L’orthodoxie ignore l’autorité infaillible des évêques. La seule autorité intrinsèquement infaillible est celle de l’Eglise, de la conciliarité ecclésiale, et le peuple ecclésial entier de toutes les générations chrétiennes, à commencer par les apôtres, en est le porteur. Dans l’encyclique des patriarches orientaux de 1848 il est dit : L’infaillibilité repose sur la seule universalité de l’Eglise, unie par l’amour mutuel, et l’intégrité dogmatique ainsi que la pureté du rite est confiée à la garde non pas de la seule hiérarchie, mais de tout le peuple ecclésial, qui est le corps du Christ. C’est le peuple ecclésial tout entier et non la seule hiérarchie qui est le porteur et le gardien de la vérité chrétienne. Et il n’y a aucune garantie juridique au sujet de l’expression de l’autorité intérieure de l’Eglise. Un seul orthodoxe peut avoir davantage raison, qu’une majorité d’évêques. Il fut un temps où saint Athanase le Grand, qui était alors diacre, c’est-à-dire, une personne de rang hiérarchique insignifiant, était le porteur de la vérité de l’orthodoxie contre la quasi-totalité de l’épiscopat oriental, favorable à l’arianisme. Les cléricalistes de l’époque, adorateurs de l’autorité hiérarchique extérieure, devaient être contre saint Athanase le Grand et pour les évêques ariens. La conscience orthodoxe peut parfaitement admettre qu’un écrivain laïc, A.S. Khomiakov, ait davantage exprimé l’esprit de l’orthodoxie, que certains métropolites, soumis à l’influence de la scolastique catholique-romaine ou protestante.
La liberté de la conscience dans l’orthodoxie ne signifie pas un individualisme protestant. Elle est liée intérieurement, en profondeur, à la conciliarité. La Réforme avait absolument raison en affirmant la liberté de la conscience, mais elle s’est engagée dans la voie erronée de l’individualisme. La liberté n’est pas le retrait de l’âme, sa mise en apposition à toute autre âme et au monde dans son ensemble. Dans la dimension de la liberté, dans la liberté chrétienne, se rejoignent mystérieusement l’unicité de l’individu et la généralité de l’universel. La liberté ne peut jamais être suspendue ou interrompue, ne peut jamais être transférée à un autre individu ou à une autre instance, elle peut seulement être éclairée.
Jamais je n’accepterai rien contre ma conscience libre, pas même Dieu, car Dieu ne saurait être une violence faite à ma liberté. Mon humilité devant ce qui me dépasse ne peut venir que d’une illumination, d’une transfiguration de la conscience libre de l’intérieur, ne peut être qu’une communion mystique à cette réalité supérieure.
Même un concile œcuménique, organe suprême dans l’orthodoxie n’est pas doué d’autorité extérieure. Un concile oecuménique ne possède pas de caractéristiques formelles et juridiques, accessibles aux sens, il n’est pas de l’ordre de la Loi. Le concile lui-même ne doit pas être érigé en idole et absolutisé. Il peut se révéler être un brigandage, alors même qu’il a toutes les apparences de la légitimité. Un concile oecuménique authentique est un concile où agit réellement l’Esprit Saint. Et l’authenticité d’un concile oecuménique, la présence de l’Esprit Saint en lui est révélée et garantie par la libre conscience du peuple ecclésial. L’Esprit Saint agit dans le peuple ecclésial, dans la conciliarité de l’Eglise et établit la distinction entre le vrai et le mensonge, entre l’authentique et le contrefait.
L’ordre de l’existence ecclésiale, comme existence spirituelle, se distingue justement par l’absence de garanties extérieures, de signes juridiques et matériels de l’authenticité. Tout se décide dans la vie de l’esprit, dans l’expérience spirituelle. L’Esprit Saint n’agit pas comme agissent les forces de la nature ou les forces sociales. Il n’y a pas là d’analogie qui tiennent. Une trop grande analogie de l’un et de l’autre dans la vie de l’Eglise est une tentation, dans laquelle l’Eglise se conforme à la réalité de ce monde.
L’organisation hiérarchique de l’Eglise, historiquement inévitable, l’élaboration des canons, sont des phénomènes seconds et non premiers. N’est un phénomène premier que la vie spirituelle et ce qui se découvre en elle. C’est elle qui maintient l’Eglise dans sa sainteté. L’affirmation du primat de l’autorité hiérarchique extérieure est une illusion. Ne se soumettent en dernier ressort à l’autorité hiérarchique extérieure que ceux dont les convictions intérieures sont identiques ou proches. Personne ne s’est encore jamais soumis à une autorité extérieure en dépit des protestations résolues de sa conscience, autrement que par simple discipline extérieure.
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