divers monastères, et je n'y ai pas rencontré un seul moine disant autre chose que la Foi apostolique. C'est sûrement la raison de l'acharnement européen contre l'Athos, bastion de la Foi des Apôtres opposé à l'esprit de ce monde déchu et toutes ses religions qui éloignent de Dieu. Fussent-elles à prétention "chrétienne." Car après avoir arraché le Kosovo à Serbie, après l'avoir privé de son coeur, avant-dernier bastion et témoignage historico-spirituel des vraies racines de l'Europe, le parlement européen veut à tout prix faire tomber le dernier bastion, l'Athos. Car là, c'est une telle force de témoignage contre la folie athéisante qu'ils ne peuvent en supporter ne fut-ce que l'évocation.
Kyrie eleison.

Que ma prière s'élève devant Ta face, Seigneur...



Un "géronda" (ancien) du Mont Athos
tableau de Vasily Nesterenko, 1998

07 novembre 2008

saint Willibrord, apôtre en Frise, Flandres, GD-Luxembourg et Germanie (Vita par Alcuin & hagiographie orthodoxe)


Saint Willibrord de Northumbrie, Apôtre de la Frise, évêque
http://groups.yahoo.com/group/celt-saints/message/3231

Né vers 658 dans le Northumberland, Angleterre; mort en 739 à Echternach, Grand-Duché de Luxembourg. Son nom indique qu'il est de lignée Saxonne ('Willi' est une grande divinité de la mythologie nordique; 'brord' indique 'sous la protection de').

Willibrord, premier archevêque d'Utrecht, est un des missionnaires envoyés par les Chrétiens Anglo-Saxons un siècle après qu'ils aient eux-même été Christinianisés par des missionnaires dans le Sud et l'Est de l'Angleterre, venus de Rome (mission de saint Augustin de Canterbury, envoyé par saint Grégoire le Grand et consacré évêque à Lyon) et du Continent, et par le nord et l'ouest via les peuples Celtiques d'Écosse, Irlande et Pays de Galles.

Notre information sur Willibrord provient de saint Bède le Vénérable (Histoire de l'Église et du peuple Anglais, 5, 10-11) et d'une biographie de son jeune parent, Alcuin, ministre de l'éducation sous l'empereur Charlemagne. Willibrord naquit en Northumbrie vers 658, et étudia en France et en Irlande.

Bien que leur nom de famille était clairement païen, ses parents étaient Chrétiens. Le père de Willibrord était un si pieu Chrétien qu'il fonda un petit monastère à ses frais, près de la mer, et partit y vivre.

Comme beaucoup d'enfants de l'époque, à 7 ans, Willibrord fut envoyé dans un autre monastère, à Ripon, pour y être éduqué sous saint Wilfrid. La Règle de saint Benoît parle d'oblats offerts au monastère par leurs parents. La mère de Willibrord était soit morte, soit avait pris le voile.

A cette époque, les moines interprétaient fort librement leur voeu d'attachement à une communauté, et nombre d'entre eux partaient compléter leur formation en Irlande, si célèbre pour son érudition. Durant 12 ans, Willibrord étudia à Rathmelsigi sous les Saints Egbert et Wigbert, et y fut ordonné prêtre en 688.

C'est à Rathmelsigi que commence la véritable histoire de Willibrord, car Egbert avait un but favori qu'il partageait avec nombre de ses moines. Il planifiait d'envoyer des missionnaires sur le Continent, et en particulier auprès des païens Germains en Frise. C'était une excellente opportunité pour gagner un peuple entier à Dieu, et aussi pour gagner la couronne du martyr. Willibrord, âgé de 32 ans, fut choisit par Egbert pour diriger 11 autres moines Anglais, par delà la Mer du Nord jusqu'en Frise.

On décrit Willibrord comme plus petit que la moyenne et joyeux. Il apprenait vite une langue, avait bonne éducation, soif d'aventure, et un grand sens de l'humour. Et surtout, Foi, espérance et charité.

A l'automne 690, les 12 arrivèrent à Katwijk-aan-Zee, à l'une des embouchures du Rhin. De là ils suivirent le fleuve jusque Wij-bij Duurstede (Hollande), et cherchèrent Pépin II d'Herstal, maire du palais de Clovis II, roi des Francs. Pépin venait juste d'arracher la Basse Frise au duc païen Radbod, considéré comme un ours sauvage, qui régnait en tyran sur des étendues de boues sablonneuses et empoisonnait ses ennemis.

A peine avait-il rencontré Pépin et reçut son soutien pour la conversion des Frisons, qu'il partit pour Rome afin de demander conseil au pape Serge 1er, et recevoir des ordres pour la mission. Avant son départ, il fut consacré pour cette oeuvre par ce pape.

Pour sa seconde visite à Rome, en 695, Willibrord arriva à convaincre le pape Serge que la jeune mission avait besoin d'un évêque indépendant tant de York que de Pépin II; et Serge, pour sa part, réalisa que la seule personne capable de remplir une telle tâche, qui nécessitait autant de tact que d'énergie, était Willibrord.

Et c'est ainsi qu'il fut consacré archevêque le 22 novembre - le jour de la fête de sainte Cécile, dans l'église Sainte-Cécile. Probablement parce qu'un Sicilien ne parvenait pas à prononcer convenablement 'Willibrord', Serge insista pour changer le nom du saint en 'Clément', un choix qui pourrait avoir été influencé par la douceur flegmatique de l'Anglois. Serge le renvoya dans son troupeau, avec quelques reliques et le titre d'archevêque des Frisons.

De retour dans ses brumes nordiques, Clément-Willibrord, qui utilisera rarement son nom latin, créera son siège à Utrecht. Ainsi, il inaugurera une colonie anglaise en Europe continentale, qui aura une forte influence religieuse durant 100 ans.

Au contraire des évêchés modernes, remplis d'administrateurs et d'équipement, l'archiépiscopat de Willibrord était vivant. Il était sans arrêt en chemin, comme ses moines missionnaires, prêchant de village en village. Progressivement, il fonda dans chaque hameau une paroisse, avec son propre prêtre et les liturgies illuminées par l'esprit Bénédictin [encore Orthodoxe à l'époque]. Willibrord et saint Boniface de Crediton furent responsables ensemble de l'institution de chorepiscopi ("évêques régionnaires") dans cette partie de l'Europe occidentale, afin de les aider dans leur travail.

Willibrord était adroit pour traiter avec les puissants du lieu, qui avaient les terres, l'argent et la puissance nécessaire pour soutenir son oeuvre. Il utilisa ces grands, en fit des serviteurs de l'Évangile, mais ne leur fut jamais subordonné, ni prêt à donner sa bénédiction pour leurs folies. Il obtint d'eux de grandes étendues de terres qu'il transforma en villages et paroisses, comme Alphen dans le nord Brabant. Avec leur argent, il fonda des monastères qui servirent de centres d'illumination intellectuelle et religieuse.

Willibrord était apparemment opposé au travail des Culdees, qu'il rencontra [Culdees, ascètes d'Irlande, qui auront une longue postérité spirituelle jusqu'à l'invasion papiste au 12ème siècle].

Vers 700, il fonda un second important centre missionnaire, à Echternach, sur les bords de la Sure, dans l'actuelle jonction entre le Grand-Duché de Luxembourg et l'Allemagne. Il continua à évangéliser, en particulier la zone nord des pays de l'actuel Benelux, bien qu'il semble qu'il aie aussi exploré le Danemark et peut-être la Thuringe (Haute Frise). Un jour, il faillit mourir en mission - il fut attaqué par un prêtre païen à Walcheren, pour avoir détruit une idole.

En 714, Willibrord baptisa Charles Martel, le fils de Pépin le Bref.

Durant la période 715-719, Willibrord expérimenta des revers durant la révolte des Frisons contre les Francs. A la mort de Pépin II, le 16 décembre 714, le duc Radbod, qui lui avait fait allégeance mais n'avait jamais été convertit, envahit les territoires qu'il avait perdus contre Pépin d'Herstal. Il massacra, pilla, brûla et vola tout ce qu'il put trouver portant la marque Chrétienne.

Mais bien vite, la querelle de succession interne à la famille de Pépin ayant été résolue par l'habileté de Charlemagne, Radbod et ses alliés de Neustrie furent battus dans la forêt de Compiègne par Charlemagne et ses Austrasiens, le 26 septembre 715. Il y aura encore d'autres soulèvements jusqu'à la mort de Radbod en 719, mais Willibrord et ses missionnaires seront à même de réparer les dégâts et de renouveler leur oeuvre. Vers 719, Boniface les rejoignit et travailla avec eux en Frise durant 3 ans, avant de partir pour la Germanie.

La réussite missionnaire de Willibrord ne fut pas spectaculaire - la rapidité et le nombre des conversions ont été exagérées par les auteurs postérieurs - mais ce furent de solides fondations posées; "sa charité était manifeste dans son incessant travail quotidien pour l'amour du Christ" (Alcuin). On l'appelle l'Apôtre des Frisons.

Il mourut alors qu'il faisait retraite à Echternach, le 7 novembre 739. Son maigre corps fut placé dans un sarcophage de pierre, que l'on peut toujours y voir.

Au début du 8ème siècle, un moine d'Echternarch composa un calendrier des saints, dont nombre étaient en relation avec les passages de la vie de Willibrord. Le Calendrier de saint Willibrord est à présent à la Bibliothèque Nationale à Paris, manuscrit latin ms. 10.837, et est du plus haut intérêt pour les étudiants en hagiographie; à la date du 21 novembre 728 (folio 39) on trouve plusieurs lignes autobiographiques rédigées par Willibrord en personne, donnant les dates de son arrivée en France et son ordination comme évêque. (Attwater, Delaney, Encyclopaedia, Grieve, Verbist).

Dans l'art, l'emblème de Saint Willibrord est un tonneau sur lequel il pose sa croix. L'abbaye d'Echternach est derrière lui, et il est vêtu de la tenue épiscopale. On trouve aussi les variantes suivantes :
(1) en tenue épiscopale, il pose sa croix sur une source, avec un tonneau, 4 flacons, et l'abbaye en arrière-plan;
(2) évêque portant un enfant, ou avec un enfant à proximité;
(3) évêque avec la cathédrale d'Utrecht derrière lui; ou
(4) en moine, avec un bateau et un arbre.
On l'invoque contre les convulsions et l'épilepsie (Roeder).

Calendrier de Saint Willibrord (réédition de l'original par la Henry Bradshaw Society) :
http://www.henrybradshawsociety.org/booklist.html

*-*-*-*-*-*-*-*



dessin du diacre Pol Hommes, monastère de Pervijze)


Tropaire de saint Willibrord Ton 4
Dans la joie de ton Seigneur tu es entré
Après les multiples tâches d’un bon serviteur
Et pour te reposer des fatigues de l’apostolat
Saint Willibrord, tu as trouvé la paix du Christ.
Toi qui as reçu gratuitement le don de guérir,
Prends soin gratuitement de toute infirmité
Au Nom du Médecin de nos âmes et de nos corps.


Liturgie de saint Willibrord (ancien rite romain orthodoxe)
COLLECTE
O Dieu, qui a daigné envoyer le bienheureux Willibrord, Ton évêque et confesseur, prêcher Ta gloire aux païens, accorde-nous par son intercession, de pouvoir accomplir, grâce à Ta bonté, ce que Tu nous as commandé de faire. Par notre Seigneur Jésus-Christ, qui vit et règne avec le Père et l'Esprit Saint, Dieu Un, pour les siècles des siècles. Amen.

Enluminure "iconifiée" de saint Willibrord, Apôtre de la Frise et du Brabant



La Vie de Willibrord (+ vers 796)
par le Bienheureux Alcuin (735-804)

(Medieval Sourcebook)
Introduction par Talbot, dans la traduction anglaise:

La plus ancienne Vie de Willibrord écrite, comme nous l'apprend Théofrid, abbé d'Echternach (1083-1100), l'a été par un Scot peu savant (c-à-d un Irlandais), dans un style rude et frustre, et elle a disparu, bien qu'on puisse en reconstituer le contenu par le biais de la biographie composée par Alcuin, qui l'utilisa probablement comme source.

Alcuin, l'auteur de la Vie ci-dessous, est né à York en 735, et en devint le maître d'école en 778. Quatre ans plus tard, il fut nommé à la tête de l'école de Charlemagne, à Aix-la-Chapelle (Aachen), et devint un membre éminent du cercle très sélect qui soutenait l'empereur dans ses efforts pour rééduquer l'Europe. En 796, il fut nommé à Tours et y mourut en 804.

Sa Vie de Willibrord fut écrite à la demande de Beornrade, abbé d'Echternach et archevêque de Sens. Étant un proche de Willibrord, et propriétaire légal du monastère de Saint-Andrew, fondé par le père de Willibrord, Wilgils, sur une avancée de terre surplombant l'embouchure de la Humber, Alcuin a dû entreprendre cet ouvrage comme un agréable tribut envers ses relations familiales. Ce n'est pas une oeuvre littéraire particulièrement impressionnante, parfois avec des erreurs grammaticales, et toujours pédante et rhétorique, mais étant destinée à être lue durant le culte public, son manque de détails historiques et son insistance sur les miracles de Willibrord pourrait être excusée. Il composa une autre version, en hexamètres, pour les étudiants des écoles monastiques, sans cependant y adjoindre quoique ce soit d'autre que le matériau offert ici.

Theofrid, mentionné plus haut, rédigea aussi une Vie de Willibrord, en prose et une vie métrique, basée sur le matériau d'Alcuin avec des additions de Bède, les vies d'autres saints et les chartes d'Echternach. Une troisième Vie, écrite par un prêtre appelé Echebert, répète la Vie par Alcuin, avec quelques modifications au début et à la fin.

Sources: La Vie de Willibrord, écrite par Alcuin, fut d'abord publiée par [le chartreux] Surius, dans sa collection "De Probatis Sanctorum Historis" (Cologne, 1575), Vol. 6, pp. 127-137. L'édition critique fut préparée par W. Wattenbach, "Monumenta Alcuiniana", dans la série "Bibliotheca Rerum Germanicarum", éditée par Ph. Jaff (6). Elle a été publiée à Berlin en 1873 en tant que 6ème volume de la collection (pp. 39-61), mais fut supplantée par le texte de W. Levison dans "Scriptores Rerum Merovingimcarum", 7, pp. 81-141. Une traduction en anglais fut réalisée par A. Grieve, "Willibrord, Missionary in the Netherlands" (London, 1923), dans la collection "Lives of Early and Medieval Missionaries", publiée par S.P.C.K.
[Diverses éditions ont été publiées en français et néerlandais. P. ex., G.H. Verbist, "S. Willibrord", Louvain 1939 & "A l'aube des Pays-Bas, S. Willibrord", Bruxelles 1953; W. Lampen, "Willibrord en Bonifacius", Amsterdam 1939; etc]

nb : J'ai traduit les notes ci-dessous du texte de Talbot

LA VIE DE SAINT WILLIBRORD
PAR ALCUIN


[Préface = préliminaires usuels d'hagiographie, sans rapport avec le sujet]
[3] Il y avait, dans l'île de Grande-Bretagne, dans la province de Northumbrie, un certain maître de maison, Saxon d'origine, dont le nom était Wilgils, vivant en pieux Chrétien avec son épouse et famille. Ce fait se vit confirmé par des événements miraculeux, car après avoir quitté la carrière du monde, il se dévoua à la vie monastique. Peu après, comme son zèle pour la vie spirituelle augmentait, il entama encore plus intensément l'austère vie de solitaire, habitant dans promontoires terrestres qui étaient limités par la Mer du Nord et la rivière Humber. Là, dans une petite chapelle dédiée à Saint-André, l'Apôtre du Christ, il servit Dieu de nombreuses années durant dans le jeûne, la prière et les veilles, avec comme résultat qu'il devint célèbre pour ses miracles, et que son nom fut sur toutes les bouches. Les gens s'assemblèrent autour de lui en grand nombre, et lorsqu'ils le faisaient, il ne manquait pas de les instruire avec de bons conseils et la Parole de Dieu.

Il était tenu en si haute estime par le roi et les nobles de cette nation qu'ils lui offrirent, en don perpétuel, un certain nombre de petites propriétés terrestres qui se trouvaient près de ces avancées terrestres, afin d'y bâtir une église pour Dieu. Dans cette église, ce vénérable père rassemblait autour de lui un groupe relativement petit mais pieux, de ceux voulant servir Dieu. Et c'est là aussi qu'après les nombreuses épreuves de ses travaux spirituels, allant chercher sa récompense, son corps repose en paix. Ses successeurs, qui suivent encore son exemple de sainteté, sont en possession de cette église jusqu'à nos jours. Et c'est moi, le moindre de tous en mérite et le dernier en date, qui suis à présent en charge de cette petite chapelle qui m'est venue par succession légale, et qui rédige ce récit de Willibrord, le plus saint des pères et le plus sage des enseignants, à ta requête, évêque Beornrade (1), qui, par la grâce de Dieu, lui a succédé [4] dans l'épiscopat, dans la ligne de la tradition de famille et dans le soin de ces sanctuaires, qui, nous le savons, ont été bâtis par lui pour la gloire de Dieu.

(1) Beornrade, abbé du monastère de Willibrord à Echternach et par la suite archevêque de Sens.


2. A présent, afin de raconter plus complètement les faits concernant la naissance de Willibrord, et de rappeler les signes qui montrent qu'étant dans le sein maternel, il fut déjà choisit par Dieu, je vais reprendre au point où j'ai commencé. De même que le très saint précurseur de notre Seigneur Jésus-Christ, le bienheureux Jean le Baptiste, fut sanctifié dans le sein maternel, et précéda le Christ, comme l'étoile du matin précède le soleil, et, comme l'Évangile nous le rapporte, il était né de pieux parents afin d'en amener beaucoup au Salut, de la même manière, Willibrord, conçu pour le Salut de beaucoup, naquit de parents fort pieux. (1) Wilgils, le vénérable homme dont nous avons déjà parlé, entra dans l'état du mariage pour le seul but d'amener au monde un enfant qui serait au bénéfice de nombreux peuples. C'est ainsi que son épouse, la mère de saint Willibrord, contempla, une nuit qu'elle dormait, une vision céleste. Il lui sembla que c'était comme si elle voyait dans le ciel une nouvelle lune qui, pendant qu'elle regardait, grandissait lentement jusqu'à atteindre la taille de la pleine lune. Pendant qu'elle regardait cela attentivement, cela tomba subitement dans sa bouche, et lorsqu'elle l'eut avalé, son corps fut translucide de lumière. Remplie de crainte, elle s'éveilla d'un coup et alla raconter son rêve à un saint prêtre, qui lui demanda si durant la nuit que la vision lui était venue, elle avait connu conjugalement son époux. Ayant répondu affirmativement au prêtre, ce dernier répondit : "La lune que tu as vue passer de petite à grande taille, c'est le fils que tu as conçu cette nuit. Il dispersera les troubles ténèbres de l'erreur avec la lumière de la Vérité, et partout où il ira, il apportera avec lui une splendeur céleste, et rejaillira de la pleine lune de sa perfection. Par le resplendissement de sa renommée et la beauté de sa vie, il attirera vers lui les yeux des multitudes." Cette interprétation du songe se révélera exacte par le cours des événements.

(1) Willibrord est probablement né le 6 novembre 658.

3. Lorsque vint le temps, la femme mit au monde un fils, et au baptême son père lui donna la nom de Willibrord. Aussitôt que l'enfant atteignit l'âge de raison (1), son père le remit à l'église à Ripon, afin d'être instruit par les frères du lieu dans les travaux religieux et l'érudition sacrée, afin que vivant en un tel lieu où il ne puisse rien voir d'autre que ce qui était vertueux, et ne rien entendre que ce qui était saint, son tendre âge puisse être renforcé par un bon entraînement et discipline. Depuis ses plus anciennes années, la grâce divine lui permit de grandir en intelligence et en force de caractère, au moins autant que cela était possible à cet âge-là, de sorte qu'il semblait que de nos jours, un nouveau Samuel était né, de qui on pouvait dire : "Le garçon grandissait et croissait en faveur auprès de Dieu et des hommes."
Ainsi donc, dans le monastère de Ripon, ce jeune qui allait prouver être une bénédiction pour beaucoup, reçut la tonsure cléricale (2), et fit sa profession monastique, et parvenant à égaler les autres jeunes de ce saint et sacré monastère, il ne fut inférieur à aucun en ferveur, humilité et zèle pour l'étude. En fait, ce garçon richement doté fit de tels progrès, les jours passants, que le développement de son intelligence et de son caractère dépassait la jeunesse de son âge, au point que son corps petit et délicat abritait la sagesse d'un vieil âge mûr.

(1) Ceci est probablement l'interprétation correcte de la phrase "lorsqu'il fut sevré ". L'abbé à l'époque était plus que probablement saint Wilfrid, le chef du parti romain qui avait triomphé au Synode de Whitby, en 664. Willibrord a dû servir sous Wilfrid jusqu'en 669, lorsqu'alors Wilfrid partit pour prendre possession du siège d'York.
(2) Il reçut la tonsure et fit profession monastique vers l'âge de 15 ans; cfr la lettre à saint Boniface, Tangl, No. 26.

4. Lorsque ce jeune, aussi puissamment enrichit de la sacrée érudition qu'il ne l'était en maîtrise de soi et en intégrité, atteignit l'âge de 20 ans, il se sentit une forte envie de poursuivre un mode de vie plus rigoureux et fut pris par le fort désir de voyager au large. Et parce qu'il avait entendu parler des écoles et de l'érudition qui fleurissaient en Irlande (1), il fut encouragé par ce qu'il apprit du genre de vie adopté par certains saints, en particulier par le bienheureux évêque Ecgbert, (2), qui reçut le titre de Saint, et par Wichtberct, (3), le vénérable serviteur et prêtre de Dieu, eux deux qui, pour l'amour du Christ, oublièrent maison, patrie et famille et se retirèrent en Irlande, où, coupé du monde bien que proches de Dieu, ils menèrent une vie solitaire, appréciant les bénédictions de la contemplation céleste. Le saint jeune souhaita imiter la vie divine de ces hommes, et après avoir obtenu l'accord de son abbé et des frères, il se hâta par delà la mer pour rejoindre le cercle intime des pères en question, afin qu'en vivant à leur contact, il puisse atteindre le même niveau de sainteté et posséder les mêmes vertus, de même que l'abeille tire le miel hors des fleurs et le conserve dans sa ruche. Là, parmi ces maîtres, éminents tant en sainteté qu'en érudition sacrée, lui qui devait un jour prêcher à nombre de peuples, fut entraîné 12 ans durant, jusqu'à ce qu'il atteignit l'âge mature de l'homme, et le plein âge du Christ.

(1) Bien que la renommée des écoles Irlandaises était bien méritée, elle ne reflétait cependant pas, par contraste, un quelconque manque des centres de formation anglais. Saint Aldhelm de Sherborne se plaignait à l'époque de ces étudiants qui y allaient et puis demandaient : N'y avait-il pas d'école suffisamment bonne en Angleterre. La véritable raison pour s'expatrier semble avoir été l'expulsion de saint Wilfrid du siège d'York, en 678, qui mena à l'exil volontaire de nombreux moines qui étaient en sympathie avec lui.

(2) Ecgbert fut Abbé de Rathmelsigi, probablement Mellifont dans le Comté de Louth. En 664, il partit en exil volontaire après le Synode de Whithby, mais revint à Iona en 716. Il mourut en 729 à l'âge de 90 ans. Il a longtemps voulu annoncer l'Évangile parmi les peuplades de Saxons sur le Continent, mais n'aurai jamais pu y aller.

(3) Wichtberct fut un compagnon d'Ecgbert et passa de nombreuses années en Irlande. Il partit en mission en Frise, mais ayant prêché durant 2 ans sans succès, il rentra en Irlande.


5. En conséquence, dans la 33ème année de son âge, la ferveur de sa foi avait atteint une telle intensité qu'il considéra de peu de valeur de travailler pour sa propre sanctification à moins qu'il ne puisse prêcher l'Évangile à d'autres et leur apporter quelque bénéfice. Il avait entendu que dans les régions nord du monde, la moisson était grande mais les ouvriers peu nombreux. C'est ainsi qu'il advint qu'en accomplissement du songe que sa mère avait dit avoir eu, Willibrord, pleinement conscient de son but mais cependant ignorant de ce qui avait été divinement préparé, décida de faire voile vers ces parties et, si Dieu le voulait, d'y amener la lumière du message de l'Évangile à ces gens qui, à cause de l'incroyance, n'avaient pas encore été touchés par sa chaleur. Il embarqua donc sur un navire, emmenant avec lui 11 autres qui partageaient son enthousiasme pour la Foi. Certains d'entre eux allaient par la suite gagner la couronne du martyre par leur constance à prêcher l'Évangile, d'autres allaient devenir évêques, et après leurs travaux dans la sainte oeuvre de la prédication, sont depuis partis reposer en paix.

Ainsi l'homme de Dieu, accompagné de ses frères, comme nous l'avons déjà dit, fit voile, et après une traversée réussie, ils amarrèrent leur navire à l'embouchure du Rhin. Puis, après s'être restaurés, ils partirent pour le castel d'Utrecht, qui se trouve sur une des rives du fleuve, où plusieurs années plus tard, lorsque par la divine faveur la foi avait grandit, Willibrord installera le siège de son évêché. (1) Mais le peuple de Frise, où se situait le fortin, et Radbod, leur roi (2), continuaient de se souiller par les pratiques païennes, l'homme de Dieu trouva plus sage de partir pour la Francie et visiter Pépin (3), le roi de ce pays, un homme de grande énergie, brillant à la guerre et de haute valeur morale. Le duc le reçut avec toutes les marques de respect; et il ne voulait pas que lui et son peuple perdent les services d'un si éminent érudit, aussi lui donna-t'il certaines localités situées dans les frontières de son propre royaume, où il pourrait déraciner les pratiques idolâtres, enseigner au peuple nouvellement convertit et ainsi accomplir le commandement du prophète : "Défrichez pour vous un champ nouveau, gardez-vous de semer sur les épines" (Jérémie 4,3).

(1) l'église de Willibrord a été bâtie avec les ruines de l'ancien camp romain à Fectio (Vecht).

(2) depuis le début de son règne en 697, Radbod avait été opposé à quoique ce soit sentant la domination Franque, et avait impitoyablement détruit les églises et autres bâtiments érigés par les Francs.

(3) Pépin II, maire du palais de Clovis II. C'est lui qui donna aux missionnaires l'église d'Antwerpen (Anvers), anciennement scène des oeuvres de saint Amand et saint Éloi, pour servir d'abri et de soutien.


6. Après que l'homme de Dieu aie systématiquement visité plusieurs localités et accompli la tâche d'évangélisation, et lorsque la semence de vie germa grâce à la rosée de la grâce céleste, par sa prédication, portant un abondant fruit en nombre de coeurs, le précité roi des Francs, grandement enchanté par le zèle brûlant de Willibrord et l'extraordinaire croissance de la foi Chrétienne, et ayant en vue la propagation toujours plus grande de la religion, pensa qu'il serait sage de l'envoyer à Rome afin qu'il puisse être consacré évêque par le pape Serge (4), un des plus saints personnages de l'époque. Ainsi, après avoir reçu la bénédiction apostolique et le mandat et étant rempli d'une confiance encore plus grande en tant qu'émissaire du pape, il reviendrait prêcher l'Évangile avec une plus grande vigueur encore, selon les mots de l'Apôtre : "Comment ira-t-on prêcher, si l'on n'y est envoyé?" (Romains 10,15).
Mais lorsque le roi tenta de persuader l'homme de Dieu de faire cela, il rencontra un refus. Willibrord répondit qu'il n'était pas digne d'une si grande autorité et, après avoir énuméré les qualités que saint Paul mentionne à Timothée, son fils spirituel, comme étant essentielles pour un évêque, il affirma qu'il était fort loin de telles vertus. De son côté, le roi exhorta solennellement l'homme de Dieu d'accepter ce qu'il avait humblement décliné. A la fin, touché par l'accord unanime de ses compagnons, et, ce qui est plus important, poussé par la volonté divine, Willibrord acquiesça, très désireux de se soumettre au conseil de nombre de personnes plutôt que d'obstinément suivre sa propre volonté. En conséquence, il partit pour Rome en distinguée compagnie, portant des présents appropriés à la dignité du pape.

(4) Pape de Rome Sergius 1er, 687-701. Alcuin ne mentionne qu'un seul voyage à Rome, mais il y en eut 2.
[ndt: Pépin s'était allié politiquement à la papauté devenue très falote; Pépin avait un but strictement politique, pas religieux. C'est le début de la chute pour les royaumes francs.. Willibrord a été formé chez les Orthodoxes, mais son ecclésiologie commencera à souffrir de cette erreur à but politique. Car normalement, il aurait dû être consacré par le métropolite de la région, et faire partie de son Synode..]

7. Quatre jour avant que Willibrord n'arrive à Rome, le pape eut un songe dans lequel il fut avisé par un Ange de le recevoir avec les plus grands honneurs, parce qu'il avait été choisit par Dieu pour apporter la lumière de l'Évangile à nombre d'âmes : le but de sa venue à Rome était de recevoir la dignité de l'épiscopat, et rien de ce qu'il demanderait ne devrait être refusé. L'évêque de Rome, prévenu par cette admonition, le reçut avec grande joie et lui fit preuve de toute courtoisie. Et comme il discernait en lui une foi ardente, une dévotion religieuse et une profonde sagesse, il fixa un jour approprié pour sa consécration, lorsque tout le peuple pourrait être rassemblé. Puis il invita les vénérables prêtres à prendre part à la cérémonie, et, en accord avec la tradition apostolique et avec une grande solennité, il le consacra publiquement comme archevêque dans l'église du bienheureux Pierre, prince des Apôtres (1). En même temps, il l'appela Clément et le revêtit des habits épiscopaux, lui conférant le pallium sacré en tant que signe de son ministère, tel Aaron avec l'ephod. De plus, quoiqu'il désirait ou demandait en matière de reliques de saints (2) ou de vases liturgiques, le pape les lui donna sans hésiter, et ainsi, fortifié avec la bénédiction apostolique et chargé de dons, il fut renvoyé dûment instruit, pour son oeuvre de prédication de l'Évangile.

(1) Alcuin s'est trompé. L'église signifie sainte Cécile en Transtevere. Le jour de la consécration fut le 22 novembre 695.
(2) plusieurs églises conservent encore les reliques que Willibrord a ramenées de Rome, telles celles d'Emmerich et Trêves.

[suite encore à traduire]

Source:
volume 3 des Acta Sanctorum de Novembre
C. H. Talbot, "The Anglo-Saxon Missionaries in Germany", c-à-d les Vies des saints Willibrord, Boniface, Leoba et Lebuin, avec l'Hodoepericon de Saint Willibald et une sélection de correspondances de saint Boniface, (London and New York: Sheed and Ward, 1954)
Le statut de "copyright" de ce texte a été précautioneusement vérifié. La situation est compliquée, mais se résume de la sorte. Le livre a été publié en 1954 par Sheed & Ward, apparement simultanément à Londres et à New York. L'édition américaine indiquait uniquement "New York" comme lieu de publication, l'édition brittanique indiquant "Londres et New York". Le copyright n'a pas été renouvelé en 1982 ou 1983, comme le requier la loi nord-américaine. Le récent traité du GATT (1995?) a restauré le copyright des publications étrangères qui étaient entrées dans le domaine public aux USA simplement parce que leur copyright n'avait pas été renouvellé en suivant les règles de la loi nord-américaine. Cette décision du GATT ne semble pas être applicable à ce texte parce qu'il fut publié simultanément aux USA et en Grande-Bretagne par un éditeur opérant dans les 2 pays à la fois (une situation à laquelle les règles du GATT s'adressent de manière spécifique). Donc, bien qu'il soit encore sous protection du copyright dans une bonne partie du monde, ce texte demeure dans le domaine public aux USA.


06 novembre 2008

Saint Léonard de Noblat "le libérateur," ermite & patron des prisonniers (+ vers 599)

Saint Léonard le Libérateur, prie le Christ Dieu pour nous
afin qu'Il nous libère des chaînes des passions terrestres
et nous fasse vivre dès ici bas la vie céleste.




Collégiale de Saint-Léonard-de-Noblat, 11ème siècle
photo wikimedia

"Les dons de Dieu ne s'achètent pas à prix d'argent : c'est la Foi qui les mérite, et le Seigneur les distribue aux fidèles suivant la mesure de leur Foi."
Saint Léonard de Noblat


Comme pour tous les saints Orthodoxes d'Occident, vu qu'églises, sanctuaires, reliques & manuscrits ont quasiment tous soit disparu soit été violemment détournés par la nouvelle religion catholique-romaine lors de son avènement au 9ème siècle, ses armées s'emparant de tout ce que nos Pères avaient fait sous la guidance de l'Esprit Saint, il faut être prudent avec les textes qui nous parlent de la vie de nos Pères occidentaux dans la Foi. Il faut vérifier les sources, recouper avec les données d'archéologie religieuse et autre, la paléographie quand on peut avoir accès à un manuscrit, etc. Et souvent les "vieilles traditions populaires" invoquées de ci de là pour "attester" un peu de tout, quand on les analyse un brin, on s'aperçoit vite que leur côté ancien ne dépasse que rarement 2 ou 3 siècles, dans le meilleur des cas. Ils sont rarissimes, les saints de chez nous dont on dispose de suffisamment de certitudes et preuves sur la plupart des éléments de leurs vies, car certains édits carolingiens ont bien veillé à ce que tout ce qui ne pouvait pas être réécrit soit détruit.
Saint Léonard n'échappe pas à la règle. La plus ancienne forme écrite de sa Vita est de l'époque Ottonienne tardive, donc après les Carolingiens. Heureusement, et ce n'est pas le seul détail valable, mais le sarcophage semble bel et bien antérieur à ces 2 dynasties franques, et donc un sérieux garant quelque part de l'existence du saint, et de la vénération post-mortem dont il n'a cessé d'être l'objet. Ce qui autorise sa présence dans le sanctoral Orthodoxe. Quant aux détails du texte tardif, on les recevra avec précaution.

saint Léonard de Noblat, statue murale
Italie, 11ème s.

A 22 kilomètres à l'est de Limoges, la petite ville de Saint-Léonard-de-Noblat a gardé l'aspect pittoresque que lui a donné sa grande prospérité au Moyen-Age. La vaste collégiale est un des plus beaux monuments romans limousins; cette église a été construite de la fin du 11ième siècle au 12ième. Elle est flanquée au Nord par un splendide clocher à 5 étages et une curieuse chapelle du Saint-Sépulcre, ajout du 12ème par les anciens Croisés; l'église fut victime d'horribles dégradations appelées "modifications" par les ultra-montains de la contre-réforme "catholique", les Bénédictins hétérodoxes évoquent en particulier celles de 1603 qui défigurèrent le choeur. La prospérité a été apportée à la ville par les pèlerins qui, venant en foule au tombeau de saint Léonard, créèrent un important mouvement commercial.
L'évêque de Limoges, Jourdain de Laron, et le célèbre chroniqueur Adhémar de Chabannes, sont la source écrite la plus ancienne que l'on possède sur saint Léonard.
Dans sa Chronique écrite vers 1028, Adhémar raconte que lorsque, vers 1017, fut découvert à Saint-Jean-d'Angély le chef de saint Jean-Baptiste, les clercs et les fidèles accoururent en foule pour le vénérer en apportant les reliques de leurs saints. On vit celles de saint Martial, de saint Cybard, de saint Léonard, confesseur en Limousin, de saint Antonin, martyr du Quercy, etc., qui accomplirent tous beaucoup de miracles.
Adhémar se contente de présenter saint Léonard comme "confesseur limousin", ce qui signifie que ses reliques reposaient dans ce diocèse.
Exactement à l'époque où Adhémar écrivait sa Chronique, peu avant 1028, un clerc, nommé Hildegaire, fit de la part de l'évêque de Limoges, Jourdain de Laron, une requête à l'évêque Fulbert de Chartres, le célèbre canoniste : il lui demandait de lui envoyer la Vie de saint Léonard, s'il pouvait la trouver. Les Limousins s'adressaient à Fulbert comme à un savant habile à découvrir les trésors des bibliothèques - de nos jours encore, on s'adresse à des chercheurs lointains pour connaître l'histoire locale. Pour ne pas commettre d'impair, Hildegaire avançait prudemment : on dit que ce saint repose dans notre diocèse. Cet "on dit" révèle assez l'ignorance de l'évêque de Limoges et de son clergé, ce qui a toujours été courant pour bien des saints locaux tombés dans l'oubli, tant en Orient qu'en Occident. A Chartres aussi, saint Léonard était inconnu. Nous ne savons si Fulbert répondit; la mort le surprit peut-être avant qu'il n'ait eu le temps de s'occuper de la question.
Cependant, et nul ne sait par qui, un beau jour du 11ième siècle, une Vie de saint Léonard et le récit de 9 miracles obtenus par son intercession furent mis en circulation. Que dit cette Vie?

Léonard naquit dans la province des Gaules au temps de l'empereur Anastase (491-518), de nobles francs, alliés du roi Clovis qui, "d'après des témoignages véridiques", voulut bien être le parrain de l'enfant. Devenu grand, Léonard refusa de servir dans l'armée royale comme tous ses parents, mais voulut suivre saint Remi, évêque de Reims.
Il est notoire que saint Remi avait obtenu des rois mérovingiens que, chaque fois qu'ils viendraient à Reims ou qu'ils y passeraient, tous les prisonniers seraient aussitôt libérés. Pour imiter cette charité, Léonard demanda que tous les prisonniers qu'il visiterait soient aussitôt libérés : le roi accorda cette faveur dont le saint usa largement.
Le renom de la sainteté de Léonard se répandait beaucoup de malades venaient le supplier de les guérir et, comme il était déjà clerc, le roi voulut lui donner un évêché, mais il refusa et se retira auprès de saint Mesmin à Micy.
Inspiré du Saint-Esprit, Léonard comprit qu'il ne devait pas se fixer à Micy. Il s'en alla en même temps que son frère Lifard, qui se rendit à Meung, alors que Léonard, traversant le diocèse de Bourges, se dirigeait vers l'Aquitaine.
Il traversait la vaste forêt de "Pavum", près de Limoges, quand il entendit des hurlements de douleur qui l'émurent tant qu'il voulut en connaître la cause. Il arriva au camp du roi, qui venait chaque année chasser dans cette forêt. La reine qui l'avait accompagné était alors en mal d'enfant; aucun médecin ne s'avérait capable de la délivrer et tous se lamentaient de sa mort prochaine. L'aspect vénérable et angélique de Léonard fit une telle impression qu'on le conduisit vite au roi, qui l'emmena dans la chambre de la reine. Le saint récita une longue prière et à peine était-il sorti que la reine mettait au monde un bel enfant. Le roi offrit de riches objets et de somptueuses étoffes à Léonard qui, les refusant, demanda de pouvoir établir un monastère dans la forêt. Le roi accepta volontiers et se préparait à donner la forêt entière, lorsque Léonard précisa qu'il se contenterait de la portion dont il ferait le tour monté sur son âne. Le roi fit poser le long du parcours des bornes de pierre.
Léonard construisit un oratoire en l'honneur de Notre-Dame et y dédia un autel en mémoire de saint Remi. Il se rendait souvent au tombeau de saint Martial.
Comme le monastère était à un mille de la Vienne (Dauphiné), il était très pénible d'aller chercher de l'eau : Léonard fit creuser un puits et par sa prière obtint que l'eau n'y manquât jamais. "Saint Léonard appela ce lieu 'Nobiliacum', parce qu'il lui avait été donné par un très noble roi (nobilissimo rege)".
Le renom de la sainteté de Léonard se répandit dans toute l'Aquitaine, la Grande-Bretagne et la Germanie. Dieu glorifiait son serviteur, de sorte que si quelque prisonnier invoquait son nom, ses chaînes se brisaient et nul ne pouvait l'empêcher de partir. Beaucoup venaient de tous pays lui apporter leurs chaînes et certains voulaient se fixer auprès de lui. Le saint leur donnait un lopin de terre pour qu'ils puissent vivre honnêtement de la culture et éviter de nouveaux vols qui les ramèneraient en prison. Il guérissait aussi les nombreux malades qui venaient à lui.
Des membres de sa famille, entendant vanter Léonard, vinrent avec leurs femmes et leurs enfants se mettre sous sa direction; il attribua à chacun une portion du domaine. Et beaucoup de fidèles tenaient à habiter près de lui.
Léonard mourut le 8 des ides de novembre (6 novembre) et il fut enterré dans l'église qu'il avait construite en l'honneur de la Vierge Marie.

La lecture un peu attentive du texte fait aussitôt se poser des questions : comment se fait-il qu'un tel personnage soit absent des Vies de saint Rémi, même les plus tardives et sujettes à caution comme celles réécrites et amplifiées par les Carolingiens? Quid des Vitae de saint Calais et saint Lifard? Pour palier au manque d'informations dépassant la notice du sanctoral accompagnant les reliques, l'auteur anonyme a simplement repiqué dans la vie de divers saints de quoi broder sur ce qu'il savait par les petites traditions locales et ce sanctoral.
Cependant, quand le biographe anonyme composa ceci, saint Léonard était déjà invoqué par les prisonniers et les dons des pèlerins avaient déjà permis le développement d'une puissante communauté de clercs qui avaient suscité autour d'elle la fondation d'une ville commerçante : clercs et marchands jouissaient de franchises avantageuses et, suivant le procédé classique, en attribuaient l'origine à leur saint patron lui-même. Cette ambiance & méthode d'hagiographie douteuse convient plutôt au 11ième siècle assez avancé.
Ensuite, Micy - les érudits qui ont étudié les sources fondatrices de cette abbaye y ont découvert un amoncellement de faux en tous genres, le but final étant toujours financier puisqu'il s'agissait de s'octroyer des exemptions de taxes, des biens fonciers, des terres, etc.. Ca pourrait cependant peut-être nous orienter vers l'origine du texte, ce détail trahissant l'auteur "à l'insu de son plein gré"?!
Que valent les indications topographiques? La forêt de Pavum n'est citée dans aucun document. Quant à l'étymologie proposée par l'hagiographe pour Noblat, Nobiliacum qu'il fait venir de nobilissimo, elle n'est sûrement pas un argument en faveur d'une fondation royale et est un peu trop dans la manière du Moyen-Age : autant que de nobilis, Nobiliacum peut venir du nom de personne Novellius joint au suffixe -acum.

Saint Léonard est donc un saint connu du peuple, qui l'invoquait depuis belle lurette et le vénérait, et dont la vénération s'est transmise sans trop se poser de questions de détails jusqu'à ce qu'en 1028, un chroniqueur parle de l'existence attestée de ses saintes reliques en 1017, dans un cortège de clercs et de laïcs l'ayant apporté avec eux – plus que probablement dans ce cas, avec hymnes dédiées, mais le chroniqueur n'en avait pas eu connaissance. Et pour que le saints, à cette époque, se voit ainsi emmené en procession à travers le pays, il fallait qu'il soit suffisament connu pour draîner les foules. Voilà ce qu'on sait de sûr.
On peut penser raisonnablement qu'il a vécu en ermite en Limousin, puisque aucune mémoire de translation n'a été conservée. Cette absence de translation joue aussi en défaveur de l'origine noble affirmée dans la légende, car une telle absence, bien que regrettable, était courante pour des saints locaux d'origine modeste, même si grands saints aux nombreux miracles. Mais pas pour ceux d'origine noble, même si certains n'étaient saints qu'aux yeux de leurs pairs, ces derniers les canonisants loin de Dieu et du peuple de Dieu... on connaît aussi ça en Orient..
Saint Léonard a dû vivre aux alentours du 6ème siècle, comme le dit le texte, et selon l'étymologie de son nom, il est bien Franc. Le nom de Léonard composé du latin "leo", "lion", et du germanique "hard", "dur, fort", n'a pu être en usage qu'à une époque où les Germains étaient bien installés en Gaule, ce qui est le cas des Mérovingiens vers 600. Son nom signifie "fort comme un lion".

La Vie et le premier livre des Miracles, rédigés ensemble au 11ième siècle, ont certainement eu une influence pour aider à la diffusion du culte du saint, mais ils ne sont pas à l'origine de cette dévotion : ils prétendent seulement expliquer ce qui se déroulait devant eux. Et le saints avait ses reliques qui avaient été vénérées avec d'autres saints d'avant les Carolingiens, ce qui est encore une attestation et une certitude pour nous.

Retour à la légende. Le premier livre des Miracles composé au 11ème commence par raconter que les clercs de Noblat reçurent en songe l'ordre de bâtir une nouvelle église à l'endroit resté sec après une abondante chute de neige. L'auteur ne donne aucune précision chronologique ou topographique : les traditions du pays prétendent que la première église de Noblat nommée Notre-Dame-de-tous-les-Arbres se trouvait à 30 ou 40 mètres de l'église actuelle, ce qui n'est pas impossible. Elles ajoutent que la translation eut lieu au 9ième siècle, date qui n'est confirmée par aucun témoignage littéraire ou archéologique, d'où.. Cependant, le 9ème siècle, ce sont les Carolingiens, et ils aimaient bien les translations d'anciens saints Orthodoxes, pour raisons financières d'ailleurs, car cela permettait de belles collectes.. Ca nous ramène quelque part à Micy..
A la fin du 11ième siècle, la dévotion à saint Léonard se répandit très vite en France, sa fête fut célébrée à Limoges, dans les diocèses voisins, Bourges, Clermont, Le Puy, Rodez, Bordeaux, Saintes, Poitiers, dans l'Ouest à Angers et à Nantes, dans la région parisienne et en Normandie, d'où elle passa en Angleterre au moment de la conquête. Les Flandres, l'Italie la reçurent également. L'absence de relations politiques (vassalité) entre nombre de ces régions, le fait que certaines n'étaient pas encore soumises militairement aux papes de la Rome déchue, montre que la dévotion a bel et bien eu une origine spirituelle, naturelle. Par la suite en effet, les nouveaux "saints" seront imposés en remplacement des authentiques saints locaux, et les liens féodaux permettent de retracer ces impositions, de même que les changements dans les missels & autres sacramentaires viennent les confirmer.

Ce qui a aussi joué un rôle considérable dans le développement légendaire sur saint Léonard, c'est que la ville en question est devenue fin du 11ème une ville-étape vers Santiago de Compostella, en Espagne. Autre grande supercherie post-Orthodoxe, on cherchera en vain dans les textes des grands saints érudits de l'Espagne Orthodoxe la moindre évocation des prétendus faits fondateurs de Compostelle. Strictement aucun n'en parle. Par contre, passé le Schisme, ce "pèlerinage" va très fortement se développer, et générer un formidable commerce. Les villes-étapes voulant avoir un statut de haut rang chercheront sur le même mode d'invention pure (ou d'amplification de faits existants) à se donner des origines spirituellement prestigieuses. Plus ce sera réussi, plus la réussite commerciale sera au rendez-vous. Saint Isidore de Séville, un des plus grands érudits et évêques de l'Espagne Orthodoxe, encyclopédiste avant l'heure, aurait rigolé aux éclats en entendant parler de Compostelle. Savoir qu'aujourd'hui encore, ça rapporte gros aux héritiers de l'imposture lui aurait fait sortir sa croix et son eau bénite pour chasser les méchants..

Revenons-en à saint Léonard.
In fine, plus intéressant que légende forgée et douteux textes tardifs, les miracles de saint Léonard attestés par les petites gens : surtout des libérations miraculeuses de prisonniers. Le doute n'est plus permis quant à sa réalité et la force de son intercession. D'ailleurs son église est remplie de leurs ex-voto : ceps, doubles boucles. Par allusion à ces doubles boucles, les fabricants de boucles le choisirent comme patron, ainsi que les fruitiers, beurriers, fromagers et coquetiers qui, courant la campagne pour ramasser leurs denrées, risquaient en temps de troubles d'être pris par des voleurs.

Bibliographie sommaire :
Adhémar de Chabannes, Chronique, L. 3, c.56, dans Patrologie Latine, t.141, col. 69
Lettre d'Hildegaire à Fulbert de Chartres, dans P. L., t. 112, col. 273
Vie de saint Léonard (Biblioth. hag. lat., n. 4862), dans Arbellot, Vie de saint Léonard, Paris, 1863, p. 277-289
Mon. Germ. hist., Script. rer. merov., t. 3, p. 396-399 (les MGH existent in extenso en ligne sur internet)
V. Leroquais, Les sacramentaires et les missels mss dans les bibliothèques publiques de France, t. 3, p. 381; Les bréviaires mss dans..., t. 5, p. 172.


"Voici une ancienne représentation de saint Martin de Tours sur une icône du monastère Sainte-Catherine du Mont Sinaï. Peinte au XIIème siècle (probablement avant la chute du royaume de Jérusalem en 1187), l'icône représente trois saints vénérés dans le patriarcat de Jérusalem (saint Paul, saint Jacques le frère du Seigneur et saint Etienne le Protomartyr) et trois saints des pays latins, dont deux de France (saint Laurent l'Archidiacre, saint Martin de Tours et saint Léonard de Noblat le Libérateur). Les légendes sont en latin."
source (page sur saint Martin de Tours)



Tombeau de saint Léonard avec ses chaînes, sarcophage de style mérovingien
Collégiale de Saint-Léonard-de-Noblat
photo wikimedia


Retable médiéval hétérodoxe : la Mère de Dieu allaite le Christ, avec à gauche saint Léonard de Noblat, et à droite le saint Apôtre Pierre
auteur : Meister der Heiligen Magdalena, 13ème s.
108,5 × 163 cm
Yale University Art Gallery, New Haven (Connecticut)
photo wikimedia


Nous fêtons aussi aujourd'hui un grand saint "Ch'ti" - excusez l'anachronisme, mais c'est de saison, voyez vos vidéo-clubs & bureaux de postes français :-) - je veux parler de saint Winnoc de Bergues.
Je l'évoque brièvement sur une page d'avril 2008 pour saint Erkembode, et sa Vie, iconographie & hymnographie feront l'objet d'une page dédiée l'an prochain, si Dieu me prête vie.. et raison de continuer ce blog-ci.
Idem pour saint Illtud de Llantwit Major (Pays de Galles), formé par saint Germain d'Auxerre, un des plus importants saints gallois; saint Efflam; saint Germain de Kazan; etc.


05 novembre 2008

Changement d'heure entre Athos et ici : quelle soupe!


24/10, départ pour notre pèlerinage.. En Grèce, c'est un autre fuseau horaire qu'en Belgique ou en France; premier changement dès la descente du vol Köln-Thessaloniki..

Oui, mais le lendemain de notre arrivée en Grèce, passage de l'heure d'été à l'heure d'hiver, et le pays suit aussi ce système de décalage horaire saisonier européen.

Ensuite, arrivés quelques heures plus tard sur la sainte montagne de l'Athos, c'est pour constater que là il y a en plus "l'heure locale," particularité pour centrer les offices sur l'heure solaire. Une certaine logique – chanter le lever du soleil quand il pointe déjà vers midi est un peu illogique, et les moines athonites sont très logiques.

les 2 heures sont indiquées dans la cour du monastère de Grigoriou, sur l'Athos, mais dans bien des autres monastères, seule l'heure locale est indiquée, celle qui compte pour leurs activités de travail comme de prière.


Après le retour 8 jours plus tard, rebasculer en vivant en 2 jours sur 3 fuseaux horaires différents. Et ici, pas de sonneries des cloches à 1h30 ou 3h30 du matin (pour les Offices de nuit, puis les Heures & Matines), et le corps, l'âme et l'esprit qui s'y attendent pourtant.. et pas d'environnement sentant bon la piété et la Foi, la joie Chrétienne.. la réadaptation au monde paganisé est dure..

04 novembre 2008

Quand votre barque a coulé et que votre cabane est en feu...



Le naufrage
(Louis Gameray)


De Yianni Frangakis
Date: Mer 15 Oct 2008 21:34:13 -0600

L'unique survivant du naufrage d'un navire fut rejeté par la mer sur une petite île inhabitée. Il pria Dieu avec ferveur afin de le sauver. Chaque jour, il scruta l'horizon pour voir s'il passerait quelque navire pour le secourir, mais n'en vit aucun.
Épuisé, il se décida pour finir à construire une petite cabane avec les débris du navire échoués là, afin de se protéger des éléments naturels, et d'y abriter ses rares biens récupérés.
Un jour, après revenant de sa quête pour de la nourriture, il retrouva sa cabane en feu, une grosse fumée s'élevant jusqu'au ciel. Il s'effondra, le pire avait eu lieu et il avait tout perdu. Il fut pris de colère, d'amertume, et pour finir, se fâcha contre Dieu. Il s'écria "Dieu, comment as-Tu pu me faire ça?"



Le lendemain matin, il fut réveillé par le bruit des machines d'un navire s'approchant de l'île! Il venait pour le secourir!
"Comment avez-vous eu connaissance de ma présence ici?" demanda l'homme exténué à ses sauveteurs. "Nous avons vu votre signal de fumée," lui répondirent-ils.

La morale de cette histoire?
Il est facile de se décourager quand tout va mal, mais nous ne devrions pas laisser notre coeur s'enténébrer, car Dieu est à l'oeuvre en nos vies, même au milieu de nos souffrances et de nos problèmes. Souvenons-nous en la prochaine fois que notre cabane semblera être totalement la proie des flammes. Ca pourrait bien être un signal de fumée qui annonce la grâce de Dieu.

ps : et si vous passiez le message à quelqu'un que vous connaissez, qui se sentirait aujourd'hui comme face à sa maison en feu?
Yianni