"Ô étrange Église Orthodoxe, si pauvre et si faible, qui se maintient comme par miracle à travers tant de vicissitudes et de luttes. Église de contrastes, à la fois si traditionnelle et si libre, si archaïque et si vivante, si ritualiste et si personnellement mystique.
Église où la perle de grand prix de l'Évangile est précieusement conservée, parfois sous une couche de poussière. Église qui souvent n'a pas su agir, mais qui sait chanter comme nulle autre la joie de Pâques."
P. Lev Gillet ("Un moine de l'Eglise d'Orient)

09 avril 2011

Infaillibilité épiscopale et liberté de conscience (Nicolas Berdiaev)


http://www.hrono.ru/libris/lib_b/berd02.html


L’orthodoxie ignore l’autorité infaillible des évêques. La seule autorité intrinsèquement infaillible est celle de l’Eglise, de la conciliarité ecclésiale, et le peuple ecclésial entier de toutes les générations chrétiennes, à commencer par les apôtres, en est le porteur. Dans l’encyclique des patriarches orientaux de 1848 il est dit : L’infaillibilité repose sur la seule universalité de l’Eglise, unie par l’amour mutuel, et l’intégrité dogmatique ainsi que la pureté du rite est confiée à la garde non pas de la seule hiérarchie, mais de tout le peuple ecclésial, qui est le corps du Christ. C’est le peuple ecclésial tout entier et non la seule hiérarchie qui est le porteur et le gardien de la vérité chrétienne. Et il n’y a aucune garantie juridique au sujet de l’expression de l’autorité intérieure de l’Eglise. Un seul orthodoxe peut avoir davantage raison, qu’une majorité d’évêques. Il fut un temps où saint Athanase le Grand, qui était alors diacre, c’est-à-dire, une personne de rang hiérarchique insignifiant, était le porteur de la vérité de l’orthodoxie contre la quasi-totalité de l’épiscopat oriental, favorable à l’arianisme. Les cléricalistes de l’époque, adorateurs de l’autorité hiérarchique extérieure, devaient être contre saint Athanase le Grand et pour les évêques ariens. La conscience orthodoxe peut parfaitement admettre qu’un écrivain laïc, A.S. Khomiakov, ait davantage exprimé l’esprit de l’orthodoxie, que certains métropolites, soumis à l’influence de la scolastique catholique-romaine ou protestante.

[...]



La liberté de la conscience dans l’orthodoxie ne signifie pas un individualisme protestant. Elle est liée intérieurement, en profondeur, à la conciliarité. La Réforme avait absolument raison en affirmant la liberté de la conscience, mais elle s’est engagée dans la voie erronée de l’individualisme. La liberté n’est pas le retrait de l’âme, sa mise en apposition à toute autre âme et au monde dans son ensemble. Dans la dimension de la liberté, dans la liberté chrétienne, se rejoignent mystérieusement l’unicité de l’individu et la généralité de l’universel. La liberté ne peut jamais être suspendue ou interrompue, ne peut jamais être transférée à un autre individu ou à une autre instance, elle peut seulement être éclairée.

Jamais je n’accepterai rien contre ma conscience libre, pas même Dieu, car Dieu ne saurait être une violence faite à ma liberté. Mon humilité devant ce qui me dépasse ne peut venir que d’une illumination, d’une transfiguration de la conscience libre de l’intérieur, ne peut être qu’une communion mystique à cette réalité supérieure.

Même un concile œcuménique, organe suprême dans l’orthodoxie n’est pas doué d’autorité extérieure. Un concile oecuménique ne possède pas de caractéristiques formelles et juridiques, accessibles aux sens, il n’est pas de l’ordre de la Loi. Le concile lui-même ne doit pas être érigé en idole et absolutisé. Il peut se révéler être un brigandage, alors même qu’il a toutes les apparences de la légitimité. Un concile oecuménique authentique est un concile où agit réellement l’Esprit Saint. Et l’authenticité d’un concile oecuménique, la présence de l’Esprit Saint en lui est révélée et garantie par la libre conscience du peuple ecclésial. L’Esprit Saint agit dans le peuple ecclésial, dans la conciliarité de l’Eglise et établit la distinction entre le vrai et le mensonge, entre l’authentique et le contrefait.

L’ordre de l’existence ecclésiale, comme existence spirituelle, se distingue justement par l’absence de garanties extérieures, de signes juridiques et matériels de l’authenticité. Tout se décide dans la vie de l’esprit, dans l’expérience spirituelle. L’Esprit Saint n’agit pas comme agissent les forces de la nature ou les forces sociales. Il n’y a pas là d’analogie qui tiennent. Une trop grande analogie de l’un et de l’autre dans la vie de l’Eglise est une tentation, dans laquelle l’Eglise se conforme à la réalité de ce monde.

L’organisation hiérarchique de l’Eglise, historiquement inévitable, l’élaboration des canons, sont des phénomènes seconds et non premiers. N’est un phénomène premier que la vie spirituelle et ce qui se découvre en elle. C’est elle qui maintient l’Eglise dans sa sainteté. L’affirmation du primat de l’autorité hiérarchique extérieure est une illusion. Ne se soumettent en dernier ressort à l’autorité hiérarchique extérieure que ceux dont les convictions intérieures sont identiques ou proches. Personne ne s’est encore jamais soumis à une autorité extérieure en dépit des protestations résolues de sa conscience, autrement que par simple discipline extérieure.

Nicolas Berdiaev

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08 avril 2011

Épreuves et tentations (Saint Jean de Karpathos)



Lorsque vous êtes éprouvé par les épreuves et les tentations, vous ne savez les traverser sans souffrir. Mais ceux qui auront cultivé la douleur et l'affliction dans leur coeur, seront par la suite comblés de grande joie, de larmes de consolation et de saintes pensées.


saint Jean de Karpathos, 7ème s., Centurie 30, Philoc.
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saint Jean de Karphatos est dans le 1er volume de la Philocalie des Pères Neptiques, après saint Diadoque de Photicé

saint Jean le Navigateur, néo-martyr grec à Kĥos, en Thessalie (+ 1669)



www.oca.org/pages/orth_chri/Feasts-and-Saints/April/Apr-08.html#john


Le néo-martyr Jean le Navigateur (Naukliros) était tombé malade de troubles mentaux. Un jour qu'il s'était évanoui en rue, les Turcs le circoncirent contre sa volonté pour le faire devenir musulman. Quand il revint à lui, il arracha de sa tête avec colère le turban blanc dont ils l'avaient affublé - car étant un des symboles de l'islam. Il se plaignit amèrement de l'indignité qui s'était produite et continua à vivre en Chrétien. Quand ils virent que Jean restait fidèle au Christ, les Hagarenes [musulmans] jettèrent alors le martyr en prison. Ni les paroles, ni les coups, ni les menaces ne purent faire plier le saint, et il répéta sans cesse : "Je crois au Seigneur Jésus-Christ et je rejette votre religion".
Après bien des tourments, ils le brûlèrent vif sur l'île de Khôs, le 8 avril 1669.

07 avril 2011

Bienheureux les pauvres en esprit! Oui, mais qu'est-ce que cette pauvreté? (sainte Marie de Paris / Mère Marie Skobtsova)


Beati pauperes spiritu, quoniam ipsorum est regnum caelorum


LES PAUVRES EN ESPRIT
http://www.berdyaev.com/skobtsova/pauperes_spiritu.html



Pour beaucoup de gens, probablement, la promesse de la Béatitude des Pauvres en Esprit semble incompréhensible. Que signifie-t-elle, cette pauvreté en esprit ? Certains fanatiques y voient l'appauvrissement de l'esprit, sa libération de toute pensée, jusqu'à dire que toute pensée et toute vie intellectuelle sont pécheresses. D'autres, en revanche, considèrent le mot "en esprit" quasiment comme une interpolation ajoutée au texte authentique des Évangiles. (1)

Nous voyons bien qu'il est nécessaire d'essayer de comprendre cette expression.

Lors de sa tonsure monastique, le novice tonsuré fait voeu de renoncement, c'est-à-dire de pauvreté, que l'ont pourrait comprendre au sens matériel, c-à-d comme le refus d'accumuler les richesses matérielles. L'observance stricte de ce voeu conduirait ainsi à la béatitude des pauvres, mais dans un sens si matérialiste et une interprétation si étroite que cela ne rend pas compte de la totalité de l'expression - "bienheureux les pauvres en esprit."

Le voeu de renoncement peut et doit être élargi au domaine spirituel, et celui qui le prononce doit aussi renoncer à l'acquisition spirituelle, s'il veut recevoir la promesse de la béatitude. Mais qu'est la non-acquisition spirituelle?

En opposition à la non-acquisition, on trouve en général 2 vices que, généralement, nous distinguons peu dans la vie monastique et quotidienne : l'avarice et la cupidité. En les analysant, nous voyons qu'en effet, un avare peut être exempt de cupidité et un homme cupide prodigue. Si l'avare dit: "Ce qui est à moi est à moi", souvent il n'ajoute pas "Ce qui est à toi est aussi à moi." À l'inverse, si le cupide dit : "Ce qui est à toi est à moi", il n'ajoute pas forcément : "Ce qui est à moi est à moi." Il peut vouloir s'approprier le bien d'autrui sans tenir particulièrement au sien. Cependant l'avarice et la cupidité ont certainement tendance à s'associer. Ce qui revient à dire : "Ce qui est à moi reste à moi, et ce qui est à toi est aussi à moi."

Celui qui a fait voeu de renoncement doit être exempt d'avarice et de cupidité ; il doit dire : "Ce qui est à moi est à toi et ce qui est à toi est et reste à toi." Mais il serait trop simple de penser que cela ne concerne que les biens matériels. Le renoncement, l'absence d'avarice et de cupidité doit concerner la totalité de l'homme intérieur.
Le pauvre en esprit ne fait rien d'autre que ce que le Christ nous a appris, à savoir donner son âme pour son prochain (2). Or, dans la vie monastique et quotidienne, tout en ayant une attitude négative face à l'acquisition matérielle, nous sommes bien souvent enclins à considérer comme positif de se ménager spirituellement. Cela, alors même que c'est le plus grave des péchés, car c'est un péché non pas matériel mais spirituel. Comprise ainsi spirituellement, la vertu de non-acquisition doit rendre l'homme ouvert au monde et aux hommes. La vie en dehors de l'Église, et aussi une compréhension déformée du Christianisme, nous ont appris à accumuler les richesses intérieures, et accoutumés à la curiosité extérieure, c'est-à-dire la cupidité envers le monde spirituel de nos proches. Souvent, nous entendons dire que l'homme doit se limiter dans l'amour, connaître sa mesure, c'est-à-dire se ménager, soi-même, ses forces spirituelles et son propre chemin de Salut.

Mais le Christ n'a pas mesuré Son amour pour les hommes - et dans Son amour, le Christ a abaissé Sa divinité jusqu'à S'incarner et assumer les souffrances de l'humanité. De la sorte, Il nous apprend non pas à nous modérer dans l'amour, mais à nous donner absolument et sans mesure, comme on donne son âme pour son prochain.

Sans une telle volonté de ce don de soi absolu, il n'y a pas de Christianisme, on ne suit pas la voie du Christ.

Ce n'est pas le Christ, mais un idéal étranger au Christianisme, qui nous invite à accumuler les richesses extérieures et intérieures. Nous savons à quoi mène cet idéal, quels égoïsme et égocentrisme règnent dans le monde, nous savons à quel point les gens sont centrés sur eux-mêmes, leur bien-être de leur âme, leur tranquillité intérieure et leurs intérêts les plus divers. Pourtant, préserver son monde spirituel, s'y enfermer, c'est être amené à s'empoisonner, commencer à pourrir, perdre sa joie de vivre, devenir insupportable et tomber en neurasthénie. C'est paradoxal, mais c'est ainsi : ils deviennent pauvres à force de se ménager, parce que se ménager, c'est transformer sa vie en une perpétuelle contemplation de soi et attention à soi. Les mendiants, les pauvres, conservent précieusement leurs guenilles, ils ne savent pas que le seul moyen de les garder définitivement et de les transformer en richesses, c'est de les donner avec joie et amour à ceux qui en ont besoin.

Et pourquoi?

Ces guenilles ne sont rien d'autre que les richesses périssables du royaume de ce monde. En les donnant, c'est-à-dire en se donnant entièrement, en donnant son âme, l'homme se rend pauvre en esprit, il devient donc bienheureux, parce que selon la promesse du Sauveur, le Royaume de Dieu est à lui. Ainsi l'homme devient, déjà sur cette terre, propriétaire de la richesse impérissable et éternelle du Royaume, trouvant la joie sans mesure, à travers le don de soi dans un amour sacrificiel, avec la facilité et la la liberté du renoncement.

Monachina Maria (Skobtsova)

Nischie Dukhom. "Mat' Maria (Skobtsova): vospominaniya, stat'i, ocherki", vol 1/2, YMCA Press, Paris, 1992, p. 231-233.

(1) Comparez les Béatitudes en Mt 5,3 et Lc 6,20. Cela a donné lieu à des discussions où certains parlaient d'interpolation, voire de suppression due à une erreur de copiste, le terme "en esprit" étant absent chez saint Luc mais présent chez saint Mathieu. De plus, mère Marie connaît bien une autre complexité du problème : le texte en slavon "corrige" le texte grec et latin de Lc 6,20 (tel que dans la version Nestle-Aland), en rajoutant "dukhom / en esprit," apparemment sur base d'avis autorisés qui dépassent le cadre de non-spécialistes en la matière, moi y compris. Les traductions occidentales suivent le grec et le latin comme dans l'édition Nestle, qui cependant ne propose aucune variation textuelle dans ses notes marginales. La discussion est encore amplifiée par certaines tendances comme l'état d'esprit de "l'évangile social" dans le protestantisme. La forme des Béatitudes que l'on retrouve chez saint Mathieu est la plus familière chez les Orthodoxes, et est utilisée liturgiquement pour les Liturgies non-festives. En latin, pour la curiosité, on trouve aussi un étrange élément dans la version lucanienne abrégée des Béatitudes, le "vaecumi", absent chez Mathieu.
Les Béatitudes dans la forme de saint Mathieu sont donc très familières aux Orthodoxes, mais restent énigmatiques quant à toute leur signification. Un détail que Mère Marie ne mentionne pas ici dans la structure interne des Béatitudes, c'est la répétition "car le Royaume des Cieux leur appartient," qui est répétée à nouveau pour la béatitude de ceux qui sont persécutés pour la justice, ce qui n'est probablement connu qu'en le vivant.

(2) Les lecteurs de versions traduites en langues occidentales ne sont probablement pas familiers avec ce à quoi Mère Marie fait référence : Jn 15,13 "Maiorem hac dilectionem nemo habet, ut animam (Grk."psukhen") suam ponat quis pro amicis suis" ("Il n'y a pas de plus grand amour que de donner son âme pour ses amis"). Voir aussi Mc 8,35 "Qui enim voluerit animam suam salvam facere, perdet eam.." ("Car celui qui voudra sauver son âme, la perdra, mais qui perdra son âme à cause de Moi et de l’Évangile la sauvera"). Ici, le slavon suit plutôt bien les versions grecque et latine ("izhe vo azhe khoschet dushu svoiu spasti, pogubit iu…"), plutôt que de donner cette version aseptisée et insipide des traductions occidentales où l'on dit "vie" plutôt que "âme." Il est bien plus profond et c'est une dynamique spirituelle bien plus cruciale que de risquer sa propre âme pour le Christ-Dieu, âme qui est éternelle, que simplement sa vie, si temporelle. Mère Marie et la sainte Tradition Orthodoxe sont bien clairs avec cet aspect si profond, qui est cependant hélas perdu chez bien des Orthodoxes qui ne sont que familiers de versions en traduction occidentale du texte de l'Évangile.



Bennett's Cross, Dartmoor National Park, Devon, Angleterre
Une des antiques croix sculptées dans une région de haute tradition celtique
source & copyright "National Geographic"

06 avril 2011

Saint Notker le bègue, enlumineur, hymnographe, grand saint de l'Occident Orthodoxe (Saint-Gall + 912)


saint Notker le Bègue, page 339 du Codex 14 de l'abbaye de Saint-Gall
Codices Electronici Sangallenses (CESG) – Virtuelle Bibliothek

Saint Notker, moine de Saint-Gall, surnommé Balbulus, parce qu'il était bègue, est né dans une famille aisée vers le milieu du 9ème siècle, à Heiligenau, en Thurgovie, Suisse.
Il a été élevé dans l'abbaye de Saint-Gall, appelée aussi "l'abbaye des Irlandais, où il a ensuite fait profession monastique.
Il avait un grand don pour la musique. A Saint-Gall, il y avait une école interne et une école externe au monastère, et il reçut la charge de la première. En dehors de sa charge scolaire, il travaillait à composer divers ouvrages et à retranscrire des manuscrits.
Il n'était pas que talentueux, il était aussi sage et réputé de vie sainte. Le roi Charles le Gros le consulta régulièrement pour avoir son avis sur divers problèmes du royaume.

Un jour un officier vint le voir de la part du roi. Il trouva Notker arrachant dans le jardin des mauvaises herbes qu'il remplaçait par de bonnes plantes. L'envoyé lui ayant fait part de sa mission, pour toute réponse, Notker lui dit : "Tu vois ce que je fais, va dire au roi qu'il en fasse autant."

Une autre fois, le roi était allé lui-même à Saint-Gall pour consulter le saint homme, qui était son père confesseur. Il était accompagné de son chapelain, religieux savant mais orgueilleux, jaloux que son maitre mette toute sa confiance dans un moine qu'il regardait comme un ignorant. Le chapelain en voyant arriver près d'eux l'humble Notker : " Je vais lui poser une question qui démontrera son ignorance."
Et il lui demanda "Dis donc, toi qui es si savant, explique-moi un peu ce que Dieu fait actuellement dans le Ciel?". Notker répondit "Il élève les humbles et abaisse les orgueilleux."
Le chapelain en fut très vexé. Il quitta le monastère, choqué de cette réponse qui le tournait en ridicule. Mais son cheval se cabra, le faisant chuter, et il se blessa à la figure et se cassa un pied. Les moines coururent le relever et le rapporter au monastère pour lui donner les soins dont il avait besoin. Mais le mal ne cessa de s'aggraver. Alors ils conseillèrent au chapelain d'avoir
recours aux prières de Notker, ce qu'il refusa aussi sec. Le temps passant, vaincu par la violence du mal, il s'écria enfin qu'il acceptait - "Faites venir le serviteur de Dieu, afin qu'il me pardonne et me bénisse, tout indigne que j'en sois." Notker s'étant rendu près de lui, le chapelain lui dit "père, j'ai péché contre Dieu et contre toi, pardonne-moi, et touche mon pied afin qu'il soit guéri." Notker s'étant mis à prier avec ferveur, le chapelain fut guéri à l'instant.

Entre autres oeuvres liturgiques, il a composé un chant d'intercession (paraclesis). L'origine de ce chant si simple et beau est particulière. Un jour saint Notker, en regardant des ouvriers qui construisaient un pont au-dessus d'un abîme, fut si frappé des dangers imminents qu'ils couraient, qu'aussitôt il alla composer pour eux cette belle prière, aux accents de "Trisagion."

Media vita in morte sumus, quem quaerimus adjutorem, nisi Te adjutorem, nisi Te, Domine, qui pro peccatis nostris juste irasceris.
Vivants, nous sommes sans cesse menacés par la mort. Qui nous assistera, si ce n'est Toi, Seigneur, Toi qui es justement irrité contre nous à cause de nos péchés?

In Te speraverunt patres nostri, speraverunt, et liberasti eos.
R. Sancte Deus.
Nos pères ont espéré en Toi, ils ont espéré et Tu les as sauvés.
R. Dieu saint


Ad Te clamaverunt patres nostri, clamaverunt, et non sunt confusi.
R. Sancte fortis.
Nos pères T'ont invoqué, ils T'ont invoqué, et ils n'ont pas été confondus.
R: Saint Fort.


Ne despicias nos in tempore senectutis, cum defecerit virtus nostra, ne derelinquas nos.
R. Sancte et misericors Salvator, amarae morti ne tradas nos.

Quand l'âge aura blanchi notre chevelure, quand les années auront brisé nos forces, ne nous abandonne pas.
R. Saint et miséricordieux Sauveur, ne nous abandonne pas à l'amertume de la mort!


Notker a rédigé un Martyrologe, se basant sur ceux d'Adon de Vienne en Provence (+ 875) et Raban Maur de Fulda, Germanie (+ 856). Cet ouvrage a longtemps été utilisé dans les églises de Germanie.
Il a aussi écrit ou composé :
* une "Vie de Saint-Gall" en vers;
* "Traité sur les interprètes de l'Écriture" - analyse de commentaires patristiques et catalogues d'Actes de Martyrs authentiques;
* "Livre des Séquences" - 38 "sequentiae" pour la Liturgie grégorienne. Il s'est inspiré de l'antiphonaire de l'abbaye de Jumièges (Normandie, à l'époque Neustrie);
Divers Hymnes. Dont 4 en l'honneur de saint Étienne le protomartyr, saint patron de la cathédrale de Metz, adressés à l'évêque Ruodbert de Metz, ancien moine de Saint-Gall. Ses hymnes sont dans la Patrologie Latine, tome LXXXVII, colonnes 37-54. Le "Victimae Paschali laudes" plein d'allégresse, utilisé à Pâques dans cette même Liturgie de l'Occident Orthodoxe, est aussi son oeuvre;
* "Écrits sur la musique", dont les fragments sont reproduits dans la Patrologie latine, tome LXXXI, colonnes 1169-1178.
* "Traité sur les fractions des nombres", un manuel d'arithmétique, dont on a des fragments;
* et un "Psautier" en langue locale, le tudesque (vieux germanique).

Notker est né au Ciel le 6 avril 912. Il fut enterré dans la chapelle de Saint-Pierre. Plusieurs miracles survenus à son tombeau lui ont valu un culte public, et à Saint-Gall, sa fête se célèbrait le troisième dimanche après Pâques.

Dans l'iconographie traditionnelle, on le représente avec un moulin parmi ses attributs. Un épisode de sa vie nous en livre la raison : une nuit, en passant par un dortoir, il entendit le bruit languissant et saccadé du tic tac d'un moulin privé d'eau. Il se mit aussitôt à composer la mélodie et le rythme d'une invocation au Saint-Esprit; il savait que l'homme n'est rien sur terre, sans la grâce du Saint-Esprit il est comme un moulin sans eau.

saint Notker le Bègue (c)
Icône du diacre Claude Lopez-Ginisty, Jeudi Saint 2012


Prier sans cesse (Dynamis)

http://groups.yahoo.com/group/orthodoxdynamis/message/3829


Ephésiens 6,18-24 : Vivez dans la prière et les supplications; priez en tout temps, dans l’Esprit; apportez-y une vigilance inlassable et intercédez pour tous les saints. Priez aussi pour moi, afin qu’il me soit donné d’ouvrir la bouche pour parler et d’annoncer hardiment le mystère de l’Évangile, dont je suis l’ambassadeur dans mes chaînes; obtenez-moi la hardiesse d’en parler comme je le dois. Je désire que vous sachiez, vous aussi, où j’en suis et ce que je deviens; vous serez informés de tout par Tychique, ce frère bien-aimé qui m’est un fidèle assistant dans le Seigneur. Je vous l’envoie tout exprès pour vous donner de nos nouvelles et réconforter vos coeurs. Que Dieu le Père et le Seigneur Jésus Christ accordent paix aux frères, ainsi que charité et foi. La grâce soit avec tous ceux qui aiment notre Seigneur Jésus Christ, dans la vie incorruptible!

Le Sceau de l'Esprit – priez sans cesse – en particulier le verset 18 : "Vivez dans la prière et les supplications; priez en tout temps, dans l’Esprit; apportez-y une vigilance inlassable et intercédez pour tous les saints."

Concluant sa lettre aux Ephésiens, saint Paul continue de mettre l'accent sur des thèmes qu'il a parcourus au cours de l'épître. Tout devrait être accomplit ".. dans l'Esprit.." en Qui les fidèles ont été scellés (v. 18). On remarque aussi son évident désir de partager la grâce qu'il a reçue, car il envoie Tychique afin de réconforter les coeurs des Ephésiens (v. 22). On voit aussi qu'il est prêt à se soumettre à la volonté de Dieu, malgré qu'il soit aux arrêts et enchaîné (v. 20). De plus, il revient sur les thèmes du mystère de l'Évangile (v. 19) et de la sincérité (v. 24).

Ce qui est nouveau dans cette péricope épistolaire, c'est l'admonition de saint Paul à prier. Il expose que cette tâche est essentielle pour tous ceux qui sont scellés dans l'Esprit, car la prière seule rend possible l'accomplissement de la sincérité du coeur, le désir de communiquer la grâce aux autres, et la soumission à la volonté divine.

Saint Paul exhorte les fidèles à prier sans cesse. La prière doit être la constante de la vie Chrétienne, car, par sa nature, la prière est ".. la conversation et l'union de l'homme avec Dieu," comme le rappelle saint Jean du Sinaï. Nous sommes si susceptibles d'être distraits, trompés et égarés – que ce soit par nos passions ou par les esprits du mal – que "la conversation et l'union" avec Dieu sont nécessaires si nous espérons atteindre à la pureté de coeur. La prière, comme lutte spirituelle, concentre sur la conversation divine, jusqu'à ce que nous soyons un – "Moi en eux, et Toi en Moi, afin qu'ils soient parfaitement un" (Jn 17,23).

De plus, Qui d'autre que Dieu pourrait nous purifier? Écoutez le conseil du sage Jean du Sinaï : "jusqu'à ce que nous soyons parvenus à acquérir la vraie prière, nous sommes comme des gens qui enseignent à des petits enfants à apprendre à marcher." Soyons patients et persistants, comme le conseille l'Apôtre, restant sur nos gardes et persévérant (v. 18).

La prière nous aide à discerner ce qui nous éloigne de Dieu, et plus encore : grâce à la puissante aide de l'Esprit, la prière nous aide à bânir toutes les pensées qui assaillent inévitablement nos efforts à maintenir l'union avec le Seigneur. Ces bénéfices ont amené les Pères à enseigner l'usage de ce qu'ils appellent "monologia," ou "unité de pensée." La Prière de Jésus est la forme la plus connue et la plus éprouvée de "monologia." L'usage régulier, persistant, de cette simple Prière de Jésus nous révèle notre pitoyable condition spirituelle. En étant encouragé cependant dans le combat par cette parole de saint Jean le Sinaïte : "ce qui a été obtenu par la prière régulière et prolongée perdure."

Qu'obtient-on? Une chose assurément, l'unité ou sincérité de coeur. Nous connaissons le potentiel de confusion des motivations. La prière dans l'Esprit dévoile de manière unique une telle convusion, exposant ce qui est de Dieu et ce qui appartient à ce monde, venant de nos passions, ou d'une suggestion du démon.

La prière continue, c'est comme clarifier du beurre – un processus de réchauffement lent qui permet aux impuretés de remonter à la surface, puis d'être écrémées. Lorsque nous prions, notre âme se réchauffe, et petit à petit, elle est purifiée par la prière, jusqu'à ce que le coeur parvienne à la véritable unité et pureté.

La prière crée aussi un authentique désir de partager la grâce avec les autres. Et la marque permanente de ceux qui partagent la grâce, c'est une vie baignée dans la prière. Ceux-là se reposent sur la prière permanente, peu importe les circonstances externes qu'ils ont à affronter. Alors, comme le dit saint Jean, "… là où se trouve le Créateur de l'esprit, tout obéit." Ainsi, les paroles et les actes de celui qui prie sans cesse sont en accord avec le Seigneur, et la grâce est naturellement communiquée selon les besoin de celui qu'il rencontre.

La prière illumine aussi le coeur afin de percevoir sa place propre dans le Corps du Christ. D'où l'état de préparation à se soumettre aux autres. Comme le dit saint Jean, parfois notre bon Roi distribue Ses dons Lui-même, et parfois ils nous arrivent "… par le biais d'un ami, et parfois même d'un serviteur.."

O Seigneur, guide ma volonté; enseigne-moi à prier; prie Toi-même en moi.



misez sur le bon cheval : le Christ!

04 avril 2011

Prière lorsqu'on a des mauvaises pensées (Saint Syméon de la Montagne Admirable)

Prière adressée au Seigneur Jésus-Christ par Saint Syméon de la Montagne Admirable, lorsque l’on a des mauvaises pensées

saint Symeon le Nouveau Stylite


Maître Seigneur Jésus-Christ, Verbe du Dieu Immortel, Artisan et Guide de cette gigantesque Création, Fils unique, qui sans âge as brillé du Père et qui es sorti ineffablement de la Vierge, Tu t’es incarné sans changement et sans mélange, afin de délivrer de la servitude de l’ennemi ceux que Tu as façonnés. Toi qui du Père ne T’es point séparé et as séjourné avec nous, Tes indignes serviteurs, Lumière de l’impassibilité qui dissipe les ténèbres de l’ignorance, lueur des âmes qui veillent, joie du peuple Orthodoxe, délectation des Anges et des âmes, qui est beauté sans fin, Toi Le Bien Aimé, feu et désir, garde sans faille l’esprit de ceux qui se sont en vérité fortifiés en toi, Toi qui es bon par nature, patient et plein de miséricorde. Eloigne de moi, pauvre pécheur, les pensées qui m’affligent, car Tu sais, Toi qui connais le coeur des hommes, Toi qui vois dans le secret de mon coeur, qu’elles sont contre ma volonté. Pardonne-les moi, Maître de toutes choses, et qu’elles ne me soient pas considérées comme un péché. Fais-moi miséricorde et envoie-moi Tes dons, depuis le saint Trône de Ta gloire, et couvre mon impuissance, à moi Ton indigne serviteur. Donne-moi la sagesse et enseigne-moi Tes Commandements et je vivrai. Guéris les plaies de mon âme et illumine les yeux de mon esprit afin que je comprenne pour toujours, Seigneur, Ton économie qui s’est faite en moi. Car mon esprit a perdu sa raison, et que pourrais-je donc Te dire, ô Toi qui connais tout depuis le début, Toi qui "connais le coeur et les entrailles." Tu sais que "mon âme est assoiffée de Toi comme une terre desséchée." Envoie donc Ta grâce, Seigneur, afin qu’elle vienne rassasier ma faim et désaltérer ma soif. Car c’est après Toi que je languis et de Toi je suis assoiffé, Lumière de Vérité, Donateur du salut. Verse donc, Seigneur, une goutte de Ta misericorde, afin qu’elle s’allume comme une flamme dans mon coeur et qu’elle consumme ses épines et ses ronces, c’est-à-dire les mauvaises pensées, et que mon esprit se fasse comme un serviteur, qu’il ne désire que Toi et qu’il Te cherche, ô Sauveur de l’univers. Eloigne de moi, Seigneur, tous les ennemis visibles ou invisibles, qui pourchassent mon âme, et donne-moi de passer le temps qui me reste sans péché, dans la paix, dans la pureté, menant une vie agréable à Toi, dans la parfaite patience, selon la grandeur de Ta miséricorde; pardonne-moi les fautes de chaque jour. Oui, Seigneur Dieu, qui es le seul bon, écoute ma prière et accomplis les demandes de mon coeur, afin que je devienne église par Ta grâce, pour que, habitant en moi, elle serre mon esprit comme des rennes, afin que je ne puisse pas m’égarer et commettre l’injustice devant Toi, et être chassé de Ta lumière. Car c’est à Toi qu’il appartient de nous faire miséricorde et de nous sauver, ô Christ notre Dieu, et nous Te rendons grâce et nous te remercions, et nous T’adorons, avec Ton Père sans commencement et Ton très saint, bon, et vivifiant Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.

source : feuillet Saint-Jean Cassien n°268, octobre 2006, page 7

03 avril 2011

Jeûner dans le monde moderne (Pravmir / higoumène Raphael Vereschak)

http://pravmir.com/on-fasting-in-the-present-day-world-2/


"Ces événements agitèrent l'esprit des gens pendant de longs mois, alors que les premières appréhensions faisaient jour, et que la peste, si je peux m'exprimer ainsi, n'avait pas encore éclaté. Mais je ne dois aussi pas oublier qu'une partie importante de la population se comportait autrement. Le gouvernement encourageait leur dévotion, et prévoyait des prières publiques et des jours de jeûne et d'humiliation, afin d'y confesser publiquement ses péchés et d'implorer la miséricorde de Dieu et d'écarter le terrible jugement qui pendait au dessus de leurs têtes; et il est difficile à décrire avec quel empressement les gens de toutes conditions y prirent part; comment ils affluèrent en masse dans les églises et les assemblées, et ils étaient si nombreux que bien souvent on ne savait plus se glisser ni même parvenir à la porte des plus grandes églises. Et il y avait aussi des prières matin et soir dans nombre d'églises, et des journées de prière privées en divers lieux; et on y trouvait, vous dis-je, quantité de gens, avec une dévotion peu commune. Plusieurs familles, de même, de diverses opinions, pratiquaient un jeûne familial, auquel ils ne conviaient que leurs proches. En un mot, tous ceux qui étaient vraiment sérieux et religieux s'appliquaient d'une manière vraiment chrétienne aux oeuvres de repentance et d'humiliation, comme il sied à un peuple chrétien."


Le récit qui précède n'est pas une évocation historique d'une des terribles pestes qui ravagèrent régulièrement la Constantinople Orthodoxe durant la période impériale. Ni extrait d'une chronique médiévale russe parlant d'une peste qui aurait ravagé Moscou ou l'une des autres anciennes cités russes à l'époque. Non, cette citation est de Daniel Defoe - l'auteur de "Robinson Crusoë" -, il a écrit cela en 1722 à propos de la dernière grande vague de peste bubonique, qui avait eu lieu en Angleterre en 1665. Il faut ici faire remarquer un détail d'importance : Defoë n'était pas Orthodoxe; pas même catholique-romain, mais un dissident protestant. De plus, la plupart des Anglais à avoir souffert de cette peste n'étaient pas non plus Orthodoxes; ni catholiques-romains, mais plutôt anglicans. Malgré tous les effets que la "réforme" protestante avait en Europe occidentale, nous remarquons cependant encore ici une marque évidente d'une piété - jeûne, prière et repentance - qui nous est fort familière à nous autres Orthodoxes de nos jours encore.

Maintenant, la raison pour présenter ce passage n'est pas de donner une leçon historique de culture occidentale - quoique cela représente une leçon en soi-même - mais plutôt de démontrer que jusqu'aux siècles proches, une piété qui comportait jeûne et prière existait encore même dans des cultures marquées par le protestantisme. Hélas cela montre aussi que cette pieuse culture religieuse a progressivement diminué au point que, sous l'influence du sécularisme à l'époque moderne, une telle piété active a de nos jours presqu'entièrement disparue. En effet, en ce qui concerne la société - c-à-d ce que nous voyons dès que nous sortons de chez nous, ou nous branchons sur internet, la télévision ou autre média social - une telle piété active est à présent quasiment éteinte. Nous serions naïfs d'ignorer le fait que cette influence sociale nous a aussi personnellement et profondément affectés, quand bien même nous vivrions au sein de l'Orthodoxie. Dès lors, il est facile de se sentir tel un petit poisson tentant de nager contre le courant dans un grand océan.

Étant dans la sainte saison du Grand Carême, une de nos questions principales est : comment observer le jeûne lorsque cela semble quasiment impossible à cause des circonstances, comme lorsqu'on est étudiant à l'école, ou au travail, ou membre d'une famille non-Orthodoxe, ou souffrant de quelque maladie incapacitante ou chronique? Comment pouvons-nous observer les règles du jeûne alimentaire tout en menant nos vies de tous les jours?

Un premier point à bien garder à l'esprit, c'est que le jeûne reste en vigueur à moins qu'une question de santé l'interdit formellement. Régulièrement, nous entendons des discussions qui semblent dire qu'à cause de certaines circonstances sur lesquelles nous n'avons pas de contrôle – p.ex. l'école, le lieu de travail, etc – nous n'aurions pas besoin de nous abstenir de certains aliments, qu'un "jeûne spirituel" où on lutte contre les passions – colère, envie, etc – est suffisant. Nous oublions cependant que pour les saints Pères, dont nous suivons l'inspiration pour le jeûne, l'acte de jeûner et celui de la lutte contre les passions vont toujours de pair. Si nous voulons que les passions diminuent vraiment, alors nous devons aussi jeûner physiquement de manière alimentaire. C'est une méthode spirituelle éprouvée et réelle qui a été pratiquée par l'Église depuis 2.000 ans. Ses fruits sont évidents pour vaincre les passions et aider à une prière plus profonde. De plus, le jeûne est une manière par laquelle nous consacrons une sainte saison pour le Christ en préparation de la grande Fête à venir : Pâques.

Ensuite, nous devons examiner avec notre prêtre et notre père spirituel comment précisément pratiquer un tel jeûne. Dans nombre de circonstances, comme l'école et le travail, nous ne savons pas avoir un contrôle complet de ce que nous mangeons. Cependant, avec notre père spirituel, nous pouvons envisager comment appliquer le principe spirituel : que tout ce dont nous sommes en mesure de nous abstenir peut être un digne sacrifice pour Dieu. Ainsi, par exemple, il pourrait bien ne pas être possible de suivre strictement la règle de jeûne à la cantine scolaire, et ne se retrouver qu'avec une feuille de salade à manger. Il est peu probable qu'elle nous suffise pour nous nourrir et à garder notre attention sur le but fixé si on fait cela pendant 40 jours. Cependant, il peut être possible de ne pas manger la viande, même si nous nous permettons des laitages, ou nous abstenir de desserts agréables, et de nous en tenir à quelque chose de simple. Il faut aussi voir que de plus en plus de cafétarias et cantines de travail servent des aliments végétariens, ou permettent de manger le repas de carême ou de régime que l'on a apporté.

Si vous êtes le seul Orthodoxe dans votre maisonnée, il peut être difficile d'avoir un contrôle sur les aliments qui sont servis. Nous ne devons jamais juger les autres, et les forcer à changer. Mais si c'est une famille tolérante, on nous y laissera manger un peu différemment si nous le voulons. Nous pouvons, par exemple, prendre l'habitude de ne pas prendre la viande qui y sera servie. Dans certaines familles, cette tolérance permet même de jeûner de manière assez stricte. C'est très bien. Mais bien sûr, nous ne devons pas utiliser cette facilité pour attirer l'attention sur nous-mêmes, ou – Dieu nous en préserve! - pour commencer des disputes et des discussions. Si nous ne sommes pas toujours sur la défensive, acceptant que notre famille vit les choses autrement que nous, cela laissera plus de place pour parvenir à des arrangements entre notre famille et nous.

Finalement, les questions de santés affectent aussi notre capacité à jeûner. Dans notre entretien avec notre père confesseur, nous devons prendre soin à ne pas mettre notre santé en danger. Nous devons maintenir l'effort sérieux que la période de jeûne requiert de nos. Nous ne devons pas non plus nous inventer des excuses qui sont un frein au sacrifice personnel qu'implique le Grand Carême. Un bon équilibre et discernement sont requis pour ce faire, de sorte que nous n'en arrivions pas à l'extrémité inverse de la stupide imprudence, qui est véritablement une marque d'orgueil. La meilleure règle à garder à l'esprit est celle de la Voie Royale : éviter les extrêmes contraires que sont la paresse en la matière et l'invention d'excuses d'une part, et l'imprudence et un rigorisme orgueilleux de l'autre.

Par un jeûne digne et l'effort qu'il implique, nous nous préparons à rencontrer le Christ Ressuscité. Nous devons prendre cela au sérieux, et garder la règle de jeûne de l'Église à l'esprit comme notre idéal. Nous devons l'équilibrer en discutant de cela avec notre père spirituel et par la prière, afin de déterminer la manière particulière pour nous d'appliquer ce jeûne. Si nous faisons de la sorte, même si nous ne sommes pas pleinement maîtres des circonstances extérieures, nous bénéficierons quand même d'un jeûne profitable, et nous rencontrerons dignement le Christ en la radieuse nuit de Pâques.
Higoumène Raphael (Vereschak)
Holy Resurrection Church, Winnipeg, MB, Canada