Par l'archevêque Pierre (L'Huillier) [Eglise Orthodoxe d'Amérique / OCA]
[Automne, 2003]
[traduction © www.amdg.be 05 avril 2005]
Bien que le terme Diaspora soit souvent utilisé dans les milieux ecclésiastiques Orthodoxes, il est difficile de trouver une définition exacte de sa signification. La traduction littérale de ce terme en anglais [comme en français, ndt] est Dispersion; cependant, dans les dictionnaires, on trouvera 3 explications relativement proches : 1) la dispersion des Juifs après l'Exil de Babylone; 2) les Juifs ainsi dispersés; 3) au temps des Apôtres, les Chrétiens Juifs qui vivaient hors de Palestine. (Webster's Dictionary)
Dans l'Ancien Testament, cela se réfère tout d'abord à la situation du peuple israélite en Exil après la prise de Jérusalem par les Babyloniens en 587 avant Jésus-Christ. Par la suite, on retrouvera des Juifs tout autour du Bassin Méditerranéen et du Moyen Orient jusqu'en Perse. Mais pour tous les Juifs, la terre d'Israël était la Terre Promise, et le Temple de Jérusalem était le seul lieu légitime de sacrifice. Ainsi nous pouvons comprendre la tristesse du Psalmiste qui proclame: "Comment chanterions-nous un cantique du Seigneur sur une terre étrangère? Si je t'oublie, Jérusalem, que ma droite se dessèche! Que ma langue s'attache à mon palais" (Psaume 136,4-6).
Pour les fidèles du Christ, la position est différente. Ils se souviennent en particulier de la prophétie de Jérémie :
"Voici venir des jours -- oracle du Seigneur -- où Je conclurai avec la maison d'Israël (et la maison de Juda) une Alliance Nouvelle. Non pas comme l'Alliance que J'ai conclue avec leurs pères ... Mais voici l'Alliance que Je conclurai avec la maison d'Israël après ces jours-là, oracle du Seigneur. Je mettrai ma Loi au fond de leur être et Je l'écrirai dans leur coeur. Alors Je serai leur Dieu et eux seront Mon peuple" (Jér. 31,31-34). Cette prophétie est de toute évidence mentionnée comme accomplie dans le Nouveau Testament. Elle est citée par l'Épître aux Hébreux 8,8-10, et elle est le thème de toute cette lettre. Une des caractéristiques les plus essentielles de cette Nouvelle Alliance est son universalité, basée sur le Commandement du Christ avant Son Ascension : "Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que Je vous ai prescrit. Et voici que Je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde" (Matthieu 28,19-20)
Ces paroles de Jésus étaient quelque chose de si nouveau qu'il fallut du temps avant que leur signification soit pleinement comprise et mise en pratique. Ce fut essentiellement, mais pas uniquement, l'oeuvre de saint Paul, l'Apôtre des Nations. Il proclama le principe axiomatique de l'absence de discrimination dans la propagation évangélique : "il n'y a ni Juif ni Grec, il n'y a ni esclave ni homme libre, il n'y a ni homme ni femme; car tous vous ne faites qu'un dans le Christ Jésus" (Galates 3,28).
Dans le Christianisme des origines, il y avait une profonde conscience du fait que l'Église était la communauté messianique de la fin des temps, et il est remarquable que saint Pierre, dans son sermon à la foule le jour de la Pentecôte, affirme que cet événement était l'accomplissement de la prophétie de Joël 2,28-32. Cette attente de la seconde Venue du Christ est exprimée dans notre dernier article de notre Credo : "J'attend la résurrection des morts et la vie du monde à venir." Comme de bien entendu, ce dogme fondamental de notre Foi a été reflété non seulement par la pensée, mais aussi dans le vocabulaire Chrétien, même si plus que souvent, cette réalité, les croyants l'ignorent ou n'y prêtent guère attention.
Malgré cela, la lecture des Saintes Écritures et de la littérature Patristique le montre à l'envi. Par exemple, saint Pierre adresse sa première épitre : "aux étrangers de la Dispersion: du Pont, de Galatie, de Cappadoce, d'Asie et de Bithynie" (1 Pierre 1,1). Plus loin, il appelle les croyants "des étrangers et des exilés" (ibid 2,11). Une telle terminologie est habituelle parmi les auteurs Chrétiens des premiers siècles. A côté de cela, et jusqu'à nos jours, nous utilisons fréquemment des termes qui, étymologiquement, se réfèrent à notre condition sur terre; il suffit de mentionner le terme Paroisse, qui vient du verbe grec Paroikein, qui signifie séjourner en pèlerin en un lieu.
De ce que je viens juste d'exposer, il est évident que la tendance contemporaine à utiliser le terme Diaspora pour caractériser les communautés Orthodoxes établies hors des territoires où l'Église a été présente dans l'Antiquité ou durant le Moyen-Age est inexacte et souvent tendancieuse. Assurément, le terme Diaspora peut être utilisé de manière correcte pour désigner des immigrants d'un certain pays, et qui ont droit à conserver leur langage, leurs coutumes, et préserver leur héritage culturel. En ce domaine, la communauté Orthodoxe locale doit apporter son utile contribution en organisant des services liturgiques et des activités culturelles, dans le cadre de paroisses, et du diocèse. Dans la mesure où l'unité, ou l'unité au niveau du diocèse est respectée, c'est parfaitement acceptable.
Ce principe a été exprimé dans l'Antiquité par le peuple de Rome lorsque l'empereur Constance a proposé que l'office d'évêque soit partagé entre 2 évêques. Le peuple Chrétien proclama : "Un seul Dieu, un seul Christ, un seul évêque."
Il vaut la peine de noter que ce principe ecclésiologique fut strictement observé jusqu'à la deuxième moitié du 19ème siècle, et lorsqu'il fut enfreint, il fut officiellement condamné comme une hérésie [*]. Ce n'est qu'à partir des années 1920, conséquemment à la révolution Bolchévique, que cette situation anti-canonique a affecté l'Amérique, et de là les autres parties du monde. Il est inutile de dire que cette situation anormale a soulevé et continuer de soulever d'innombrables et insolvables problèmes d'ordre ecclésiologique.
Il appert qu'une erreur de conception existe parfois en certains lieux concernant l'unité de l'Église universelle : l'Unité est vue comme impliquant nécessairement une subordination juridictionnelle. En réalité, il n'y rien qui n'était plus étranger à la pensée de l'ancienne Chrétienté. Je ne donnerait qu'un seul exemple, tiré de l'Histoire de l'Église. C'est dans le récit des persécutions qui eurent lieu en 177 en Gaule. Il commence par cette adresse : "Les serviteurs du Christ demeurant à Lyon et Vienne en Gaule aux frères en Asie et Phrygie, ayant la même Foi et espérance avec nous; paix et grâce et gloire de Dieu le Père et le Christ Jésus notre Seigneur." Il est remarquable qu'il n'y avait nulle subordination de l'Église des Gaules vis-à-vis de l'Asie Mineure, mais qu'il y avait pleine communion de Foi, d'amour, et de vie sacramentelle, et que cela constitue le modèle de l'unité qui doit toujours prévaloir dans toute l'Église Orthodoxe.
la diaspora, notion humaine résultant d'un millénaire de guerres entre l'Atlantique et l'Oural, notion non-ecclésiale par excellence, piège du Diviseur.
[*] Ndt : Le patriarche Anthime VI de Constantinople convoqua un Concile général en 1872, Concile auquel furent conviés les autres patriarches, et parmi les évêques on trouvait les patriarches d'Alexandrie et de Jérusalem. Ce Concile pan-Orthodoxe, oecuménique donc, condamnera comme HÉRÉSIE le principe même d'ethno-phylétisme, et excommuniera dès lors les Bulgares. Qui pourtant n'étaient pas les seuls à pratiquer ladite hérésie, loin s'en faut. Mais qui avaient transformé un concept flou, verbalement condamné mais pourtant pratiqué, en principe ecclésiologique de base. On se souviendra que c'est le sultan Abdulaziz, un musulman donc, qui avait signé un décret ("firman") instaurant une église Bulgare sur base ethnique. Dividere ut regnes. La faiblesse humaine aura valu à cette Église "bulgare" d'être excommuniée jusqu'en 1945!
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